Libye : ce sont les rebelles qui bombardaient, pas Kadhafi

En dépit des informations transmises par certains médias, il n’a jamais été démontré que des avions ou des hélicoptères aient tiré sur les manifestants à Tripoli

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Par Simon de Beer

Source de l’ar­ticle : Investig’action

Héli­co­ptères d’assaut MI-35 avec mitrailleuses et paniers de roquettes, avions de chasse Mig-23, voi­là le genre d’arsenal avec lequel les rebelles libyens ont mené à bien leur « révo­lu­tion démo­cra­tique ». Alors qu’il est désor­mais éta­bli que Kadha­fi n’a pas bom­bar­dé sa popu­la­tion, force est de consta­ter que les rebelles ne se sont pas pri­vés, de leur côté, de bafouer la « no-fly zone » impo­sée par l’ONU. Pire, ils ont reçu pour cela le sou­tien et la béné­dic­tion de l’OTAN… Un « deux poids, deux mesures » qui en dit long sur nos soi-disant « guerres humanitaires ».

Six mille morts. Ce chiffre a fait le tour de médias. A l’époque, tous assu­raient que Kadha­fi avait fait bom­bar­der la popu­la­tion libyenne, des­cen­due paci­fi­que­ment dans la rue pour contes­ter le pou­voir du dic­ta­teur en place depuis qua­rante ans. L’information était pour le moins peu fiable puisqu’elle ne pro­ve­nait que d’un seul homme, un cer­tain Ali Zei­dan, porte-parole auto­pro­cla­mé de la Ligue Libyenne des Droits de l’Homme et membre émi­nent de l’opposition. Aujourd’hui, Ali Zei­dan occupe la fonc­tion de Pre­mier ministre libyen. Au sein du nou­veau gou­ver­ne­ment, per­sonne ne semble lui repro­cher d’avoir pro­vo­qué, par ses men­songes, les bom­bar­de­ments de l’OTAN qui ont mené au ren­ver­se­ment de Kadhafi.

Pour­tant, Ali Zei­dan n’a pas fait dans la den­telle. Loin des 6000 morts annon­cés, on estime désor­mais que le nombre de vic­times s’élevait en fait à envi­ron 300 avant les bom­bar­de­ments de l’OTAN. Ces chiffres pro­viennent des rap­ports d’organisations res­pec­tables telles qu’Amnes­ty Inter­na­tio­nale, Human Rights Watch et la Fédé­ra­tion Inter­na­tio­nale des Ligues des Droits de l’Homme. Ils consti­tuent les seuls chiffres docu­men­tés que l’on ait et concordent avec ceux avan­cés par le gou­ver­ne­ment libyen au moment du conflit. Un nombre de morts par­ti­cu­liè­re­ment révé­la­teur de l’hypocrisie des pays occi­den­taux puisqu’il est près de trois fois infé­rieur à celui des vic­times de Mou­ba­rak en Egypte à la même époque. Une répres­sion dont nos médias se gar­dèrent bien de révé­ler l’ampleur, et pour cause : du temps de Mou­ba­rak, l’Egypte était l’un des meilleurs alliés de l’Occident au Proche-Orient. La Libye de Kadha­fi, en revanche, déran­geait par sa trop grande indé­pen­dance. Tout pré­texte était donc le bien­ve­nu pour jus­ti­fier un chan­ge­ment de régime

Quant au fait que Kadha­fi aurait « bom­bar­dé » la popu­la­tion libyenne, on sait désor­mais qu’il s’agit là aus­si d’un média­men­songe. « En dépit des infor­ma­tions trans­mises par cer­tains médias, il n’a jamais été démon­tré que des avions ou des héli­co­ptères aient tiré sur les mani­fes­tants à Tri­po­li », assure Human Rights Watch. Par contre, les rebelles ont fait de leur côté usage d’avions de chasse et d’hélicoptères. En effet, à en croire un article du Figa­ro paru en sep­tembre 2011, ils avaient à leur dis­po­si­tion dès le 14 mars – c’est-à-dire avant l’entrée en guerre de l’OTAN – des avions de chasse Mig-23 et au moins deux héli­co­ptères d’assaut MI-35. Ces der­niers, sur­nom­més « tanks volants » ou « Ter­mi­na­tor », sont équi­pés de quatre mitrailleuses à l’avant et de paniers de roquettes sous les ailes. D’après Le Figa­ro, ils évoquent « la des­truc­tion et la mort ». Les rebelles étaient donc lour­de­ment armés, contrai­re­ment à ce que l’on dit géné­ra­le­ment. Ils vio­laient en outre allè­gre­ment la réso­lu­tion 1973 de l’ONU. Pire, ils le fai­saient avec le consen­te­ment et la com­pli­ci­té de l’OTAN.

Aus­si ne faut-il pas s’étonner si la Rus­sie et la Chine se montrent aujourd’hui réti­centes à l’idée de signer une quel­conque réso­lu­tion condam­nant trop fer­me­ment la répres­sion en Syrie. Ces deux pays savent bien que, en Occi­dent, on hési­te­ra pas une seconde à détour­ner le sens d’une telle réso­lu­tion pour ser­vir ses propres inté­rêts et, éven­tuel­le­ment, déclen­cher une nou­velle guerre. Une guerre qui, comme en Libye, ris­que­rait fort de semer le chaos dans le pays voire d’embraser toute la région. « Deux ans après la révo­lu­tion, la Libye n’a jamais fait aus­si peur à ses voi­sins », écri­vait récem­ment le jour­nal Jeune Afrique. Un scé­na­rio qu’il est légi­time de vou­loir évi­ter pour le Moyen-Orient.

Simon de Beer