Intervention de Bahar Kimyongür sur la Syrie à Geneve

Les mensonges et les demi-vérités concernant la Syrie sont si nombreux qu’en dresser une liste relève de la gageure.

Confé­rence sur la Syrie au Palais des Nations en marge de la 22e ses­sion du Conseil des droits de l’homme de l’ONU

Inter­ven­tion de Bahar Kimyongür

Genève, 28 février 2013

Bahar_Kimyongu_r.pngMes­dames et Messieurs,

Au moment où nous célé­brons dans la rage, l’impuissance et le deuil le deuxième anni­ver­saire de la guerre de Syrie, un énième retour en arrière sur la cou­ver­ture média­tique du conflit n’est pas inutile pour com­prendre le jusqu’au-boutisme des bel­li­gé­rants ayant conduit au pour­ris­se­ment de la situa­tion que nous connais­sons aujourd’hui.

Force est de consta­ter que dans les pays ali­gnés à la poli­tique étran­gère éta­su­nienne notam­ment la France, la Bel­gique, les Pays-Bas et l’Angleterre, seule une poi­gnée de jour­na­listes ont cher­ché à com­prendre la com­plexi­té de la situa­tion syrienne, nageant à contre-cou­rant dans un envi­ron­ne­ment hos­tile car domi­né par des bataillons d’intellectuels sen­ti­men­ta­le­ment et poli­ti­que­ment acquis à la cause rebelle.

Dès le début de la crise syrienne, des obser­va­teurs indé­pen­dants ont épin­glé de nom­breux cas de mani­pu­la­tion média­tique que cer­tains pro­fes­sion­nels de l’information ont véhi­cu­lés par­fois involontairement.

Croyant ser­vir la dis­si­dence syrienne et se confor­mer ain­si aux valeurs huma­nistes dont ils se targuent d’être les gar­diens, des jour­na­listes sérieux se sont conver­tis en ministres d’une pro­pa­gande aus­si mal­adroite que nocive.

Les ana­lyses poin­tues et la modé­ra­tion que l’on atten­dait d’eux ont cédé la place tan­tôt aux effets d’annonce et autres com­mu­ni­qués triom­pha­listes chan­tant les suc­cès mili­taires de la rébel­lion tan­tôt aux pam­phlets incen­diaires conspuant, dans une sur­en­chère de super­la­tifs outran­ciers, les pra­tiques répres­sives réelles ou fabri­quées des ser­vices de sécu­ri­té syriens.

Par naï­ve­té ou par convic­tion, par lâche­té ou par paresse, des jour­na­listes ont bafoué les prin­cipes élé­men­taires de leur pro­fes­sion comme l’enquête de ter­rain, la véri­fi­ca­tion des sources ou le recou­pe­ment de l’information.

Ils ont crié à la cen­sure tout en l’appliquant à l’encontre des voix cri­ti­quant la doxa occi­den­tale sur la Syrie.

Cer­tains d’entre eux n’ont pas eu peur de ver­ser dans la cari­ca­ture voire la calom­nie pour dis­cré­di­ter les voix dis­si­dentes qui offraient une vision indé­pen­dante de la situa­tion dans ce pays.

Des rumeurs col­por­tées sur les réseaux sociaux comme la pré­ten­due fuite à l’étranger du pré­sident syrien, son pré­ten­du train de vie fas­tueux, son pré­ten­du plan de repli en un ter­ri­toire alaouite ima­gi­naire ou encore sa pré­ten­due retraite sur un porte-avion russe ont été com­plai­sam­ment relayées par de très sérieuses agences de presse.

L’emballement média­tique pla­né­taire fabri­qué à par­tir des salves d’hoax anti-régime a eu pour prin­ci­pal effet de radi­ca­li­ser les forces loya­listes et de ridi­cu­li­ser les par­ti­sans d’une démo­cra­ti­sa­tion sin­cère de leur pays.

Ce fai­sant, les prin­ci­paux médias occi­den­taux n’ont pas mani­fes­té le même enthou­siasme lorsqu’il s’agissait de par­ler des citoyens pro­gou­ver­ne­men­taux démem­brés, mitraillés ou déchi­que­tés par les bombes des rebelles et de leurs alliés takfiristes.

Les déca­pi­ta­tions rituelles orga­ni­sées par ces der­niers n’ont pas sus­ci­té autant d’indignation que les exac­tions com­mises par l’armée gou­ver­ne­men­tale. Ni les appels au géno­cide des alaouites et des autres mino­ri­tés « impies » lan­cés dès le début de la crise syrienne dans cer­taines mos­quées du pays et via des chaînes satel­li­taires gol­fiques aux heures de grande écoute.

Ce n’est qu’un an et demi après les pre­mières mani­fes­ta­tions que la presse occi­den­tale a décou­vert les télé­co­ra­nistes de la haine comme le Syrien exi­lé en Ara­bie saou­dite Adnane Arour qui se targue pour­tant d’avoir des mil­lions d’adeptes en Syrie et dans le monde.

Il n’est pas pire sourd que celui qui ne veut pas entendre dit un vieil adage.

Concer­nant les atten­tats ter­ro­ristes visant les civils, de nom­breux jour­na­listes ont ver­sé dans les théo­ries du com­plot les plus gro­tesques en accu­sant le camp loya­liste de tuer déli­bé­ré­ment ses propres enfants pour dis­cré­di­ter l’opposition.

Quant aux acti­vistes pour la paix et la sou­ve­rai­ne­té des peuples qui, à Bruxelles, Paris ou Londres, prêchent déses­pé­ré­ment dans le désert, ils se sont vus sym­bo­li­que­ment inter­dire toute expres­sion d’empathie envers les civils inno­cents qui avaient le mal­heur de mou­rir sous le mau­vais drapeau.

Lorsqu’une équipe de la chaîne Al Ikh­ba­riya dont la célèbre jour­na­liste Yara Saleh, a été prise en otage par l’Armée syrienne libre (ASL) durant l’été 2012, les groupes de presse occi­den­taux ont joué aux trois singes.

Aucun média domi­nant pour­tant si enclins à défendre la liber­té d’information n’a même évo­qué la fin tra­gique de Hatem Abou Yahya, l’assistant cadreur de l’équipe exé­cu­té par ses ravisseurs.

La libé­ra­tion par l’armée gou­ver­ne­men­tale syrienne des trois autres membres de l’équipe n’a pas sus­ci­té plus d’engouement par­mi nos fai­seurs d’opinion.

Qui­conque sou­haite connaître l’ampleur du black-out média­tique qui a frap­pé l’équipe d’Al Ikh­ba­riya n’a qu’à pia­no­ter le nom de l’un de ses mal­heu­reux jour­na­listes sur un moteur de recherche. On ne trouve qua­si aucune trace de leur kidnapping.

En effet, en Occi­dent, seuls des sites mar­gi­naux et non-ali­gnés en ont parlé.

Les hor­reurs de la guerre ont été sys­té­ma­ti­que­ment impu­tées au régime syrien même celles que la rébel­lion a fiè­re­ment revendiquées.

Pen­dant deux ans, cer­tains pré­ten­dus experts de la Syrie ont clai­ron­né la « fin immi­nente » du régime en se basant entre autres sur les affir­ma­tions de l’Observatoire syrien des droits de l’homme (OSDH).

D’après leurs dires, le régime était « de plus en plus iso­lé ». Il était « aux abois », « cer­né de toutes parts ». Le pré­sident ne comp­tait plus que « quelques fidèles cor­rom­pus issus de sa communauté ».

Il paraî­trait même que toute la popu­la­tion était mobi­li­sée contre la dic­ta­ture d’une « secte », d’un « clan », d’une « famille », d’une « maf­fia ». Les jours, voire les heures du pré­sident étaient comptés.

En décembre 2011, le ministre des affaires étran­gères israé­lien Ehud Barak ne don­nait pas plus de quelques semaines ou mois avant la chute d’Assad (Le Monde, 6 décembre 2011).

L’ancien diplo­mate fran­çais Wla­di­mir Glas­man alias Ignace Lever­rier qui anime le blog de pro­pa­gande « Un œil sur la Syrie » héber­gé par Le Monde a cru bon de créer un fil info avec une « chro­nique du déli­te­ment du régime ». Mais son tor­rent de nou­velles triom­pha­listes s’est rapi­de­ment tari.

En août 2012, Gerhard Schind­ler, chef du ser­vice de ren­sei­gne­ment alle­mand BND, fait plus fort que ses homo­logues israé­liens. Il rejoint le club des pro­phètes et des oracles en décla­rant que (non pas les mois ou les semaines mais) les jours du régime du pré­sident Assad étaient comp­tés (RFI, 20 août 2012). Cette lumi­neuse pré­dic­tion vieille de plus de six mois revient en quelque sorte à affir­mer que tous les êtres vivants mour­ront assu­ré­ment un jour.

Le pre­mier ministre turc Recep Tayyip Erdo­gan pro­met­tait quant à lui de célé­brer la vic­toire des rebelles en allant très pro­chai­ne­ment prier dans la mos­quée des Omeyyades en Syrie (Hür­riyet, 5 sep­tembre 2012).

Depuis, beau­coup d’eau, de sang et de larmes ont cou­lé sous les ponts qui enjambent l’Oronte.

Les menaces d’intervention armée, le chan­tage, les coups d’esbroufe, les stra­té­gies sub­ver­sives qui vont des opé­ra­tions « false flags » à la mise à dis­po­si­tion par les pétro­mo­nar­chies arabes d’une enve­loppe de 300 mil­lions de dol­lars pour encou­ra­ger les défec­tions au sein du gou­ver­ne­ment syrien et de l’armée n’ont pas eu rai­son de la com­ba­ti­vi­té du régime (Le Figa­ro, 3 avril 2012 ; Rus­sia Today, 11 août 2012)

N’est-il pas sur­pre­nant que seule une infime mino­ri­té de hauts fonc­tion­naires d’un Etat pour­tant taxé de vénal et de cor­rom­pu ait cédé aux chants des sirènes mazou­tées du Golfe et suc­com­bé à la ten­ta­tion pécu­niaire que font miroi­ter des monarques aus­si bedon­nants que leurs barils de pétrole ? 

Per­sonne par­mi ces mes­sieurs de la grande presse pré­ten­du­ment bien infor­més n’a jugé bon d’associer le flegme du pré­sident syrien au sou­tien popu­laire, certes dif­fi­ci­le­ment quan­ti­fiable, mais bien visible et réel dont il jouit et à sa confiance en l’avenir.

Au lieu d’analyser la réa­li­té telle qu’elle est, les francs-tireurs de nos mass médias éber­lués par la zen atti­tude du pré­sident syrien se sont atte­lés à bros­ser le por­trait psy­cho­lo­gique d’un « tueur au sang froid ».

Dans une mau­vaise foi dont ils ont le secret, ils n’ont vu que des fac­teurs externes et mili­taires à son main­tien au pou­voir : la main invi­sible d’Hugo Cha­vez, l’armement russe et ira­nien, l’appui logis­tique du Hez­bol­lah, la ter­reur des mou­kha­ba­rats et des cheb­bi­has, la puis­sance de son avia­tion… Le peuple lui, était d’après eux, una­ni­me­ment acquis au ren­ver­se­ment du régime.

Seuls de rares jour­na­listes hon­nêtes ont ten­té de com­prendre com­ment une dic­ta­ture pou­vait mas­ser des cen­taines de mil­liers de sym­pa­thi­sants dans la rue sans pécule ni baïonnette.

Aux allé­ga­tions dépei­gnant une armée syrienne démo­ra­li­sée répon­daient des images de fan­tas­sins guille­rets et motivés.

Rares ont été les obser­va­teurs euro­péens qui ont ana­ly­sé objec­ti­ve­ment la com­ba­ti­vi­té de l’armée arabe syrienne et du Baas syrien, père de tous les baassismes.

Les stra­tèges occi­den­taux et leurs subor­don­nés arabes misaient sur un effon­dre­ment com­pa­rable à celui du régime ira­kien à la veille de la chute de Bag­dad en 2003. En vain.

Ils espé­raient voir pans entiers de l’armée syrienne rejoindre la rébel­lion comme lors de la guerre civile libyenne en 2011. En vain.

Il y a un mois à peine, Rami Abdel Rah­mane a dû recon­naître sur la chaîne d’information France 24 que le poids des défec­tions est sur­es­ti­mé. « Les défec­tions n’ont pas pesé sur l’armée syrienne » a‑t-il affir­mé. (France 24, 23 jan­vier 2013).

Dans la même inter­view, inter­ro­gé sur la créa­tion des Forces de défense natio­nale par l’armée syrienne, une for­ma­tion para­mi­li­taire de 50.000 femmes et hommes char­gée de défendre leur quar­tier contre les incur­sions rebelles, Rami Abdel Rah­mane tord le cou à un autre pré­ju­gé au grand dam de ceux qui taxent le gou­ver­ne­ment de Damas de « régime alaouite ».

Il dit en effet : « Ces nou­velles forces sont for­mées de per­sonnes de toutes les confes­sions. (…) Ce sont sim­ple­ment des per­sonnes qui sou­tiennent le régime et contrai­re­ment à ce que l’on pense, il y en a de toutes les communautés. »

« Contrai­re­ment à ce que l’on pense » sou­ligne-t-il. Et voi­là que la source syrienne la plus cré­dible aux yeux de l’Occident remet en ques­tion une idée lar­ge­ment répan­due. Répan­due par qui ?

Par les fabri­cants et les tra­fi­quants d’opinion qui peuplent les bureaux de rédac­tion de nos gazettes, nos hémi­cycles, les chaires uni­ver­si­taires, les centres d’études stra­té­giques et les pla­teaux de télévision.

Aujourd’hui, au bout de deux ans de guerre sans mer­ci, face à la téna­ci­té du régime et de la popu­la­tion loya­liste, les mêmes sources recon­naissent du bout des lèvres avoir été vite en besogne.

Deux ans et 70.000 morts plus tard, ils ont dû revoir leur copie.

Voyons à pré­sent quatre des sté­réo­types les plus remâ­chés, réchauf­fés et res­ser­vis par nos médias mainstream.

Théo­rie n°1 : Au début, le mou­ve­ment syrien de contes­ta­tion était pacifique.

C’est vrai et faux. Plu­sieurs dizaines de mani­fes­tants paci­fistes ont été tor­tu­rés et tués, notam­ment à Deraa. Ce ter­ro­risme d’Etat est injus­ti­fiable. Mais dès le début de la contes­ta­tion, les forces de sécu­ri­té ont éga­le­ment été la cible de tirs pro­ve­nant des mani­fes­tants. De nom­breux poli­ciers et mili­taires sont morts sous les balles des oppo­sants dès les pre­miers jours de la contes­ta­tion. Des réseaux de tun­nels et des caches d’armes ont été décou­verts y com­pris dans des mos­quées. La thèse de l’implication d’une « troi­sième force » com­po­sée d’éléments infil­trés et de pro­vo­ca­teurs n’a jamais été évo­quée par la presse occi­den­tale. Par ailleurs, des appels à la haine anti-alaouite, anti-chré­tienne, anti-chiite et anti-ira­nienne ont été scan­dés dans plu­sieurs mani­fes­ta­tions notam­ment à Jableh, Idleb et Jisr Al Chou­ghour. Les sons et images de ces émeutes dégui­sées en mani­fes­ta­tions paci­fiques à des­ti­na­tion du public inter­na­tio­nal abondent sur la toile mais les médias mains­tream n’y ont guère prê­té d’attention.

Théo­rie n°2 : l’extrémisme reli­gieux en Syrie n’existe pas. S’il existe, c’est le régime qui l’a fabriqué.

Dou­ble­ment faux. Si l’écrasante majo­ri­té des musul­mans sun­nites syriens rejettent l’extrémisme reli­gieux, il n’en est pas moins une menace bien réelle autant pour les musul­mans que les non musul­mans. Le tak­fi­risme, cette ver­sion fac­tice et fas­ciste de l’Islam consti­tue depuis tou­jours une menace exis­ten­tielle tant pour le natio­na­lisme arabe que pour la coha­bi­ta­tion paci­fique entre com­mu­nau­tés reli­gieuses. Les tak­fi­ristes syriens consi­dèrent en effet le baas­sisme comme une cause com­mu­niste, athée et per­verse à com­battre sans mer­ci par le dji­had. Les croyances issues ou ins­pi­rées de l’Islam telles que le chiisme, l’alaouisme ou l’ismaélisme sont logées à la même enseigne de même que le chris­tia­nisme et le judaïsme. Plu­sieurs imams sun­nites syriens ont été tués par les tak­fi­ristes car jugés déviants ou pro­gou­ver­ne­men­taux. Le der­nier en date, le cheikh Abdoul­la­tif al Jamil a été tué par les rebelles à la mos­quée de Sala­had­din à Alep au début de ce mois.

Deux sources d’inspiration sont à la dis­po­si­tion des isla­mo­fas­cistes syriens et étran­gers : les textes anciens comme les fat­was du théo­lo­gien syrien médié­val Ibn Tay­miyya et les chaînes satel­li­taires télé­co­ra­niques du Golfe comme Iqraa TV, Wes­sal TV, Safa TV, Quran i Kerim TV qui, sans inter­rup­tion, dis­til­lent la haine anti-chiite, anti-ira­nienne, anti-Hez­bol­lah et anti­na­tio­na­lisme arabe. Adnan Arour et tous les autres prê­cheurs de haine béné­fi­cient d’une cou­ver­ture média­tique pla­né­taire depuis bien avant le « prin­temps syrien ». Les dji­ha­distes ins­tal­lés en ter­ri­toire liba­nais sous l’impulsion du clan Hari­ri lui-même sou­te­nu par les Saou­diens depuis les accords de Taëf qui mirent fin à la guerre civile liba­naise (1975 – 1990) jouent un rôle de pre­mier ordre dans la frag­men­ta­tion de la socié­té syrienne sur base religieuse.

Les confron­ta­tions entre le régime laïc syrien et le tak­fi­risme ont une his­toire longue et san­glante. Elles ont culmi­né avec le mas­sacre de Hama en 1982. Les mino­ri­tés ont été plu­sieurs fois la cible de mas­sacres à carac­tère sec­taire. L’attentat visant le mau­so­lée chiite de Sai­da Zei­nab à Damas par les ter­ro­ristes du Fatah al Islam le 27 sep­tembre 2008 pré­fi­gure la guerre sec­taire actuel­le­ment menée par la rébel­lion tak­fi­riste contre le gou­ver­ne­ment de Damas et ses sou­tiens populaires.

Théo­rie n°3 : le régime syrien est alaouite

Archi­faux. Cette allé­ga­tion réduc­trice est, de sur­croit, offen­sante pour toutes les par­ties en conflit. Elle est offen­sante pour les nom­breux ministres, dépu­tés, diri­geants de syn­di­cats et de corps pro­fes­sion­nels, chefs d’état-major, offi­ciers supé­rieurs et moyens, sol­dats, poli­ciers et autres cen­taines de mil­liers de fonc­tion­naires non alaouites. Elle est tout aus­si offen­sante pour les nom­breux oppo­sants alaouites qui luttent contre le gou­ver­ne­ment. L’origine alaouite du pré­sident syrien et de cer­tains membres de son entou­rage ne fait pas de l’Etat syrien un « régime alaouite ». La Syrie est à la fois un Etat cultu­rel­le­ment mar­qué par l’Islam sun­nite de rite hané­fite et l’unique Etat laïc du monde arabe. La laï­ci­té syrienne est consa­crée par une for­mule omni­pré­sente dans la bouche des Syriens : Al din la Allah wal watan lel jemi’ : « La reli­gion est à Allah est la patrie est à tout le monde ». Curieu­se­ment, aucun média n’a enten­du par­ler de ce prin­cipe fon­da­men­tal qui fait de la Syrie un havre de paix intercommunautaire.
Mais, ces mêmes jour­na­listes ne se gênent pas d’utiliser les mêmes termes que les dji­ha­distes liés à Al Qaï­da pour qua­li­fier l’Etat syrien. Ils y voient des pri­vi­lé­giés alaouites par­tout. Pour­tant, les alaouites vivent pour la plu­part de maigres moyens et ne sont même pas offi­ciel­le­ment recon­nus en tant que com­mu­nau­té reli­gieuse. Sous la pré­si­dence de Bachar el Assad, près de 5.000 mos­quées sun­nites et 250 églises ont été construites ou res­tau­rées. En revanche, jamais l’Etat syrien n’a consa­cré un seul cen­time à l’entretien des lieux saints alaouites ni à la rému­né­ra­tion des chei­khs alaouites.
L’obsession de cer­tains médias et experts à vou­loir dési­gner leur enne­mi par son iden­ti­té eth­nique ou reli­gieuse est symp­to­ma­tique de ce vieux réflexe raciste et colo­nial qui consiste à infé­rio­ri­ser l’autre en l’enfermant dans une iden­ti­té réduc­trice, englo­bante, déper­son­na­li­sante et le cas échéant car­ré­ment stig­ma­ti­sante. Stig­ma­ti­sante car cer­tains médias occi­den­taux et dji­ha­distes tiennent les alaouites col­lec­ti­ve­ment res­pon­sables de crimes com­mis par des esca­drons de la mort pro­gou­ver­ne­men­taux pour­tant issus de toutes les com­mu­nau­tés du pays.

Il nous semble nor­mal de dire « le pré­sident alaouite Bachar el Assad » mais nous serions cho­qués si quelqu’un disait « le ministre juif des affaires étran­gères Laurent Fabius ».
Cer­tains jour­na­listes semblent avoir vite oublié le prin­cipe uni­ver­sel qui dit : « Ne fais pas à autrui ce que tu n’aimerais pas qu’on te fasse. »

Théo­rie n°4 : La rébel­lion est popu­laire. L’armée est honnie.

Thèse à moi­tié vraie donc à moi­tié fausse. Cette théo­rie lar­ge­ment répan­due en Occi­dent est pour­tant démen­tie par des lea­ders de l’Armée syrienne libre.
Inter­ro­gé par l’agence Reu­ters, Abou Ahmed, chef d’une milice de la Bri­gade al Taw­hid active à Alep depuis juillet 2012 déclare : « L’ASL a per­du son sou­tien populaire. »

Il estime que 70% de la popu­la­tion de la ville est pro­gou­ver­ne­men­tale (Yara Bayou­mi, Reu­ters, 8 jan­vier 2013).

Dans plu­sieurs quar­tiers alep­pins admi­nis­trés par la rébel­lion, la popu­la­tion se plaint d’actes de pillage et de mau­vais trai­te­ments infli­gés par les milices de l’ASL. La popu­la­tion excé­dée mani­feste régu­liè­re­ment aux cris de « ASL voleuse, nous vou­lons l’armée régu­lière » (Jaych al Hour hara­mi, bed­na jeych el nizami).

De l’autre côté de la bar­ri­cade, l’armée est constam­ment sol­li­ci­tée par la popu­la­tion. Il suf­fit de vision­ner les chaines télé­vi­sées gou­ver­ne­men­tales pour se rendre compte de l’ampleur de cette autre réa­li­té syrienne. On y voit des sol­dats accueillis en héros, nour­ris et choyés par la population.
Si les médias pre­naient exemple sur Anas­ta­sia Popo­va ou Robert Fisk, s’ils se don­naient la peine de par­cou­rir l’envers du décor, s’ils allaient inter­ro­ger les mil­lions de Syriens pro-gou­ver­ne­men­taux, neutres ou non poli­ti­sés, ils réa­li­se­raient que ces citoyens pré­fèrent res­ter sous la pro­tec­tion de l’armée et sous l’administration gou­ver­ne­men­tale qui leur assure des moyens de sub­sis­tance : un salaire, une retraite, des soins médi­caux, une ins­truc­tion etc. 

Les men­songes et les demi-véri­tés concer­nant la Syrie sont si nom­breux qu’en dres­ser une liste relève de la gageure.

Ceux qui pré­tendent sou­te­nir le peuple syrien lui ren­dront un bien grand ser­vice le jour où ils se résou­dront à décrire en toute impar­tia­li­té la souf­france de toutes ses composantes.

Peut-être que ce jour-là, les Syriens par­vien­dront à dépas­ser leurs dif­fé­rends et à trou­ver les voies de la récon­ci­lia­tion, seule condi­tion de leur sur­vie en tant que peuple libre.