Jean Ziegler choisit son camp : « Retournez les fusils ! »

À mesure que se pré­cise la débâcle dévas­ta­trice du vieux sys­tème capi­ta­liste, le citoyen res­pon­sable se devrait de prendre posi­tion. Le socio­logue suisse Jean Zie­gler, lui, n’y va pas par quatre che­mins : « Retour­nez les fusils ! »

À mesure que se pré­cise la débâcle dévas­ta­trice du vieux sys­tème capi­ta­liste, le citoyen res­pon­sable se devrait de prendre posi­tion. Le socio­logue suisse Jean Zie­gler, lui, n’y va pas par quatre che­mins : « Retour­nez les fusils ! »

L’ouvrage ini­tial date de 1980, mais Jean Zie­gler s’est sen­ti contraint de l’adapter aux temps pré­sents en le réécri­vant entiè­re­ment. À l’origine, explique l’auteur dans une inter­view au Point, le titre était repris d’un mani­feste de Trots­ki appe­lant le pro­lé­ta­riat enga­gé dans la pre­mière bou­che­rie mon­dia­li­sée à retour­ner leurs armes contre les capi­ta­lismes plu­tôt que contre leurs cama­rades du camp d’en face.

Trente-quatre ans après, rien n’a chan­gé, sinon en pire. Jean Ziegler :

« Les capi­ta­listes font aujourd’hui un maxi­mum de pro­fits en spé­cu­lant sur les ali­ments de base comme le riz, le maïs, le blé. Les prix explosent, et toutes les cinq secondes, un enfant de moins de dix ans meurt de faim. Aujourd’hui plus que jamais, il faut retour­ner les fusils. »

Devant son inter­lo­cu­teur aba­sour­di, Zie­gler tem­père à peine son sédi­tieux pro­pos. Non, non, il n’est pas ques­tion d’aller illi­co « flin­guer son ban­quier », mais au moins d’empêcher par tous les moyens les capi­ta­listes de semer la déso­la­tion sur toute la planète.

Et de don­ner l’exemple des cinq cents socié­tés ten­ta­cu­laires mul­ti­na­tio­nales échap­pant à tout contrôle, notam­ment à celui des États, s’appropriant 52,8 % du pro­duit mon­dial brut, cou­pables de mal­trai­tances contre leurs ouvriers, comme ces quelques 1 300 vic­times mortes dans les ruines de l’immeuble insa­lubre Rana Pla­za à Dacca.

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Chas­ser les grands prêtres des reli­gions malfaisantes

Or, la for­te­resse finan­cière néo­li­bé­rale n’est désor­mais guère plus salubre que le bâti­ment déla­bré de Dac­ca. De sinistres cra­que­ments en ont de nou­veau ébran­lé les fon­da­tions tout au long de la semaine pas­sée. Les méta­stases du can­cer sys­té­mique ont repris leurs lugubres ravages, frap­pant jusqu’aux der­niers refuges du sanc­tuaire : les places bour­sières et financières.

Et tout retour en arrière est désor­mais impos­sible. Les lettres ouvertes indi­gnées aux diri­geants du monde malade pour qu’ils changent de cap sont vaines et déri­soires. Comme le dit le ban­quier défro­qué Charles San­nat dans un de ses édi­tos du Contra­rien, il n’y a plus rien à espé­rer du sys­tème ago­ni­sant, ni de ses gouvernants :

« Il fau­drait tel­le­ment tout chan­ger, tel­le­ment tout bou­le­ver­ser que jamais, jamais un consen­sus ne pour­ra se faire sur des mesures d’une telle ampleur tant que nous ne serons pas tom­bés au fond du gouffre. Nous sommes au pied du mur mais cela ne change rien. Nous pou­vons glo­ser des heures et des heures sur quoi faire, com­ment le faire, pour­quoi le faire, nous ne ferons rien. Rien. »

Tout chan­ger, oui, dans les ins­ti­tu­tions comme dans les men­ta­li­tés. Tout chan­ger pour pas­ser au monde d’après en sur­mon­tant le chaos lais­sé par le monde d’avant. Mais qui pense sérieu­se­ment que l’on peut se débar­ras­ser d’un sys­tème sans écar­ter ceux qui s’en portent garants jusqu’à l’intolérable ? Qui croit qu’on puisse mettre hors d’état de nuire une reli­gion mal­fai­sante en res­tant sou­mis à ses grands prêtres et res­pec­tueux de ses temples ?

“Retour­nez les fusils ! Choi­sir son camp”.[[- Jean Zie­gler, “Retour­nez les fusils ! Choi­sir son camp”, Seuil, 294 pages.]] En vente dans toutes les bonnes librai­ries. L’idée — et l’urgence — méritent qu’on y réflé­chisse, non ? D’ailleurs qui par­mi vous, chers lec­teurs, n’y a pas déjà au moins secrè­te­ment pensé ?

Source de l’ar­ticle : POLITIS