Fin du Forum Social Mondial de Tunis.

Christophe Ventura : Je crois qu'il est impossible de rendre compte de la diversité et de la qualité des 1 200 activités qui ont été organisées pendant ces cinq journées (24-28 mars).

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Tou­jours sous la pluie, la 13e édi­tion du FSM s’est donc ter­mi­née. Une marche en soli­da­ri­té avec la Pales­tine à laquelle je n’ai pas pu par­ti­ci­per a clôt l’événement.

Du côté du bilan quan­ti­ta­tif, il semble que les objec­tifs soient rem­plis. Le choc du Bar­do ne semble pas avoir affec­té — ou peu — la par­ti­ci­pa­tion. C’est une vic­toire en soi. Être pré­sent après les évè­ne­ments était à mon sens la prin­ci­pale chose à faire. Quant à l’é­vé­ne­ment lui-même, il est en réa­li­té dif­fi­cile d’an­non­cer des chiffres véri­fiables en matière de par­ti­ci­pa­tion mais celui de 70 000 cir­cule et est lar­ge­ment repris. Plus de 5 000 orga­ni­sa­tions ( dont la moi­tié du Magh­reb) étaient pré­sentes. Je crois qu’il est impos­sible de rendre compte de la diver­si­té et de la qua­li­té des 1 200 acti­vi­tés qui ont été orga­ni­sées pen­dant ces cinq jour­nées (24 – 28 mars). 

Ce FSM aura per­mis à de nom­breuses coa­li­tions d’or­ga­ni­sa­tions de pré­pa­rer des évé­ne­ments déter­mi­nants comme la Confé­rence sur le cli­mat (COP 21) qui se tien­dra à Paris en décembre. Je crois que ce FSM fonc­tionne désor­mais à la fois comme une sorte de Fête de l’hu­ma­ni­té inter­na­tio­nale ouverte à toutes et tous et comme un point de ral­lie­ment ponc­tuel pour des coa­li­tions sta­bi­li­sées qui tra­vaillent régu­liè­re­ment ensemble — avec des res­sources dédiées — depuis une quin­zaine d’an­nées pour avan­cer sur des agen­das inter­na­tio­naux communs. 

Il offre un espace et une culture d’or­ga­ni­sa­tions pour cela. Au fond, sa fonc­tion est un peu celle d’une Foire de la socié­té civile, une Foire au sens médié­val du terme : espace de liens, d’é­changes et de tran­sac­tions entre des mondes loin­tains et connec­tés en recherche de com­plé­men­ta­ri­tés et de construc­tion de rela­tions pro­fi­tables durables. C’est donc un espace utile. Utile aus­si parce qu’il est le seul dis­po­nible au niveau inter­na­tio­nal. Ce point n’est pas secon­daire dans la période. 

Mais on sent bien que ce FSM évo­lue dans des condi­tions his­to­riques qui ne ne sont plus celles de sa créa­tion. De ce point de vue, l’his­toire a tran­ché. Il n’offre pas de clés pour résoudre une ques­tion plus glo­bale posée à la nébu­leuse d’or­ga­ni­sa­tions et de mou­ve­ments qui y par­ti­cipe : quelle est la stra­té­gie et quels sont les acteurs pour trans­for­mer le sys­tème éco­no­mique et poli­tique international ? 

A mon sens, notre mou­ve­ment ne doit pas être pris pour ce qu’il n’est pas. Sa diver­si­té est sa nature, sa frag­men­ta­tion son prin­cipe d’or­ga­ni­sa­tion. C’est un sujet liquide, pas solide. Il n’ est pas un acteur qui agit en fonc­tion de deci­sions prises. Le FSM est ce moment où le ” tout diver­si­fié” conflue avant de se re-diver­si­fié au tra­vers des flux. C’est là son point limite. Je crois qu’il ne peut rien offrir au-delà. 

Pour celles et ceux que cela inté­resse, voi­ci un des docu­ments issus de ce mil­lé­sime. Il s’ agit de l’Ap­pel des mou­ve­ments sociaux du FSM 2015 publié sur le site du CADTM.

“Unis, nous vain­crons le ter­ro­risme” ? C’est le titre de la marche qui se tien­dra demain 29 mars à Tunis. Après l’at­ten­tat du Bar­do, une réplique régio­nale du 11 jan­vier de Paris se pré­pare donc. Fran­çois Hol­lande, Mat­teo Ren­zi, le pré­sident polo­nais, de Pales­tine et d’autres seront donc là. 

Quelques jours pas­sés à Tunis confortent le sen­ti­ment de malaise devant ce type de bal­let. Tout de même, quand on sait l’im­pact de l’in­ter­ven­tion fran­co — anglo — amé­ri­caine en Libye sur le ren­for­ce­ment dji­ha­diste — je ne parle même pas de celui de l’ex­pé­di­tion amé­ri­caine en Irak de 2003 qui est le point d’o­ri­gine de l’é­mer­gence de Al-qai­da dans le pays, puis de Daesh- quand on regarde à quel point les pays qui financent et appuient ces mou­ve­ments (on pense notam­ment à l’A­ra­bie Saou­dite) sont pro­té­gés par les grandes puis­sances occi­den­tales, quand on voit les consé­quences de la poli­tique de nos pays en Syrie, quand on voit com­ment les gou­ver­ne­ments isla­mistes post-2011 en Tuni­sie ou en Égypte ont conti­nué les mêmes poli­tiques neo­li­be­rales que leurs pré­dé­ces­seurs — ces poli­tiques qui dis­loquent les éco­no­mies et les socié­tés — , tout ceci laisse sans voix.

Peut-on nous pré­ci­ser qui est “nous” ?

Pour com­prendre l’é­vo­lu­tion de la situa­tion dans la région et le phé­no­mène de l’E­tat isla­mique, je recom­mande un excellent ouvrage qui se lit comme un roman, “Le retour des dji­ha­distes”. Il est signé du jour­na­liste bri­tan­nique Patrick Cock­burn, l’un des meilleurs spé­cia­listes de la presse outre-manche du Moyen-Orient.

Je ter­mine sur le FSM. Mémoire des luttes (www.medelu.org) a co — orga­ni­sé un sémi­naire sur la situa­tion de la gauche et des mou­ve­ments sociaux dans le monde après la crise de 2008. Nous y revien­drons. Je relève une remarque d’une inter­ve­nante ita­lienne habi­tuée des Forums depuis leur ori­gine. Elle en est l’une des prin­ci­pales ani­ma­trices. Sa remarque est fort juste. “Quel est notre fonc­tion à nous, mou­ve­ments sociaux ? C’est de pro­duire de la par­ti­ci­pa­tion sociale. Mais aujourd’­hui, au FSM ou dans nos pays, le fait qu’il n’y ait pas de tra­duc­tion poli­tique de nos idées et de nos pro­po­si­tions abou­ti à une nou­velle situa­tion : nous pro­dui­sons de la frus­tra­tion !”. Nous y reviendrons.

Chris­tophe Ventura

Source de l’ar­ticle : FB de Ch. Ventura

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Décla­ra­tion de l’Assemblée des mou­ve­ments sociaux — Forum social mon­dial 2015

Tunis 27 mars

28 mars par Assem­blée des mou­ve­ments sociaux

Les peuples unis ne seront jamais vaincus !

Nous, réuni-e‑s lors de l’Assemblée des mou­ve­ments sociaux du Forum social mon­dial 2015 à Tunis, avec notre diver­si­té, pour construire un agen­da com­mun de luttes contre le capi­ta­lisme, l’impérialisme, le patriar­cat, le racisme et toutes les formes de dis­cri­mi­na­tion et d’oppression.

Nous avons construit une his­toire et un tra­vail com­mun qui a per­mis des avan­cées, avec l’espoir de réa­li­ser la vic­toire contre le sys­tème domi­nant et concré­ti­ser plu­sieurs alter­na­tives pour un déve­lop­pe­ment socia­le­ment juste et res­pec­tueux de la nature.

Les peuples du monde entier subissent aujourd’hui l’aggravation d’une crise pro­fonde du capi­ta­lisme dans laquelle les socié­tés pri­vées trans­na­tio­nales, les banques, les conglo­mé­rats média­tiques, les ins­ti­tu­tions finan­cières inter­na­tio­nales cherchent à accroître leurs pro­fits au prix d’une poli­tique inter­ven­tion­niste et néo-colo­nia­liste, avec la com­pli­ci­té des gou­ver­ne­ments libéraux.

Guerres, occu­pa­tions mili­taires, trai­tés néo-libé­raux de libre-échange (Trans­at­lan­tique, trans­pa­ci­fique, ALECA, UE-MERCOSUR, APE, MER­CO­SUR-Israël et dif­fé­rents trai­tés bila­té­raux) et poli­tiques d’austérité se voient tra­duits en paquets éco­no­miques qui pri­va­tisent les biens com­muns et les ser­vices publics, baissent les salaires, violent les droits, aug­mentent le chô­mage, la pré­ca­ri­té et la sur­charge des femmes dans le tra­vail de soins et détruisent la nature.

Ces poli­tiques néo­li­bé­rales affectent lour­de­ment à la fois les pays du Sud et les pays du Nord, aug­mentent les migra­tions, les dépla­ce­ments for­cés, les délo­ge­ments, l’endettement et les inéga­li­tés sociales. Elles ren­forcent le conser­va­tisme et le contrôle sur le corps et la vie des femmes. Elles nous imposent « l’économie verte » comme fausse solu­tion à la crise envi­ron­ne­men­tale et ali­men­taire, ce qui non seule­ment aggrave le pro­blème, mais débouche sur la mar­chan­di­sa­tion, la pri­va­ti­sa­tion et la finan­cia­ri­sa­tion de la vie et de la nature. 

Nous affir­mons que les peuples ne sont pas res­pon­sables de cette crise et ne doivent pas en payer le prix, et qu’il n’y a pas d’issue pos­sible au sein du sys­tème capi­ta­liste. Ici, à Tunis, nous réaf­fir­mons notre enga­ge­ment pour la construc­tion d’une stra­té­gie com­mune de lutte contre le capi­ta­lisme. C’est pour ça que, nous, les mou­ve­ments sociaux luttons : 

Contre les trans­na­tio­nales et le sys­tème finan­cier (FMI, BM et OMC), prin­ci­paux agents du sys­tème capi­ta­liste, qui pri­va­tisent la vie, les ser­vices publics et les biens com­muns comme l’eau, l’air, la terre, les semences, les res­sources miné­rales, pro­meuvent les guerres, violent les droits humains et pillent les res­sources. Les trans­na­tio­nales repro­duisent des pra­tiques extrac­ti­vistes nui­sibles à la vie, acca­parent nos terres et déve­loppent des semences et ali­ments trans­gé­niques qui privent les peuples de leur droit à l’alimentation et détruisent la biodiversité.

Nous lut­tons pour l’annulation de la dette illé­gi­time et odieuse qui est aujourd’hui un ins­tru­ment glo­bal de domi­na­tion, de répres­sion et d´asphyxie éco­no­mique et finan­cière des peuples. Nous refu­sons les accords de libre-échange que nous imposent les États et les trans­na­tio­nales et nous affir­mons qu’il est pos­sible de construire une mon­dia­li­sa­tion d’un autre type, par les peuples et pour les peuples, fon­dée sur la soli­da­ri­té et sur la liber­té de cir­cu­la­tion pour tous les êtres humains.

Nous sou­te­nons l’appel à la jour­née d’action inter­na­tio­nale contre les trai­tés de libre échange pré­vue le 18 avril 2015.

Pour la jus­tice cli­ma­tique et la sou­ve­rai­ne­té ali­men­taire parce que nous savons que le réchauf­fe­ment glo­bal est le résul­tat du sys­tème capi­ta­liste de pro­duc­tion, dis­tri­bu­tion et consom­ma­tion. Les trans­na­tio­nales, les ins­ti­tu­tions finan­cières inter­na­tio­nales et les gou­ver­ne­ments qui sont à leur ser­vice ne veulent pas réduire leurs émis­sions de gaz à effet de serre. Nous dénon­çons « l’économie verte », et refu­sons les fausses solu­tions à la crise cli­ma­tique comme les agro­car­bu­rants, les orga­nismes géné­ti­que­ment modi­fiés, la géo-ingé­nie­rie et les méca­nismes de mar­ché de car­bone, comme le REDD (Réduc­tion des Émis­sions liées à la Défo­res­ta­tion et à la Dégra­da­tion), qui font miroi­ter aux popu­la­tions appau­vries des pro­grès, tout en pri­va­ti­sant et trans­for­mant en mar­chan­dises les forêts et ter­ri­toires où ces popu­la­tions ont vécu pen­dant des millénaires.

Nous défen­dons la sou­ve­rai­ne­té ali­men­taire et l’agriculture pay­sanne qui sont les solu­tions réelles à la crise ali­men­taire et cli­ma­tique, ce qui signi­fie aus­si l’accès à la terre pour celles et ceux qui la travaillent.

Nous appe­lons à une grande mobi­li­sa­tion sur le cli­mat au mois de décembre 2015 à Paris en marge de la COP21. Fai­sons de 2015 l’année des mobi­li­sa­tions des mou­ve­ments sociaux par­tout dans le monde pour la jus­tice climatique.

Contre la vio­lence envers les femmes qui est exer­cée régu­liè­re­ment dans les ter­ri­toires occu­pés mili­tai­re­ment, mais aus­si contre la vio­lence dont souffrent les femmes quand elles sont cri­mi­na­li­sées parce qu’elles par­ti­cipent acti­ve­ment aux luttes sociales. Nous lut­tons contre la vio­lence domes­tique et sexuelle qui est exer­cée sur les femmes quand elles sont consi­dé­rées comme des objets ou mar­chan­dises, quand leur sou­ve­rai­ne­té sur leur corps et leur spi­ri­tua­li­té ne sont pas recon­nues. Nous lut­tons contre la traite des femmes, des filles et garçons.

Nous défen­dons la diver­si­té sexuelle, le droit à l’autodétermination du genre, et nous lut­tons contre l’homophobie et les vio­lences sexistes.

Nous appe­lons à sou­te­nir les actions de la 4e marche mon­diale des femmes entre mars et octobre 2015.

Pour la paix et contre la guerre, le colo­nia­lisme, les occu­pa­tions et la mili­ta­ri­sa­tion de nos ter­ri­toires. Nous dénon­çons le faux dis­cours de défense des droits humains et des com­bats aux inté­grismes, qui sont sou­vent uti­li­sés pour jus­ti­fier les inter­ven­tions mili­taires. Nous défen­dons le droit à la sou­ve­rai­ne­té et à l’auto-détermination des peuples. Nous dénon­çons l’installation des bases mili­taires étran­gères pour fomen­ter des conflits, contrô­ler et piller les res­sources natu­relles et pro­mou­voir des dic­ta­tures en divers endroits du monde.

Nous exi­geons des répa­ra­tions pour tous les peuples du monde vic­times du colonialisme.

Pour la démo­cra­ti­sa­tion des médias de masse et la construc­tion de médias alter­na­tifs, qui sont fon­da­men­tales pour faire ren­ver­ser la logique capitaliste.

Pour la résis­tance et la soli­da­ri­té : Nous lut­tons pour la liber­té de nous orga­ni­ser dans des syn­di­cats, des mou­ve­ments sociaux, des asso­cia­tions et toutes autres formes de résis­tance pacifique.

Nous dénon­çons l´intensification de la répres­sion contre les peuples rebelles, les arres­ta­tions, empri­son­ne­ments et assas­si­nats des acti­vistes, des étu­diants et des jour­na­listes. Ain­si que la cri­mi­na­li­sa­tion de nos luttes.

Ins­pi­rés par l’histoire de nos luttes et par la force réno­va­trice des peuples dans les rues, l’Assemblée des mou­ve­ments sociaux appelle toutes et tous à déve­lop­per des actions de mobi­li­sa­tion coor­don­nées au niveau mon­dial dans une semaine glo­bale de luttes contre le capi­ta­lisme du 17 au 25 octobre 2015.

Mou­ve­ments sociaux du monde entier, avan­çons vers une uni­té glo­bale pour défaire le sys­tème capitaliste !

Ren­for­çons notre soli­da­ri­té avec les peuples du monde qui luttent au quo­ti­dien contre l’impérialisme, le colo­nia­lisme, l´exploitation, le patriar­cat, le racisme et l’injustice, en Tuni­sie, en Pales­tine, au Kur­dis­tan, en Syrie, en Irak, en Lybie, en Grèce, en Espagne, au Bur­ki­na Faso, au Mali, au Congo (RDC), en Centre Afrique, au Saha­ra occidental…

Vive la lutte de tous les peuples !

Les peuples unis ne seront jamais vaincus !