La Crise des MMA (Mass-Médias Audiovisuels)

Peter Watkins

Depuis les années 1960, Peter Wat­kins étu­die le rôle des mass médias de l’au­dio­vi­suel dans la socié­té contem­po­raine. Par­mi ses réa­li­sa­tions : Punish­ment Park, qui vient de res­sor­tir, et La Com­mune (The Paris Com­mune of 1871), pro­duit en France en 1999.

L’a­vè­ne­ment du Paradoxe

Pen­dant les dix der­nières années, la crise des rap­ports entre les MMA et le public s’est sin­gu­liè­re­ment aggra­vée. Ce qui rend cette crise encore plus grave, c’est qu’elle demeure sous-jacente, et qu’elle ne fasse jamais l’ob­jet de débats publics. Aujourd’­hui, après 70 ans d’im­pact social par le ciné­ma hol­ly­woo­dien, nous n’a­vons tou­jours pas la tra­di­tion d’une dis­cus­sion cri­tique, sur la façon dont l’au­dio­vi­suel nous affecte. Nous allons au ciné­ma, nous allu­mons la télé­vi­sion, nous regar­dons, nous rions, nous sur­sau­tons. Nous savons que quelque chose se passe en nous et avec nous, et nous l’acceptons.

Dans les pre­miers temps des MMA (avant la télé­vi­sion), d’autres acti­vi­tés sociales, comme la lec­ture, l’é­cri­ture, la vie de famille et de quar­tier, struc­tu­raient le lien social, l’in­te­rac­tion humaine, à plu­sieurs niveaux ; cha­cune avait un rôle réel et impor­tant à jouer dans le fonc­tion­ne­ment de la socié­té. Nous conti­nuions à consa­crer du temps et un pro­ces­sus humain d’in­te­rac­tion à ces occu­pa­tions, et cela nous aidait (au moins dans une cer­taine mesure) à parer et à diluer les effets les plus mani­pu­la­teurs exis­tant lors des débuts du ciné­ma. Il y avait un équi­libre. Mais la télé­vi­sion a radi­ca­le­ment et rapi­de­ment chan­gé tout cela, en adop­tant et en adap­tant les aspects les plus auto­ri­taires du lan­gage et des struc­tures nar­ra­tives du ciné­ma, et en les impo­sant au monde entier par une satu­ra­tion média­tique qui n’est ni dis­cu­tée ni contes­tée, et dont la vitesse, l’ar­ro­gance, le secret et l’en­ver­gure sont presque stupéfiants.

La Cen­tra­li­sa­tion du Pou­voir des Médias

Aujourd’­hui les MMA sont aux mains d’une petite élite d’in­di­vi­dus puis­sants, qui ont amas­sé un pou­voir per­son­nel et poli­tique sans pré­cé­dent. En haut de l’é­chelle, il y a ceux qui pos­sèdent des empires média­tiques trans­na­tio­naux, comme Rupert Mur­doch ; ensuite il y a les cadres supé­rieurs, rédac­teurs en chef, res­pon­sables et pro­duc­teurs des grandes chaînes de télé­vi­sion publiques et pri­vées telles que la BBC en Grande-Bre­tagne, TF1 et France 2 en France, les ABC, NBC et CBS aux états-Unis, la CBC au Cana­da, le SVT en Suède, et leurs homo­logues dans des pays tels que le Nige­ria, l’I­rak, le Bré­sil, l’É­gypte et la Chine ; jus­qu’à ceux des petits pays afri­cains, des pays baltes, et de l’ex-Union sovié­tique. Quel que soit le niveau de démo­cra­tie (pré­ten­due) de ces états, les cadres supé­rieurs de la télé­vi­sion ne sont pas élus, et il y a par­mi eux très peu de femmes. Dans la plu­part des cas, le public ne connaît pas leurs noms et ne com­prennent pas leurs fonc­tions ; pour­tant ces pro­fes­sion­nels des médias jouent un rôle clef dans la cen­tra­li­sa­tion du contrôle social, dans la sur­vie de sys­tèmes poli­tiques auto­ri­taires et d’at­ti­tudes hié­rar­chiques envers les femmes, dans l’es­ca­lade de vio­lences sexuelles et phy­siques, dans le main­tien de cer­tains régimes répres­sifs ou xéno­phobes (comme en Irak ou en le You­go­sla­vie de Milo­se­vic), et par­tout, y com­pris en Occi­dent, dans la dimi­nu­tion de la capa­ci­té des médias à deve­nir un vrai moyen démo­cra­tique de com­mu­ni­ca­tion et d’interaction.

Il y a main­te­nant peut-être 250 satel­lites qui gra­vitent autour de la Terre ; beau­coup d’entre eux ren­voient des cen­taines de chaînes de télé­vi­sion numé­riques for­te­ment com­pres­sées, qui ciblent des sec­tions soi­gneu­se­ment choi­sies de la popu­la­tion mon­diale. Grâce à la pré­ci­sion de la tech­no­lo­gie numé­rique et à une très large cou­ver­ture géo­gra­phique, les forces du mar­ché mon­dial, alliées aux mass médias, ont atteint un pou­voir que même George Orwell n’au­rait pas pu imaginer.

Il y a quelques années, j’ai pro­non­cé un dis­cours sur la crise des médias, lors d’un col­loque de d’his­to­riens. Ces cher­cheurs n’a­vaient pas man­qué d’é­tu­dier cer­tains aspects de l’ef­fet du ciné­ma sur la socié­té. Un silence abso­lu régnait dans la salle tan­dis que je décri­vais le déve­lop­pe­ment de la tech­no­lo­gie satel­li­taire, et un des uni­ver­si­taires m’a dit par la suite, que la plu­part des audi­teurs n’a­vaient jamais eu vent de telles informations.

Manque de Dis­cus­sion et de Transparence

Aujourd’­hui, nous sommes confron­tés à un pay­sage par­ti­cu­liè­re­ment morne. Il n’y a presque pas de débat public au sein et au sujet des médias, et la plu­part des citoyens ignorent les consé­quences de la vio­lence véhi­cu­lée par les médias, l’ex­plo­sion du déve­lop­pe­ment des satel­lites et du numé­rique, le pro­blème connexe de la cen­tra­li­sa­tion du pou­voir par les magnats des médias, et la mul­ti­tude d’autres manières dont les médias pour­raient fonc­tion­ner. Tout cela, et beau­coup d’autres choses, est la consé­quence directe de l’ef­fon­dre­ment de la télé­vi­sion comme médium démo­cra­tique poten­tiel, et le refus par la plu­part des sys­tèmes d’é­du­ca­tion qui se spé­cia­lisent dans les médias d’a­bor­der cette crise.

Exa­mi­nons d’a­bord le bilan, au début du nou­veau mil­lé­naire, de l’ef­fon­dre­ment de la télé­vi­sion comme médium démo­cra­tique poten­tiel. Voi­ci une liste très sélec­tive des consé­quences de cette chute :

* Le refus par les MMA de par­ti­ci­per à une dis­cus­sion sur leurs poli­tiques de pro­gram­ma­tion, que ce soit en public ou à la télévision.

* L’u­ti­li­sa­tion dis­crète des tech­no­lo­gies satel­li­taires et numé­riques pour mon­dia­li­ser le pou­voir des médias, à l’in­su du public et sans aucune forme de vote ou de référendum.

* L’es­ca­lade et la pro­pa­ga­tion de la cor­rup­tion à l’in­té­rieur des médias de l’au­dio­vi­suel, celle-ci étant carac­té­ri­sée par une accu­mu­la­tion de pou­voirs per­son­nels, éco­no­miques et com­mer­ciaux, sans que les indi­vi­dus concer­nés aient à répondre de leurs actes devant le public.

* Des dépenses gigan­tesques, dans le monde du ciné­ma et de la télé­vi­sion com­mer­ciaux, pour des films et des émis­sions vio­lents et avi­lis­sants, qui visent sur­tout à conso­li­der le pou­voir de la culture de masse amé­ri­caine sur le mar­ché mon­dial, au lieu de per­mettre qu’au moins une par­tie de cet argent soit uti­li­sé par les pays pauvres pour la san­té, les sys­tèmes sani­taires et l’en­sei­gne­ment, par les orga­ni­sa­tions éco­lo­giques pour répa­rer les dégâts cau­sés par la pol­lu­tion, ou par les orga­ni­sa­tions de pro­mo­tion de la paix pour dimi­nuer les ten­sions politiques.

* Le refus par les médias de dis­cu­ter des méthodes dont ils se servent pour pré­sen­ter leurs pro­grammes (par exemple, les lan­gages frag­men­tés, telle que la ” Mono­forme ”), et des effets de ces méthodes, tels qu’une dimi­nu­tion de la capa­ci­té du spec­ta­teur à se concen­trer long­temps, et une mon­tée de l’agressivité.

* La mise en place de freins au déve­lop­pe­ment d’un ensei­gne­ment alter­na­tif et cri­tique pour les pro­fes­sion­nels des médias, au sein des orga­ni­sa­tions télé­vi­suelles comme dans les écoles de ciné­ma, de l’au­dio­vi­suel et du journalisme.

* La ten­dance à faire de la pro­pa­gande pour les forces du libre-échan­gisme mon­dial, et le refus d’employer le ciné­ma, la télé­vi­sion ou les édi­to­riaux pour sou­li­gner le prix humain de ces stra­té­gies éco­no­miques, ou pour dis­cu­ter de sys­tèmes sociaux, poli­tiques ou éco­no­miques alternatifs.

* Le refus à abor­der réel­le­ment la ques­tion de l’é­ga­li­té des sexes dans la socié­té d’aujourd’hui.

* Le refus par les MMA de cri­ti­quer tant soit peu l’hé­gé­mo­nie crois­sante de la culture hol­ly­woo­dienne, et leur empres­se­ment à accep­ter que les chaînes et les pro­grammes deviennent des pro­pa­ga­teurs de cette ” culture ” tyran­nique, sou­vent vio­lente, sim­pliste, qui domine le monde, et conti­nue à rava­ger les cultures locales et indi­gènes ain­si que leurs formes de communication.

* Enfin, et c’est plus grave, le refus per­ma­nent par les médias d’ac­cep­ter de par­ta­ger le pou­voir avec le public, ou de recon­naître, de quelque façon que ce soit, leur res­pon­sa­bi­li­té envers les citoyens et de déve­lop­per une rela­tion intel­li­gente avec eux.

Si la télé­vi­sion avait pris une direc­tion dif­fé­rente dans les années 1960 et 1970, et si elle avait tra­vaillé d’une façon plus ouverte et plus com­plexe avec le public, la socié­té serait aujourd’­hui beau­coup plus bien­veillante et juste, cela ne fait aucun doute pour moi. Les effets néga­tifs des mass médias de l’au­dio­vi­suel ont été immenses et, dans la plu­part des cas, dévas­ta­teurs, d’au­tant que nous avons refu­sé d’en prendre conscience. Si quel­qu’un avait signa­lé, dans les années 1950, que les réfri­gé­ra­teurs et les auto­mo­biles entraî­ne­raient une pol­lu­tion glo­bale de la pla­nète en 50 ans, il aurait été tour­né en ridi­cule. Idem pour celui qui aurait affir­mé que les ciga­rettes cau­se­raient la mort de cen­taines de mil­lions de per­sonnes avant la fin du siècle. Aujourd’­hui, en l’an 2000, nous connais­sons et admet­tons les causes et les effets de ces pra­tiques. Mais en ce qui concerne notre uti­li­sa­tion mas­sive de la culture de masse et de sa mono forme, à la télé­vi­sion et dans les films com­mer­ciaux, nous avons la même com­plai­sance que nous avions dans les années 1950, à l’é­gard des déchets toxiques et du tabac. Avec une dif­fé­rence de taille : aujourd’­hui, nous en subis­sons déjà les consé­quences, mais il n’y a ni connais­sance du pro­blème, ni dis­cus­sion. Pourquoi ?

La Mono­forme et la Cen­tra­li­sa­tion du Pouvoir

Dans la crise de la démo­cra­tie que je vais décrire, un des élé­ments clef est l’ab­sence totale de dis­cus­sion au sein des mass médias, ain­si que, en grande par­tie, dans le domaine appa­ren­té des études de com­mu­ni­ca­tion, sur la ” Mono­forme ” : sur les ques­tions de connaître sa nature et ses effets sur le déve­lop­pe­ment artis­tique du ciné­ma et de la télé­vi­sion, ses inci­dences sur la socié­té et sur la poli­tique, son lien étroit avec la mondialisation.

” Mono­forme ” est le mot que j’ai don­né, il y a 20 ans envi­ron, au lan­gage cen­tral uti­li­sé (au niveau du mon­tage, de la struc­ture nar­ra­tive, etc.) par la télé­vi­sion et le ciné­ma com­mer­cial pour pré­sen­ter leurs mes­sages. C’est un tor­rent d’i­mages et de sons, au mon­tage ner­veux, une struc­ture com­po­site dont les élé­ments sont assem­blés sans cou­tures appa­rentes et qui est pour­tant frag­men­tée ; ce lan­gage est deve­nu presque omni­pré­sent dans le ciné­ma et la télé­vi­sion d’au­jourd’­hui. Il est appa­ru tôt dans l’é­vo­lu­tion du ciné­ma, dans les films de pion­niers tels que D. W. Grif­fith, qui ont lan­cé l’u­sage d’en­chaî­ne­ments de plans courts, d’ac­tions paral­lèles, de pas­sages entre plans de pers­pec­tive dif­fé­rente (plan d’en­semble, plan rap­pro­ché), etc. De nos jours, elle com­prend aus­si des couches denses de musique, le brui­tage et les effets vocaux, des cou­pures de son brusques des­ti­nées à créer un effet de choc, d’in­nom­brables scènes satu­rées de musique, des formes de dia­logue ryth­mées et répé­ti­tives, une camé­ra en per­pé­tuel mou­ve­ment qui plonge, bouge, se tré­mousse, décrit des cercles, etc.

Il y a plu­sieurs grandes variantes de la Monoforme :

1. la prin­ci­pale, celle qui domine le plus, est la struc­ture nar­ra­tive mono­li­néaire tra­di­tion­nelle et clas­sique des soap-opé­ras, des séries poli­cières, et de plus de 98% des films pro­ve­nant d’Hol­ly­wood (le film hol­ly­woo­dien, ” The Insi­der “, dont je repar­le­rai, en emploie la forme la plus moderne) ;

2. celle uti­li­sée dans les jour­naux télévisés ;

3. celle que l’on trouve dans les jeux télé­vi­sés et les talk-shows ;

4. le mélange appa­rem­ment libre, décou­su et fluide de thèmes et de motifs visuels des clips de MTV.

Toutes les variantes de la Mono­forme pré­sentent des simi­li­tudes carac­té­ris­tiques, et on voit qu’elles dérivent de la même racine ; elles sont répé­ti­tives, pré­vi­sibles, et fer­mées dans leur rap­port avec les spec­ta­teurs. Contrai­re­ment aux appa­rences, elles uti­lisent toutes le temps et l’es­pace d’une manière rigi­de­ment maî­tri­sée, adap­tée aux dik­tats des médias, et non pas aux pos­si­bi­li­tés plus vastes, infi­nies même, des spec­ta­teurs. Ces variantes de la Mono­forme sont toutes basées sur le prin­cipe, tra­di­tion­nel chez les médias, selon lequel les spec­ta­teurs sont imma­tures et ont besoin de formes fami­lières de pré­sen­ta­tion pour ” être accro­chés ” (euphé­misme qui veut dire ” être mani­pu­lés ”). C’est pour­quoi beau­coup de pro­fes­sion­nels de l’au­dio­vi­suel dépendent de la vitesse, du mon­tage choc, et du fait de ne pas lais­ser aux spec­ta­teurs le temps de réfléchir.

Une des manières les plus faciles d’i­den­ti­fier la Mono­forme est de regar­der les infor­ma­tions télé­vi­sées pen­dant quelques jours, pour exa­mi­ner la façon dont ” l’in­for­ma­tion ” ou ” les faits ” sont pré­sen­tés. Les aspects les plus évi­dents de cette pré­sen­ta­tion sont les mots choi­sis par les com­men­ta­teurs et les jour­na­listes, le temps consa­cré à dif­fé­rents sujets, l’ordre d’im­por­tance dans lequel ils sont abor­dés, les gens qu’on voit à l’é­cran, l’es­pace de temps dont ils dis­posent pour par­ler, les images uti­li­sées pour illus­trer le repor­tage, etc. Un exa­men détaillé de ces pre­miers aspects révé­le­ra déjà des pré­ju­gés édi­to­riaux et des méthodes nar­ra­tives répétitives.

Cette par­tie visible de la nar­ra­tion est cadrée, décou­pée, com­par­ti­men­tée et res­treinte par la par­tie la plus pro­fonde de la Mono­forme, qui com­prend la struc­tu­ra­tion du temps et de l’es­pace au moyen du mon­tage. Les mou­ve­ments de la camé­ra, le cadrage et l’u­ti­li­sa­tion du son jouent éga­le­ment des rôles impor­tants. La meilleure façon de décrire cette struc­tu­ra­tion est d’i­ma­gi­ner une grille : |-|-| — |-| — |-|-|-|-| – | (les barres ver­ti­cales repré­sen­tant des coupes pra­ti­quées au mon­tage) pla­quée sur le tis­su vivant du repor­tage et des gens concer­nés, et à nos réac­tions, à la manière d’une machine à fabri­quer des frites.

Un des élé­ments prin­ci­paux de la Mono­forme, sur­tout dans ses deux pre­mières variantes, et sou­vent dans la troi­sième, est la struc­ture nar­ra­tive mono­li­néaire et ondu­lée : des scènes accro­cheuses au début, la pré­sen­ta­tion des per­son­nages prin­ci­paux, le déve­lop­pe­ment de l’in­trigue, divers temps morts et paroxysmes, et enfin le dénoue­ment. C’est une struc­ture nar­ra­tive anglo-saxonne de base, employée dans au moins 95% des récits qui passent à la télé­vi­sion et au cinéma.

La grille tem­po­relle et spa­tiale de la Mono­forme, |-|-| — |-| — |-|-|-|-| – |, est posée sur la struc­ture nar­ra­tive (qui lui sert de rails, pour ain­si dire), de sorte que le tout res­semble à des mon­tagnes russes, sur les­quelles les spec­ta­teurs montent et des­cendent à toute allure, en avan­çant tou­jours dans la même direc­tion. D’un exa­men détaillé des infor­ma­tions télé­vi­sées, par exemple, il se dégage que cette même méthode nar­ra­tive s’emploie heure après heure, année après année, quelle que soit la dimen­sion affec­tive du thème ou du sujet abordé.

Voi­là le pre­mier signe d’une défaillance grave. Ni les mass médias ni l’en­sei­gne­ment des médias ne mettent en ques­tion le prin­cipe élé­men­taire selon lequel la manière dont une infor­ma­tion est pré­sen­tée (y com­pris le lan­gage employé) a des effets impor­tants sur notre com­pré­hen­sion de cette infor­ma­tion, et sur nos réactions.

Pour­tant, la Mono­forme repro­duit à chaque fois une orga­ni­sa­tion simi­laire de sons et d’i­mages, avec une pré­ci­sion à la seconde près, ce qui estompe les dif­fé­rences entre un sujet et un autre, ain­si qu’entre des réac­tions affec­tives qui, sans cela, seraient peut-être très contras­tées. La tra­gé­die d’un acci­dent d’a­vion est pré­sen­tée de la même manière que quel­qu’un qui a peint ses concombres en rose, c’est-à-dire, à tra­vers la même struc­ture nar­ra­tive quadrillée.

Par consé­quent, il est de plus en plus dif­fi­cile d’é­ta­blir une dis­tinc­tion entre publi­ci­té et infor­ma­tions, entre vio­lence réelle et vio­lence simu­lée, entre acte cynique et acte de com­pas­sion ; tout est cou­lé dans le même moule rigide par les MMA d’aujourd’hui.

Ce sché­ma nar­ra­tif répé­ti­tif, qui est fer­mé dans la mesure où il ne laisse aux spec­ta­teurs ni le temps de réflé­chir, ni le temps d’in­ter­ve­nir, et qui bom­barde le spec­ta­teur de jux­ta­po­si­tions vio­lentes d’i­mages, de sons et de thèmes contra­dic­toires, a eu un effet dévas­ta­teur sur la socié­té pen­dant les der­nières décen­nies. Cou­pure. Cou­pure. Bruit. Incli­nai­son. Secousse. Cou­pure. Musique. Zoom. Mou­ve­ment cir­cu­laire. Petite phrase. Cou­pure. Bruit. Incli­nai­son. Pano­ra­mique. Cou­pure. Zoom. Cou­pure. Incli­nai­son. Secousse. Cou­pure. Musique. Choc. Boum. Cou­pure. Cou­pure. Mou­ve­ment cir­cu­laire. Cou­pure. Paroxysme. Cou­pure. Scène sui­vante. Répé­ti­tion du pro­cé­dé. Cou­pure. Cou­pure. Bruit. Incli­nai­son. Secousse. Coupure.


Par­mi les effets de cette uti­li­sa­tion des MMA, on peut citer :

Des trans­for­ma­tions et des alté­ra­tions dans nos rap­ports avec le temps et l’his­toire (pas­sé, pré­sent et futur) et leurs processus.

Des vio­lences à l’in­té­rieur de la famille et au niveau de la socié­té, sti­mu­lées tant par le fait de voir des actes bru­taux à l’é­cran que par l’a­gres­sion sous-jacente du lan­gage de l’audiovisuel.

Une accep­ta­tion accrue de struc­tures hié­rar­chiques dans la vie quo­ti­dienne, et dans les pro­ces­sus sociaux et politiques.

Une frus­tra­tion et une agres­si­vi­té refou­lées, cau­sées par notre réac­tion aux expé­riences secon­daires arti­fi­cielles four­nies par les infor­ma­tions télé­vi­sées et par beau­coup de docu­men­taires (on sait qu’on doit dou­ter : ” Est-ce que je devrais vrai­ment y croire ? C’est de la mani­pu­la­tion, n’est-ce pas ? Com­ment peut-on savoir si c’est vrai ? ça n’a pas l’air d’être objec­tif. J’ai l’im­pres­sion qu’on se sert de moi, et que je n’y peux rien “, etc.), et des espé­rances trom­peuses sus­ci­tées par la publi­ci­té, par des images de la socié­té de consom­ma­tion, par les sit­coms, etc.

Le rétré­cis­se­ment de notre expé­rience et de notre connais­sance de formes audio­vi­suelles alter­na­tives qui sont plus com­plexes et démocratiques.

Un écla­te­ment du lien social et, par consé­quent, un affai­blis­se­ment de notre envie de dis­cu­ter col­lec­ti­ve­ment des choix de socié­té, et d’é­chan­ger des idées sur les voies d’é­vo­lu­tion pos­sibles de notre monde et sur la ques­tion de savoir com­ment on peut empê­cher que la socié­té de consom­ma­tion ne détruise la planète.

‘La Face cachée de la Lune’

à part quelques pas­sages qui ont été cor­ri­gés ou ajou­tés pour ce site Web, la sec­tion pré­cé­dente est tirée de la pré­face de ” La face cachée de la lune “, une ana­lyse, en deux par­ties, de la crise des médias, que j’ai écrite pen­dant l’é­té 1997. Au cours des mois sui­vants, j’ai envoyé la pre­mière par­tie de cette ana­lyse (la deuxième par­tie traite des études en com­mu­ni­ca­tion) à des cadres supé­rieurs des chaînes natio­nales de télé­vi­sion de divers pays occi­den­taux : la BBC, Chan­nel 4, ITN et toutes les chaînes com­mer­ciales en Grande-Bre­tagne, la CBC cana­dienne, l’ABC aus­tra­lienne, TVNZ à Auck­land (en Nou­velle-Zélande), le SVT suède, la DR danoise et la NRK nor­vé­gienne. Des exem­plaires ont éga­le­ment été envoyés aux res­pon­sables de La Sept-Arte en France, et à un cer­tain nombre d’é­ta­blis­se­ments d’en­sei­gne­ment et d’ins­ti­tu­tions ciné­ma­to­gra­phiques, y com­pris le Bri­tish Film Ins­ti­tute à Londres (qui pro­pose un pro­gramme impor­tant d’é­tudes en com­mu­ni­ca­tion), l’Ins­ti­tut Sué­dois du Ciné­ma (qui joue lui aus­si un grand rôle dans ce domaine de l’en­sei­gne­ment) et L’Ins­ti­tut Dra­ma­tique à Stock­holm (un des pre­miers centres de for­ma­tion pour les ensei­gnants spé­cia­li­sés dans les études en communication).

” La face cachée de la lune ” s’a­dres­sait aux PDG, aux res­pon­sables de poli­tique géné­rale et de pla­ni­fi­ca­tion, aux res­pon­sables des pro­grammes édu­ca­tifs, aux direc­teurs de la for­ma­tion conti­nue (au sein de l’en­tre­prise), aux chefs des infor­ma­tions et aux pro­gram­ma­teurs. Dans le cadre du 75ème anni­ver­saire de la BBC, des exem­plaires ont été envoyés à au moins 15 de ses cadres supé­rieurs. La pre­mière par­tie de ” La face cachée de la lune ” est un texte de 18 pages. J’ai deman­dé à chaque cadre d’en faire des copies, et de les faire cir­cu­ler par­mi leurs col­lègues. Je pen­sais déjà à faire un site Web, et à y mettre une sélec­tion des réponses que j’au­rais reçues ; chaque envoi a donc été accom­pa­gné d’une lettre qui se ter­mi­nait sur les mots sui­vants : ” Je compte publier une sélec­tion des réponses que l’on vou­dra bien m’en­voyer ; à cette fin, je vous serais recon­nais­sant de me faire part de vos réac­tions et de celles de vos col­lègues, à ce texte. Je sais bien que tous ne seront pas d’ac­cord avec ce que j’ai écrit, mais mon but est de sus­ci­ter un débat, dans l’es­poir que le public pour­ra bien­tôt y participer.

” Trois ou quatre cadres supé­rieurs m’ont écrit pour dire qu’ils avaient reçu l’a­na­lyse, et qu’ils me répon­draient bien­tôt. Ils ne l’ont jamais fait. Sur les 80 exem­plaires envi­ron que j’ai envoyés, et les cen­taines de copies que les col­lègues des des­ti­na­teurs auraient pu lire dans dif­fé­rentes orga­ni­sa­tions, je n’ai reçu que deux réponses. L’une d’elles, écrite par une assis­tante de pro­duc­tion de la BBC, disait en sub­stance que je ne savais pas de quoi je par­lais, puisque je n’ha­bi­tais pas en Grande-Bre­tagne et que j’i­gno­rais donc tout de leur pro­gram­ma­tion. Elle a ajou­té qu’é­tant don­né que la BBC pro­dui­sait beau­coup de docu­men­taires excel­lents sur un grand nombre de sujets d’in­té­rêt mon­dial, sans négli­ger les pro­blèmes qui me pré­oc­cu­paient, il n’y avait pas de quoi se plaindre. L’autre réponse était signée par un cadre supé­rieur de la CBC cana­dienne, qui disait que, sans être d’ac­cord avec tout ce que je dis, il admet­tait que la vio­lence véhi­cu­lée par les médias audio­vi­suels était un grave problème.

Répres­sion dans les MMA

Le refus par les membres de ma pro­fes­sion de débattre de l’a­na­lyse de ” La face cachée de la lune ” n’est qu’une mani­fes­ta­tion de la crise dont je parle. Les diri­geants des MMA partent du prin­cipe qu’ils peuvent ou bien igno­rer toute cri­tique, et toute ten­ta­tive pour pro­vo­quer un débat public sur le rôle des mass médias, ou bien sou­mettre les gens au moyen de menaces, et que si cela ne suf­fit pas, ils peuvent tou­jours mar­gi­na­li­ser le cinéaste. Il y a beau­coup de preuves que ces tac­tiques de répres­sion sont très effi­caces. Sur ce site Web, je parle du manque de résis­tance orga­ni­sée ou col­lec­tive de la part des pro­fes­sion­nels des médias contre les excès de leur (notre) propre pro­fes­sion. Quelques rares cinéastes, pro­duc­teurs, écri­vains et tech­ni­ciens sont conscients des pro­blèmes décrits sur ce site, et ont essayé (ou essaient) de reje­ter ou de réfor­mer le sys­tème cor­rom­pu que les médias audio­vi­suels mon­diaux imposent à la socié­té. Mais la plu­part de ces indi­vi­dus sont tôt ou tard for­cés soit d’a­ban­don­ner leur métier, soit d’ac­cep­ter pas­si­ve­ment et silen­cieu­se­ment ce que se passe autour d’eux, afin de pou­voir conti­nuer à tra­vailler dans le domaine du ciné­ma ou de la télévision.

On ne trouve actuel­le­ment dans aucun autre domaine créa­tif une atmo­sphère aus­si empoi­son­née par la peur, le confor­misme, la répres­sion, le pou­voir indi­vi­duel et le mépris du public, que celle des MMA d’au­jourd’­hui. Certes, il y a dans les MMA des gens qui sont cho­qués et au déses­poir devant la cor­rup­tion ambiante, devant la dévas­ta­tion, aux mains de leurs col­lègues, du moyen de com­mu­ni­ca­tion que consti­tue la télé­vi­sion, devant des méga-entre­prises qui entravent les pos­si­bi­li­tés sociales et créa­tives immenses du ciné­ma, devant le manque de débats cri­tiques sur ces pro­blèmes de notre pro­fes­sion, et devant la répres­sion qui est sans cesse exer­cée afin d’empêcher de tels débats. C’est le dés­équi­libre entre les deux camps, entre ceux qui se délectent de la cor­rup­tion et de la mani­pu­la­tion du public (ou qui ne cessent d’ex­cu­ser ces maux), et ceux qui s’y opposent, c’est ce dés­équi­libre qui consti­tue la vraie tra­gé­die des MMA.


L’En­sei­gne­ment et la Crise de la Démocratie

J’ai com­men­cé à visi­ter des lycées et des uni­ver­si­tés vers la fin des années 1960, pour deman­der aux gens de sou­te­nir ” The War Game (La bombe) ” après sa sup­pres­sion par la BBC, et pour faire par­ti­ci­per des étu­diants et le public en géné­ral à un dia­logue cri­tique sur le rôle des mass médias. Depuis, j’ai orga­ni­sé des dis­cus­sions dans beau­coup de salles de classe, dans des lycées, des col­lèges d’en­sei­gne­ment tech­nique, des écoles de com­mu­ni­ca­tion et des uni­ver­si­tés, ain­si que dans des réunions publiques en Amé­rique du Nord, en Scan­di­na­vie, en Europe, en Aus­tra­lie et en Nou­velle-Zélande. Jus­qu’en 1980 à peu près, j’ai éga­le­ment pu par­ler à des gens réunis à l’in­té­rieur de dif­fé­rentes orga­ni­sa­tions télé­vi­suelles se trou­vant un peu par­tout dans le monde ; il y a eu des groupes repré­sen­tant divers niveaux de la hié­rar­chie, à par­tir des pro­duc­teurs et des pro­gram­ma­teurs, jus­qu’aux nou­veaux employés qui fai­saient leurs pre­miers stages de formation.

En 1979, en col­la­bo­ra­tion avec des amis à Syd­ney en Aus­tra­lie, j’ai pu mettre sur pied une asso­cia­tion de sur­veillance des médias, qui s’ap­pe­lait ” The Peo­ple’s Com­mis­sion ” ; elle orga­ni­sait des débats publics des­ti­nés à mettre en ques­tion le rôle cen­tra­li­sé des MMA, et avec d’autres groupes, elle a vive­ment contes­té la pro­cé­dure qui per­met­tait tra­di­tion­nel­le­ment aux chaînes de télé­vi­sion com­mer­ciales aus­tra­liennes de se voir renou­ve­ler auto­ma­ti­que­ment leur licence.

Pen­dant cette période, mes col­lègues et moi appré­ciions de mieux en mieux l’im­por­tance capi­tale du sys­tème édu­ca­tif, qui pou­vait ou bien contes­ter le pou­voir gran­dis­sant des médias audio­vi­suels, ou bien entra­ver cette mise en ques­tion. Le nÏud du pro­blème concer­nait ce qui s’ap­pelle les études de communication.

Dès l’o­ri­gine, l’ex­pres­sion ” études de com­mu­ni­ca­tion ” [media edu­ca­tion, or media stu­dies] était vague et sou­vent trom­peuse. Elle don­nait l’im­pres­sion que les étu­diants étu­die­raient le fonc­tion­ne­ment des médias, et qu’ils sau­raient donc por­ter un regard cri­tique sur ce qu’ils lisent, ce qu’ils voient et ce qu’ils entendent. La réa­li­té a été tout autre chose.

Au début, les études de com­mu­ni­ca­tion com­pre­naient de vraies cri­tiques ; dans les années 1960 et 1970, les uni­ver­si­taires qui ana­ly­saient les médias, sou­vent d’un point de vue mar­xiste, ont bien sou­li­gné les rap­ports entre les médias et les inté­rêts com­mer­ciaux, etc. Mais au cours des années 1970, les sys­tèmes alliés des MMA et des conven­tion­nels d’é­tudes de com­mu­ni­ca­tion (PCEC) (ce der­nier terme com­pre­nant la plu­part des pro­grammes d’é­tudes de com­mu­ni­ca­tion que pro­posent les uni­ver­si­tés, les lycées et les col­lèges d’en­sei­gne­ment tech­nique), ces deux sys­tèmes, donc, ont com­men­cé à se replier sen­si­ble­ment sur eux-mêmes ; ils ten­daient de plus en plus à deve­nir homo­gènes, et à s’op­po­ser aux débats cri­tiques. Vers le milieu des années 1980, il y avait tel­le­ment d’obs­tacles à l’in­té­rieur des MMA qu’il n’é­tait plus pos­sible de débattre avec de jeunes pro­duc­teurs de télé­vi­sion ; les portes des chaînes de télé­vi­sion étaient fer­mées. Et peu de temps après, il est deve­nu plus dif­fi­cile d’or­ga­ni­ser des dis­cus­sions avec ceux qui fai­saient des études de com­mu­ni­ca­tion, dans les lycées et les uni­ver­si­tés. En ce qui concerne mes propres acti­vi­tés, les ensei­gnants de com­mu­ni­ca­tion com­men­çaient à bou­der mes confé­rences, et on com­men­çait à décou­ra­ger les étu­diants d’y assis­ter. Je com­men­çais à ren­con­trer d’autres ensei­gnants qui se heur­taient à une oppo­si­tion du même genre quand ils expri­maient des idées critiques.

Grâce à l’ex­pan­sion rapide des MMA pen­dant les 30 der­nières années, les études de com­mu­ni­ca­tion (et sur­tout la for­ma­tion pro­fes­sion­nelle) sont deve­nue une indus­trie gigan­tesque, dont la valeur se chiffre dans les mil­lions de dol­lars. Il y a main­te­nant des centres d’en­sei­gne­ment télé­vi­suel et ciné­ma­to­gra­phique innom­brables à tra­vers le monde, et des cen­taines d’u­ni­ver­si­tés qui pro­posent, dans le cadre de leur pro­gramme d’é­tudes de com­mu­ni­ca­tion, des stu­dios de télé­vi­sion bien équi­pées et des for­ma­tions pro­fes­sion­nelles. La ques­tion capi­tale est de savoir quel rôle tout cet ensei­gne­ment joue dans la crise des médias dont ce site Web brosse le tableau ? Quelle pro­por­tion de cet ensei­gne­ment est vrai­ment cri­tique ? Et s’il y a tant d’en­sei­gne­ment dans ce domaine, pour­quoi le public en sait-il tou­jours si peu sur ce que font les médias, pour­quoi les spec­ta­teurs ne sont-ils pas plus cri­tiques à l’é­gard des médias, et pour­quoi le silence règne-t-il, au lieu d’une vive polé­mique sus­cep­tible de déclen­cher des réformes pour remé­dier à cette crise ?

Voi­ci une liste som­maire et par­tielle de ce qui est allé de tra­vers pen­dant les 25 der­nières années environ :

* Les pro­grammes conven­tion­nels d’é­tudes de com­mu­ni­ca­tion (PCEC) n’ont pas seule­ment refu­sé de déve­lop­per des formes d’en­sei­gne­ment alter­na­tives et cri­tiques, mais encore ils ont sou­te­nu les efforts des mass médias pour cen­tra­li­ser leur pou­voir, Ceci a entraî­né une com­plai­sance géné­ra­li­sée, à l’é­gard des médias, chez plu­sieurs géné­ra­tions d’é­tu­diants en com­mu­ni­ca­tion, et une dis­pa­ri­tion des mass médias du champ de la dis­cus­sion publique.

* Les PCEC (sur­tout dans l’en­sei­gne­ment supé­rieur) ont refu­sé d’u­ti­li­ser les équi­pe­ments et les res­sources des uni­ver­si­tés pour des recherches cri­tiques sur les effets mon­diaux des médias ; beau­coup d’u­ni­ver­si­tés sont plu­tôt deve­nues des clones de centres de pro­duc­tion d’Hol­ly­wood. L’en­sei­gne­ment supé­rieur n’a pas tenu compte des effets énormes des MMA sur nos rap­ports avec, entre autres, le temps (y com­pris notre capa­ci­té à nous concen­trer long­temps sur une chose) et l’histoire.

* Les PCEC ont refu­sé d’a­na­ly­ser d’un Ïil cri­tique les effets néfastes et tout par­ti­cu­liers de la Mono­forme sur la socié­té ; ils ont plu­tôt légi­ti­mé l’u­sage très répan­du de ce lan­gage manipulateur.

* Les PCEC ont ins­ti­tu­tion­na­li­sé la mar­gi­na­li­sa­tion d’en­sei­gnants et de cinéastes qui ont essayé de déve­lop­per une péda­go­gie cri­tique des médias pen­dant les 20 der­nières années. Ain­si, beau­coup de lycées et (sur­tout) d’u­ni­ver­si­tés et de centres d’é­tudes de com­mu­ni­ca­tion ont ins­tau­ré des pra­tiques de recru­te­ment sélec­tives pour être sûrs de n’employer que cer­tains types d’en­sei­gnants, à savoir ceux qui sont peu cri­tiques. r Les PCEC ont joué un rôle majeur dans la dis­sé­mi­na­tion de la vio­lence média­tique pen­dant les der­nières années, en ensei­gnant des lan­gages vio­lents tels que la Mono­forme, et en encou­ra­geant les étu­diants à adop­ter une atti­tude non-cri­tique à l’é­gard de la bru­ta­li­té que l’on voit à l’é­cran, et par exten­sion, à l’é­gard du sexisme, de l’es­prit de com­pé­ti­tion, et d’autres com­por­te­ments agressifs.

* Les PCEC ont (beau­coup plus que ce qu’ils veulent bien recon­naître) refu­sé d’a­na­ly­ser les effets dévas­ta­teurs des MMA sur la place des femmes dans la socié­té, et d’é­tu­dier ou de favo­ri­ser le déve­lop­pe­ment de l’é­ga­li­té des sexes au sein des mass médias.

* Les PCEC ont lar­ge­ment accep­té les formes les plus hégé­mo­niques de la culture de masse audio­vi­suelle, sur­tout celles qui émanent de la télé­vi­sion et du ciné­ma amé­ri­cains ; ils ont ain­si sen­si­ble­ment affai­bli les spé­ci­fi­ci­tés locales et régio­nales dans le domaine de l’audiovisuel.

* L’ac­cep­ta­tion (il fau­drait peut-être dire ” le culte ”) très répan­due, dans les uni­ver­si­tés, d’une culture de masse hol­ly­woo­dienne, véhi­cu­lée par les soap-opé­ras, les séries poli­cières, les jeux télé­vi­sés, etc., est au cÏur de ce problème.

* Les PCEC ont refu­sé, dans l’en­semble, d’en­cou­ra­ger les étu­diants à adop­ter une atti­tude cri­tique vis-à-vis de la socié­té de consom­ma­tion ou vis-à-vis des effets néga­tifs du capi­ta­lisme libre-échan­giste mon­dial : l’ex­ploi­ta­tion, l’a­vi­di­té, la cor­rup­tion éco­no­mique et la spo­lia­tion de la pla­nète. à cette fin, les PCEC n’ont fait par­ti­ci­per les étu­diants à aucune forme de dia­logue sur les sys­tèmes sociaux et poli­tiques dans les­quels ils vivent.

* Les PCEC ont refu­sé d’exa­mi­ner des pra­tiques média­tiques alter­na­tives qui auraient pu modi­fier le rap­port de forces entre le public et les mass médias. Ils n’ont pas encou­ra­gé leurs étu­diants à exa­mi­ner ou à uti­li­ser des lan­gages alter­na­tifs ou per­son­nels, et ils les ont décou­ra­gés d’in­té­grer les mass médias avec un point de vue indi­vi­duel et un esprit cri­tique. L’en­sei­gne­ment des médias n’a pas per­mis aux étu­diants d’a­voir des dis­cus­sions cri­tiques avec le public, ou de par­ti­ci­per à des exer­cices péda­go­giques aux­quels celui-ci peut jouer un rôle.

Il y a, bien enten­du, des excep­tions. Un cer­tain nombre d’en­sei­gnants ont effec­ti­ve­ment éla­bo­ré des pro­grammes cri­tiques avec leurs étu­diants pen­dant les 25 der­nières années, et quelques-uns s’ef­forcent tou­jours de le faire. Mais il est évident que ces excep­tions deviennent de plus en plus rares et iso­lées. En géné­ral, les pro­fes­seurs de com­mu­ni­ca­tion qui essaient d’al­ler à contre-cou­rant de la ten­dance géné­rale sont mis à l’é­cart de la plu­part de leurs col­lègues (et sou­vent bou­dés par eux) dans le sys­tème régio­nal ou natio­nal d’en­sei­gne­ment de la com­mu­ni­ca­tion. Il est très dif­fi­cile de trou­ver des uni­ver­si­tés, dans quelque pays que ce soit, qui, au niveau ins­ti­tu­tion­nel, encou­ragent vrai­ment un esprit cri­tique à l’é­gard des mass médias. Et il est tout aus­si dif­fi­cile de trou­ver un éta­blis­se­ment d’en­sei­gne­ment télé­vi­suel ou ciné­ma­to­gra­phique pro­fes­sion­nel, ou une école natio­nale de ciné­ma, qui tra­vaille en dehors des limites et des attentes rigides du sys­tème hollywoodien.