À Bruxelles, plongez dans la discrète mais intense bataille que les lobbies livrent à l’intérêt général

Quand vous rédigez un accord de libre-échange, même ce qui apparaît technique, comme les normes sanitaires ou environnementales, est bien politique.

Plus de 10 000 orga­ni­sa­tions sont enre­gis­trées à Bruxelles sur le registre offi­ciel des lob­bys de l’Union euro­péenne, dont envi­ron un mil­lier sont fran­çaises. Par­mi elles, quelques ONG, mais sur­tout des grandes entre­prises, des asso­cia­tions indus­trielles et des cabi­nets de consul­tants. Com­ment ces lob­byistes défen­dant les inté­rêts des milieux d’affaires œuvrent-ils pour faire entendre leurs posi­tions auprès des déci­deurs euro­péens ? Tous les acteurs de cette scène com­battent-ils à armes égales ? Plon­gée au cœur du quar­tier euro­péen de Bruxelles.

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« Un jour, un col­lègue de mon cabi­net me contacte. Une entre­prise cliente va être obli­gée de trans­fé­rer des lignes de pro­duc­tion à l’extérieur de l’Union euro­péenne. A cause du règle­ment Reach sur les sub­stances chi­miques[[Règle­ment de l’Union euro­péenne adop­té pour mieux pro­té­ger la san­té humaine et l’environnement contre les risques liés aux sub­stances chi­miques.]] : un pro­duit uti­li­sé comme sol­vant dans un pro­ces­sus de fabri­ca­tion ne sera plus auto­ri­sé dans l’Union. Cela signi­fie 150 emplois et 50 mil­lions d’euros d’investissements qui vont par­tir ailleurs. Je lui réponds : “ Il faut en par­ler avec la Com­mis­sion et l’agence Reach”. Des périodes tran­si­toires sont pos­sibles. ».

C’est ain­si qu’Hervé Jouan­jean résume son nou­veau tra­vail depuis son bureau bruxel­lois. Avant ? Il était direc­teur géné­ral du Bud­get de la Com­mis­sion euro­péenne, après être pas­sé par la direc­tion géné­rale au Com­merce. C’est-à-dire les ins­tances mêmes auprès des­quelles il exerce désor­mais son acti­vi­té de lob­bying. À peine libé­ré par son ancien employeur, en 2014, le tout nou­veau retrai­té devient consul­tant pour l’antenne bruxel­loise d’un grand cabi­net d’avocats fran­çais. La Com­mis­sion, prin­ci­pal organe de pou­voir au sein de l’Union euro­péenne (UE), Her­vé Jouan­jean la connaît donc très bien. Ce phé­no­mène des « portes tour­nantes » — autre­ment dit des allées et venues entre Com­mis­sion et sec­teur pri­vé – est régu­liè­re­ment dénon­cé par les ONG bruxelloises.

Au-delà des cas emblé­ma­tiques des anciens com­mis­saires euro­péens comme Manuel Bar­ro­so pas­sé chez Gold­man Sachs ou Connie Hede­gaard chez Volks­wa­gen[[article Bas­ta !]], le phé­no­mène concerne tous les éche­lons hié­rar­chiques de la Com­mis­sion, et expli­que­rait en grande par­tie sa récep­ti­vi­té aux argu­ments des lob­bys. Des accu­sa­tions que Her­vé Jouan­jean réfute, expli­quant res­pec­ter à la lettre les règles déon­to­lo­giques en vigueur. « J’ai quelques contacts qui me per­mettent d’être pris au télé­phone, mais je les dérange peu. Ils savent que je suis sérieux sinon ils ne per­draient pas leur temps avec moi. Il faut d’abord des dos­siers solides, c’est ce que j’explique aux clients quand je dis que la Com­mis­sion tra­vaille pour eux et non contre eux », explique le consultant.

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Mille acteurs fran­çais impli­qués dans le lob­bying à Bruxelles

« Pour cette entre­prise, j’ai pro­po­sé de ren­con­trer la Com­mis­sion, de mettre le pro­blème sur la table et d’examiner si, véri­ta­ble­ment, il est aus­si com­pli­qué que cela d’obtenir une déro­ga­tion tran­si­toire. Le dos­sier était solide : l’entreprise met­tait de bonne foi en place un pro­jet alter­na­tif pour res­pec­ter Reach. Mais cela prend des années. Nous sommes donc entrés en contact avec la Com­mis­sion et avec l’agence Reach, qui nous ont expli­qué qu’elles étaient là pour aider et non pour tuer des emplois. »

10 000 orga­nismes sont ins­crits au registre euro­péen des lob­bies, dont plus de mille sont Fran­çais[[LobbyFacts.eu]] Les acteurs défen­dant les inté­rêts du sec­teur pri­vé sont très lar­ge­ment majo­ri­taires. Par­mi eux, une cen­taine de cabi­nets de consul­tants et d’avocats conseils pour des entre­prises tels que celui d’Hervé Jouan­jean. Les clients de son cabi­net sont des entre­prises de taille moyenne. Les grandes entre­prises, en plus de faire appel occa­sion­nel­le­ment à un cabi­net de lob­bying ou d’avocats, ont leurs propres repré­sen­tants à Bruxelles. Dans le grand jeu du lob­bying auprès des ins­ti­tu­tions euro­péennes, les mul­ti­na­tio­nales béné­fi­cient ain­si d’un rap­port de forces favo­rable non seule­ment par rap­port aux ONG et aux syn­di­cats, mais aus­si par rap­port à leur concur­rentes plus petites et moins internationalisées.

Total, Engie, EDF : plus de 2 mil­lions d’euros par an en lobbying

Le pétro­lier Total, par exemple, a dépen­sé plus de 2,5 mil­lions d’euros de frais de lob­bying auprès des ins­ti­tu­tions euro­péennes en 2015. L’entreprise pétro­lière emploie six lob­byistes per­ma­nents, tous accré­di­tés auprès du Par­le­ment euro­péen. Total agit aus­si direc­te­ment auprès de la Com­mis­sion : elle a décro­ché sept ren­dez-vous avec ses repré­sen­tants en 2015. Dont l’une direc­te­ment avec le com­mis­saire à l’Énergie et au Cli­mat, Miguel Arias Cañete[[Le 4 sep­tembre 2015.]]. De quoi faire valoir les posi­tions de Total au plus haut niveau. Il s’agissait alors d’évoquer avec lui les pos­si­bi­li­tés d’investissement en Iran dans la pers­pec­tive de la fin des sanc­tions éco­no­miques contre la Répu­blique isla­mique, après l’accord obte­nu sur son pro­gramme nucléaire.

Les trois entre­prises fran­çaises qui dépensent le plus pour défendre leurs inté­rêts auprès de la Com­mis­sion sont toutes issues du sec­teur de l’énergie. EDF et Engie ont res­pec­ti­ve­ment 14 et 13 lob­byistes « mai­son » enre­gis­trés à Bruxelles, et déboursent cha­cune plus de 2,25 mil­lions d’euros de frais de lob­bying auprès des ins­ti­tu­tions européennes[[Chiffres de 2014 pour EDF, de 2015 pour Engie.]]. C’est fina­le­ment peu au regard des finan­ce­ments euro­péens reçus par ces deux entre­prises : 113 mil­lions d’euros pour Engie l’an pas­sé, plus de 3,5 mil­lions pour EDF.

Pour influer au mieux, mul­ti­plier les canaux

-792.jpg Et encore, s’il n’y avait que les lob­byistes des grandes mul­ti­na­tio­nales, ou des cabi­nets conseillant telle ou telle entre­prise de taille inter­mé­diaire… « Une grande firme adhère à une kyrielle de fédé­ra­tions. Ain­si, le plus sou­vent, une même posi­tion est por­tée par huit ou neuf canaux », explique le socio­logue Syl­vain Lau­rens, auteur du livre Les cour­tiers du capi­ta­lisme. Milieux d’affaires et bureau­crates à Bruxelles[[Aux édi­tions Agone, 2015.]], et qui a étu­dié pen­dant plu­sieurs années le milieu du lob­bying bruxellois.

Exemple ? Le sec­teur auto­mo­bile fran­çais. Miche­lin, Renault, Peu­geot ont leurs propres repré­sen­tants à Bruxelles et sont direc­te­ment ins­crits au registre euro­péen des lob­bies. De même que le Comi­té des construc­teurs auto­mo­bile fran­çais, que l’Association euro­péenne des construc­teurs auto­mo­biles ou que le Conseil natio­nal des pro­fes­sion­nels de l’automobile, autant de fédé­ra­tions aux­quelles les indus­triels de l’automobile sont adhé­rents. « Comme lob­byiste, vous êtes meilleur si vous défen­dez les inté­rêts du sec­teur, et pas seule­ment de votre entre­prise », assure Antoine Féral, ancien lob­byiste pour un groupe auto­mo­bile fran­çais. Il tra­vaille depuis vingt ans à Bruxelles. Il a étu­dié au Col­lège d’Europe, la for­ma­tion pri­vi­lé­giée des fonc­tion­naires et des lob­byistes euro­péens, avant de tra­vailler deux ans pour la Com­mis­sion, puis comme assis­tant par­le­men­taire, avant d’être recru­té par le sec­teur privé.

« Appro­cher l’échelon de base, car c’est là que se rédigent les textes »

« Pour chaque sec­teur, en tant que lob­byiste, vous devez ren­con­trer régu­liè­re­ment vingt à trente per­sonnes de la Com­mis­sion : le fonc­tion­naire junior, l’administrateur prin­ci­pal, le chef de sec­teur, le chef d’unité… Vous devez appro­cher l’échelon de base. C’est là que se rédigent les textes. Vous leur dites : “Ce point est impor­tant, car il y a tel type d’intérêt en jeu”. Le vrai tra­vail se fait au niveau de la Com­mis­sion. Le dépu­té com­plè­te­ra un vide dans un pro­jet de direc­tive, ou cor­ri­ge­ra ce qui ne convient pas. Sur des sujets spé­ci­fiques, le par­le­men­taire doit éga­le­ment être convain­cu. Nous devons donc le voir et le revoir, détaille le lob­byiste. Pour être écou­té, nous devons por­ter un mes­sage avec un conte­nu tech­nique. »

Pour Antoine Féral, tout cela ne pose aucun pro­blème. « Rien n’empêche que, une fois votre ren­dez-vous ter­mi­né, votre inter­lo­cu­teur ren­contre une entre­prise concur­rente, une ONG qui vous veut du mal, ou des élus d’un vil­lage concer­né par l’activité de votre employeur… Cha­cun est libre de venir s’exprimer. Mais quand il y a des ONG qui disent “pas de voi­ture en ville”, la dis­cus­sion est blo­quée d’entrée de jeu. Je pré­fère qu’une ONG dise “pas de voi­ture qui pol­lue, mais fai­sons tout pour déve­lop­per l’électrique” ».

« Ce sont les anti-OGM, les anti-pes­ti­cides qui fixent l’agenda »

C’est l’argument cen­tral des lob­byistes pré­sents à Bruxelles : leur acti­vi­té s’inscrit dans le débat démo­cra­tique. Les ONG n’ont-elles pas éga­le­ment la pos­si­bi­li­té de faire entendre leurs voix ? « Le lob­bying, c’est le contre-pou­voir de la socié­té civile au sens large. C’est à dire celui des ONG, des milieux pro­fes­sion­nels, des consom­ma­teurs, des syn­di­cats qui essaient de peser sur les pro­ces­sus de déci­sion com­mu­nau­taires pour faire valoir leur point de vue. Le lob­bying fait par­tie inté­grante du pro­ces­sus déci­sion­nel à Bruxelles », estime par exemple Daniel Gué­guen, lob­byiste auprès de l’Union euro­péenne depuis qua­rante ans.

Daniel Gué­guen dirige aujourd’hui son propre cabi­net de conseil en affaires euro­péennes, au cœur du quar­tier euro­péen de la capi­tale belge. Selon lui, les ONG exer­ce­raient même davan­tage d’influence que les mul­ti­na­tio­nales : « Contrai­re­ment à l’avis géné­ral, l’influence des lob­bies indus­triels et plus faible que celle de la socié­té civile à Bruxelles. J’en suis convain­cu. Ce sont les anti-OGM, les anti-pes­ti­cides qui fixent l’agenda, et les lob­bies indus­triels courent der­rière. »

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L’industrie chi­mique : dix fois plus puis­sante que Greenpeace 

Impres­sion sub­jec­tive d’un lob­byiste ou réa­li­té des dis­crets rap­ports de force à l’œuvre, à chaque éche­lon de l’administration com­mu­nau­taire ? Les orga­ni­sa­tions non gou­ver­ne­men­tales ont réus­si à for­cer un véri­table débat poli­tique sur des sujets que la Com­mis­sion et le sec­teur pri­vé auraient pré­fé­ré gérer dis­crè­te­ment, en se can­ton­nant au plan tech­nique. À l’exemple du débat public sur le trai­té trans­at­lan­tique de libre-échange (le Taf­ta), ou de celui sur les dan­gers des per­tur­ba­teurs endo­cri­niens, avec la mul­ti­pli­ca­tion des alertes de scien­ti­fiques sur le sujet[voir [entre­tien Bas­ta­mag « À Bruxelles, la vie des per­sonnes est moins prio­ri­taire que la bonne san­té de l’industrie chi­mique ».]]. Cela suf­fit-il à conclure que les ONG seraient de taille à affron­ter les lob­byistes défen­dant de puis­sants inté­rêts privés ?

« Nous pou­vons avoir l’impression que Green­peace dis­pose d’une grosse force de frappe parce que leur bureau de Bruxelles compte quinze sala­riés et un bud­get de 1,6 mil­lion d’euros en 2015[[source]]. C’est la plus grosse ONG à Bruxelles. Mais com­pa­rons la puis­sance de Green­peace à celle de la Fédé­ra­tion euro­péenne des indus­tries chi­miques, le CEFIC [Euro­pean che­mi­cal indus­trie coun­cil, ndlr]. Eux dis­posent de 150 employés et 40 mil­lions de bud­get par an, sou­ligne Syl­vain Lau­rens. Ce n’est pas à tra­vers des cam­pagnes d’influence concur­rentes que les choses se jouent. L’enjeu se situe au cœur des comi­tés d’expertise, là où les orga­ni­sa­tions indus­trielles sont sou­vent les seules à sié­ger. Les ONG n’ont pas tou­jours les moyens d’assister à ces huis-clos. Parce que le coût d’entrée est très éle­vé : il faut par­ler un lan­gage de toxi­co­logue, être capable d’amener un rap­port de 250 pages écrit par des scien­ti­fiques qua­li­fiés que l’on a éven­tuel­le­ment finan­cés. »

« J’aime la confron­ta­tion idéo­lo­gique et tech­nique »

À la décharge des lob­byistes, la grande majo­ri­té de leur acti­vi­té ne relève pas du scan­dale poli­ti­co-finan­cier, même si cela existe. En 2012, une enquête de l’Office euro­péen de lutte anti-fraude révèle qu’en échange de 60 mil­lions d’euros, le com­mis­saire à la San­té de l’époque, le Mal­tais John Dal­li, était prêt à adou­cir la direc­tive sur le tabac[[eur­ac­tiv]]. Le scan­dale a pris le nom de « Dal­li­gate ». Le lob­bying mené par les indus­triels consiste éga­le­ment à adres­ser des amen­de­ments clés en mains aux dépu­tés, libres à eux ensuite de les copier-col­ler ou non dans les pro­jets de loi.

« Des lob­bies, j’en vois très peu, témoigne Emma­nuel Mau­rel, dépu­té socia­liste au Par­le­ment euro­péen depuis 2014. C’est aus­si dû à mon posi­tion­ne­ment poli­tique », pré­cise l’élu issu de la gauche du PS. « Ce sont plu­tôt des ONG qui viennent me voir. Elles ont une exper­tise que je ne peux pas avoir. Sur un trai­té comme le Ceta [l’accord de libre-échange entre l’Europe et le Cana­da, ndlr], qui fait 1 600 pages, les ONG mobi­lisent des experts et nous aident à en sai­sir les enjeux. J’ai aus­si vu le sec­teur de la céra­mique, au sujet du sta­tut d’économie de mar­ché de la Chine et du Taf­ta. J’ai ren­con­tré le sec­teur du foie gras, les entre­prises Miche­lin, Alstom, ou encore une entre­prise d’armement. »

Le dépu­té, même peu per­méable aux argu­ments de l’industrie, ne rejette pas en bloc le dia­logue avec ses repré­sen­tants. Au contraire. « Je vois sou­vent le Medef et la CGPME [Confé­dé­ra­tion géné­rale des petites et moyennes entre­prises, ndlr]. En géné­ral, nous ne sommes d’accord sur rien. Mais j’aime la confron­ta­tion idéo­lo­gique et tech­nique. C’est vrai­ment fécond. J’aime écou­ter ces points de vue, cela ne m’empêche pas d’avoir ma propre opi­nion. »

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Un seul ren­dez-vous en deux ans pour la CFDT

Emma­nuel Mau­rel fait par­tie des quelques acteurs du pou­voir euro­péen davan­tage acquis à la cause des ONG envi­ron­ne­men­tales ou des tra­vailleurs qu’à celle des banques ou de l’industrie chi­mique. Si tant est que le lob­bying ne pose­rait aucun pro­blème démo­cra­tique, cela ne signi­fie pas néces­sai­re­ment que l’ensemble des points de vue soient enten­dus. Les tra­vailleurs, jus­te­ment : qui, à part quelques élus de gauche au Par­le­ment, fait valoir leurs inté­rêts ? Nombre de déci­sions prises à Bruxelles les concernent pour­tant, comme les recom­man­da­tions de la Com­mis­sion aux États membres en matière de poli­tique éco­no­mique, qui ont lar­ge­ment ins­pi­ré la loi Tra­vail en France[[voir Bas­ta !]]. Sans même évo­quer la ques­tion du point de vue des tra­vailleurs migrants polo­nais ou hon­grois, direc­te­ment tou­chés par les légis­la­tions euro­péennes sur le tra­vail détaché.

La CFDT est ain­si ins­crite au registre euro­péen des lob­bys, en tant qu’organisation syn­di­cale. Com­bien de ren­dez-vous a décro­chés le syn­di­cat, pour­tant consi­dé­ré comme ouvert aux réformes néo­li­bé­rales, avec des com­mis­saires euro­péens ou des membres de leur cabi­nets ces deux der­nières années ? Un seul. Com­bien pour Force ouvrière, pré­sente éga­le­ment à Bruxelles ? Zéro. Seule la Confé­dé­ra­tion euro­péenne des syn­di­cats (CES), cen­sée repré­sen­ter l’ensemble des syn­di­cats euro­péens, a plus de chance. Elle a décro­ché une cin­quan­taine de ren­dez-vous avec des membres et col­la­bo­ra­teurs hauts-pla­cés de la Com­mis­sion. Le Medef, quant à lui, a obte­nu vingt ren­dez-vous pour la seule année 2014[[Lob­by­Facts]]. Le Cercle de l’industrie, un think-tank qui a pour voca­tion de « faire valoir la posi­tion des grandes entre­prises indus­trielles fran­çaises auprès des Ins­ti­tu­tions euro­péennes », en a obte­nu 26. Et le puis­sant grou­pe­ment des patrons de l’industrie alle­mande, le Bun­des­ver­band Deut­scher Indus­trie (BDI) fait encore mieux, avec 41 ren­dez-vous. Sans par­ler des orga­ni­sa­tions patro­nales euro­péennes comme Busi­nes­sEu­rope (111 ren­dez-vous). Que répondent les lob­byistes d’entreprises à cette inéga­li­té d’écoute ?

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« Les lob­byistes font croire que ce qui se passe à Bruxelles n’est pas poli­tique »

« Le pro­blème, c’est que l’accès aux ins­ti­tu­tions euro­péennes n’est pas don­né à tout le monde, concède le lob­byiste Sté­phane Des­se­las, fon­da­teur d’un cabi­net qui compte des entre­prises de l’économie sociale par­mi ses clients. Le coût pour être repré­sen­té à Bruxelles consti­tue très cer­tai­ne­ment une bar­rière. Pour y remé­dier, j’avance l’idée d’un lob­byiste “com­mis d’office”, finan­cé par les pou­voirs publics pour repré­sen­ter ceux qui n’ont pas les moyens de se payer un lob­byiste clas­sique. Avec un tel dis­po­si­tif, on ne pour­rait plus dire que le lob­bying est réser­vé à cer­tains inté­rêts. Car à Bruxelles, nous sommes dans l’expertise, moins dans le poli­tique. Ici, si vous avez tech­ni­que­ment rai­son, vous avez aus­si poli­ti­que­ment rai­son. »

« Ce qui se passe au niveau de l’Union euro­péenne, c’est poli­tique, estime au contraire le dépu­té Emma­nuel Mau­rel. « Quand vous rédi­gez un accord de libre-échange, même ce qui appa­raît tech­nique, comme les normes sani­taires ou envi­ron­ne­men­tales, est bien poli­tique. Quand vous éla­bo­rez une réforme de la TVA, c’est extrê­me­ment tech­nique, mais der­rière il y a des ques­tions poli­tiques de fis­ca­li­té et de com­bat contre la fraude. Les lob­byistes veulent faire croire que ce qui se joue ici n’est pas poli­tique. Mais ils font eux-même de la poli­tique. La dif­fé­rence, c’est que la Com­mis­sion leur est acquise idéo­lo­gi­que­ment », conclut celui qui n’a pas été mis­sion­né par un inté­rêt par­ti­cu­lier, mais élu pour faire valoir l’intérêt général.

Rachel Knae­bel

Source : Bas­ta !

Cet article fait par­tie d’une série sur le lob­bying réa­li­sée en col­la­bo­ra­tion avec la rédac­tion du men­suel Alter­na­tives éco­no­miques dans le cadre d’un pro­jet com­mun de déve­lop­pe­ment du jour­na­lisme d’investigation éco­no­mique et social, sou­te­nu par la Fon­da­tion Charles Leo­pold Mayer.