Film-débat “il était une fois le salariat” avec Julien Dohet

08.03 2012 /
18h30 Botanique, Rue Royale 236 - 1210 Bxl

Pro­jec­tion film “il était une fois le sala­riat” dans le cadre du Fes­ti­val d’AT­TAC 2012

18h30 Bota­nique, Rue Royale 236 — 1210 Bxl

Débat avec Julien Dohet, his­to­rien, auteur du livre “Vive la sociale” et membre du “Col­lec­tif Ressort”.

Sujet du débat : “Capi­tal contre tra­vail, les gagnants et les perdants”.

Tarif adulte : 5 €

Tarif étu­diant & senior : 4 €

Tarif sans emploi : 3€


Cri­tique du film :

Le pro­pos de la réa­li­sa­trice, Anne Kun­va­ri, est de retra­cer l’his­toire de la condi­tion sala­riale depuis son émer­gence à la fin du XIXe siècle jus­qu’à nos jours, en deux volets d’en­vi­ron une heure cha­cun. Le décou­page est assez clas­sique, un avant et un après-1975, date qui mar­que­rait un bas­cu­le­ment radi­cal, un point de rup­ture dans la pro­gres­sion qua­si linéaire des acquis sociaux. Les titres don­nés aux deux par­ties, 1906 – 1975 : le temps de l’es­poir et 1976 – 2006 : le temps du doute, sont d’ailleurs expli­cites quant aux inten­tions de l’au­teure. Le XXe siècle aurait connu une pre­mière époque “glo­rieuse”, — les 70 pre­mières années — ponc­tuée de nom­breuses conquêtes sociales sous l’ac­tion du mou­ve­ment ouvrier prin­ci­pa­le­ment. La seconde, “piteuse”, serait mar­quée par la régres­sion tous azi­muts des droits sociaux.

Ce choix est en soi dis­cu­table. La “crise éco­no­mique”, comme on l’a long­temps nom­mée, ne s’est pas accom­pa­gnée immé­dia­te­ment d’un recul des droits sociaux, mais sur­tout d’une hausse spec­ta­cu­laire du chô­mage. On ne le croyait pas durable et il fut, dans un pre­mier temps, plu­tôt bien indem­ni­sé. En outre, quelques conquêtes majeures marquent la période contem­po­raine avec, entre autres, les lois Auroux, le pas­sage aux 39 heures puis aux 35 heures, les cinq semaines de congés payés. Même si ces acquis sont sans cesse mena­cés — mais n’en est-il pas tou­jours ain­si ? -, ils démentent en par­tie l’hy­po­thèse d’une his­toire linéaire.

Au fond, le choix d’une date n’est pas en soi cru­cial, mais il révèle dans le cas pré­cis la volon­té de plier la réa­li­té autour du pro­pos cen­tral, celui de la lutte des classes et de ses ava­tars, au prix de quelques défi­ni­tions au ton pro­fes­so­ral : “Au début de l’autre siècle [le XXe], la France est un pays de ren­tiers et de pro­prié­taires. Les tra­vailleurs sont ceux qui ne pos­sèdent rien, seule­ment leurs bras à vendre…”

Le rôle du com­men­taire (ser­vi par la voix éton­nam­ment grave de la comé­dienne Miou-Miou) est d’ailleurs déter­mi­nant tout au long du docu­men­taire ponc­tué d’in­ter­ven­tions diverses. Les “spé­cia­listes”, avec, pour le pre­mier volet, le socio­logue Robert Cas­tel, l’his­to­rien Jean-Pierre Le Crom et sur­tout le spé­cia­liste du droit du tra­vail Jacques Le Goff, dont on peut appré­cier l’ef­fort de nuance dans l’a­na­lyse. Dans le second volet, les éco­no­mistes Ber­nard Maris et Tho­mas Cou­trot (d’At­tac) entrent en piste et ren­forcent la tona­li­té “alter­cri­tique” du pro­pos. Peu de place donc pour le débat, les seuls contra­dic­teurs dési­gnés étant les patrons, manière comme une autre d’op­po­ser à la pen­sée unique une autre pen­sée unique.

Les autres invi­tés, ouvriers, cadres et employés de plu­sieurs géné­ra­tions, sont convo­qués là aus­si comme témoins à charge d’un pro­cès bou­clé d’a­vance. Le mon­tage — témoi­gnages (paroles d’ex­perts), texte off bâti comme un cours — donne à l’en­semble la consis­tance d’un pro­pos béton­né, impa­rable, qui plonge le spec­ta­teur dans l’hé­bé­tude face à la catas­trophe annon­cée. Ce n’é­tait pour­tant pas le pro­jet ini­tial de la réa­li­sa­trice : “Le décryp­tage que j’ef­fec­tue dans ce film a pour voca­tion d’ai­der les gens à réflé­chir sur ce qui leur arrive aujourd’­hui et à se pro­je­ter dans l’avenir”.

C’est peut-être la limite de ce genre de docu­men­taires-réqui­si­toires. A force de vou­loir démon­trer, ils nous ren­voient à notre propre impuis­sance. On pense notam­ment à Le chô­mage a une his­toire, de Gilles Bal­bastre, construit selon le même prin­cipe et pro­dui­sant les mêmes effets.

Bru­no Lapeyssonnie

Alter­na­tives Eco­no­miques n° 256 — mars 2007