Penser le Brexit pour panser l’Europe

Le meilleur moyen de battre l’extrême-droite, c’est de ne pas les laisser occuper le terrain du changement. Autre chose doit être proposé, et c’est vers cette altérité que se tourneront peu à peu toutes les victimes de la crise et de l’austérité.

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Que s’est-il passé ?

Le 23 juin les habi­tants du Royaume-Uni ont été invi­tés à par­ti­ci­per à un refe­ren­dum sur le main­tien de leur pays au sein de l’Union Euro­péenne. Cette consul­ta­tion était en effet une pro­messe de cam­pagne du Pre­mier Ministre conser­va­teur, David Came­ron, lui-même pour­tant favo­rable au main­tien, afin d’apaiser les voix « pro-Brexit » au sein de son par­ti. Avec une par­ti­ci­pa­tion impor­tante de 72,2%, c’est fina­le­ment le camp du Brexit qui a rem­por­té la majo­ri­té avec plus de dix-sept-mil­lions de suf­frages soit envi­ron 52%.

Qui a voté le Brexit ?

À en croire la presse et les médias, on se demande ce qui peut bien leur pas­ser par la tête. En ne s’informant qu’à tra­vers les JT de RTL ou les articles du Vif, on s’arrache les che­veux en se deman­dant qui sont donc ces hor­ribles gueux qui ont reje­té l’UE, en refu­sant la paix et la pros­pé­ri­té qu’elle offrait ? À bord de l’Eurostar, où nos jour­na­listes vont recueillir des opi­nions ô com­bien repré­sen­ta­tives, les Anglais en cos­tume-cra­vate pré­sents ne com­prennent pas non plus… Ce ne sont parait-il ni les Ecos­sais, ni les Lon­do­niens, ni les jeunes, ni les Nord-Irlandais… 

Qui sont donc ces rustres imbé­ciles, qui ont voté pour ce qui amè­ne­ra à n’en pas dou­ter un « cata­clysme » et un « trem­ble­ment de terre » ? Lorsque l’on écoute nos res­pon­sables poli­tiques et jour­na­lis­tiques, on se demande même si ce n’est pas plu­tôt le sys­tème solaire que quit­te­ra bien­tôt le Royaume-Uni.
Moment tou­chant s’il en est, poli­ti­ciens et édi­to­ria­listes font connais­sance avec le peuple. Mais ana­ly­sons donc cela plus sérieusement. 

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Au niveau socio­lo­gique tout d’abord, fut-ce réel­le­ment un vote « jeunes contre vieux » ? En ana­ly­sant les chiffres réels, il est pos­sible de consta­ter que si le Brexit était en effet mino­ri­taire chez les plus jeunes, c’est bien l’abstention qui domine chez ces der­niers (avec 64% pour les 18 – 24 ans notam­ment). Une abs­ten­tion de plus des deux tiers des jeunes du pays. Un manque de conscience poli­tique qui signe à la fois un dés­in­té­rêt pour une sor­tie, mais éga­le­ment une absence totale de volon­té de défendre l’Union Euro­péenne telle qu’elle est. 

L’argument selon lequel « les jeunes auraient subi un Brexit alors qu’ils dési­raient ardem­ment le Remain » étant donc fac­tuel­le­ment faux, il est au pas­sage inté­res­sant de noter qu’il a per­mis à une jour­na­liste du Monde de pro­po­ser de « reti­rer le per­mis de voter aux vieux ». Les défen­seurs de la démo­cra­tie appré­cie­ront. Inté­res­sant éga­le­ment de consta­ter que si aujourd’hui, à l’unisson, médias et res­pon­sables poli­tiques clament la luci­di­té des jeunes, rien n’est dit de sem­blable lors du refe­ren­dum grec où les jeunes sou­te­naient mas­si­ve­ment le « OXI » défen­du par Tsi­pras en 2015 ou lors du NON de 2005 en France, où les jeunes avaient majo­ri­tai­re­ment refu­sé le Trai­té Consti­tu­tion­nel Euro­péen (alors sou­te­nu par les plus de 60 ans). Le OXI des Grecs comme le NON des Fran­çais avaient à l’époque été natu­rel­le­ment niés par les ins­ti­tu­tions euro­péennes, et condam­nés et démo­lis par tout édi­to­crate sérieux (et servile).

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Le deuxième déter­mi­nant fon­da­men­tal dans le vote a été la caté­go­rie sociale. Toutes régions confon­dues, les ouvriers, employés, retrai­tés et chô­meurs ont mas­si­ve­ment voté pour le Brexit. Dans le même temps les cadres et pro­fes­sions libé­rales ont sou­te­nu le Remain.

Tou­chées par les poli­tiques d’austérité et la crise éco­no­mique, les couches popu­laires ont signi­fié un net refus des poli­tiques euro­péennes qu’elles jugent anti­dé­mo­cra­tiques et décon­nec­tées des besoins et pré­oc­cu­pa­tions de la popu­la­tion. Mal­heu­reu­se­ment, la simul­ta­néi­té entre l’augmentation de l’immigration d’une part, et d’autre part la pres­sion sur les salaires et l’emploi induite par la crise, et les poli­tiques d’austérité a per­mis à l’extrême-droite de poser les migrants comme res­pon­sables de la paupérisation. 

Enfin, la der­nière grille d’analyse pos­sible est celle de l’ethnie. La cam­pagne a été menée et sur­tout per­çue dans une cer­taine mesure comme un refe­ren­dum sur l’immigration, et donc inévi­ta­ble­ment comme une confron­ta­tion ‘racisme vs anti­ra­cisme’. Les groupes visés par les pro­pa­gandes racistes étaient essen­tiel­le­ment ceux de l’Europe de l’Est et du Moyen-Orient. Mal­gré cela, l’essentiel des popu­la­tions « d’origine étran­gère » au R‑U ont sou­te­nu le Remain, pro­ba­ble­ment par crainte d’un retour de bal­lon xéno­phobe et d’une prise du pou­voir par l’extrême-droite ulté­rieu­re­ment. Cepen­dant, un quart des noirs et un tiers des asia­tiques ont tout de même voté pour le Brexit. 

Le Brexit a donc été lar­ge­ment sou­te­nu par les popu­la­tions les plus pré­caires, les bas­tions ouvriers et les allo­ca­taires sociaux. Les jeunes ont pro­por­tion­nel­le­ment moins sou­te­nu le Brexit, et ce sont mas­si­ve­ment abs­te­nus. Les popu­la­tions plus pri­vi­lé­giées, en par­ti­cu­lier à Londres, ont sou­te­nu le Remain.

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Pour­quoi voter pour le Brexit ?

Le choix des articles par­ta­gés par les dif­fé­rents titres de presse au sujet du Brexit est très révé­la­teur. Des témoi­gnages de « brexi­teurs repen­tis », des articles expli­quant que les votes étaient moti­vés par des rai­sons absurdes, que les Bri­tan­niques ont mas­si­ve­ment cher­ché sur Google ce qu’était l’UE le len­de­main du refe­ren­dum etc. Tout ce choix édi­to­rial montre clai­re­ment une croi­sade menée par la majo­ri­té des médias contre le Brexit. Des médias qui ne se sont pas émus plus que ça lors de l’accord UE-Tur­quie se découvrent che­va­liers des droits des migrants en cri­ti­quant avec mépris le résul­tat du vote.
Ensuite, on nous apprend que si les par­ti­sans du « Remain » ont voté par amour de l’Europe et de l’entente entre les peuples, ceux du « Brexit » ont eux choi­si le camp de la peur, du racisme et du natio­na­lisme. Au regard de ce qu’on annonce main­te­nant aux Bri­tan­niques comme châ­ti­ment de l’UE lors des négo­cia­tions à venir, comme de la réponse enra­gée des mar­chés, il est évident que la peur pesait dans les deux camps, y com­pris celui du Remain. 

Le vote du Brexit ne se com­po­sait pas uni­que­ment de per­sonnes comme Nigel Farage (lea­der de UKIP, extrême-droite) ou Boris John­son (ex-maire de Londres et membre du par­ti conser­va­teur) aux sen­ti­ments mani­fes­te­ment xéno­phobes, mais éga­le­ment de nom­breux syn­di­cats (comme le RMT des trans­ports ou le BFAWU de l’industrie ali­men­taire), par­tis de gauche (Socia­list Wor­kers Par­ty, Socia­list Par­ty, Com­mu­nist Par­ty) ou encore intel­lec­tuels comme Tariq Ali, que l’on peut dif­fi­ci­le­ment taxer de racistes. La cam­pagne du « Lexit » (contrac­tion de Brexit et Left , pour sou­li­gner la frange de la gauche sou­te­nant la sor­tie de l’UE) a en effet été invi­si­bi­li­sée dans les médias bri­tan­niques avant le vote, comme dans tous les autres après l’annonce des résul­tats. Tout ce que l’on voit, c’est le triste spec­tacle des Farage ou Lepen triom­pher de leur « victoire ».

Si la ques­tion de l’immigration a sans doute été un fac­teur impor­tant dans la cam­pagne, on entend peu par­ler chez nous d’un autre point tout aus­si impor­tant lors du vote qui a été celui du NHS (Natio­nal Health Ser­vice). Celui-ci est ces der­nières années peu à peu asphyxié et pri­va­ti­sé pour des rai­sons bud­gé­taires, alors qu’il consti­tue pour l’écrasante majo­ri­té des citoyens du R‑U un fleu­ron natio­nal de méde­cine acces­sible et de qua­li­té. Il était en effet pos­sible de voir de nom­breux pos­ters dans les rues ou clips sur les écrans annon­çant que l’argent ver­sé chaque semaine à l’UE par le pays (envi­ron 350 mil­lions de livres) pour­rait être uti­li­sé à finan­cer le NHS. Natu­rel­le­ment un des repré­sen­tants de la cam­pagne du « Leave » a dû recon­naitre qu’il s’agissait en réa­li­té d’un chiffre inexact et qu’il ne serait pas pos­sible d’utiliser immé­dia­te­ment cet argent de la sorte, mais il est capi­tal de noter que beau­coup ont sou­te­nu le Brexit notam­ment pour sau­ver leurs soins de san­té, mena­cés par l’austérité bud­gé­taire du gouvernement. 

La rai­son pour laquelle les anti­ra­cistes habi­tuels (poli­ti­ciens sociaux-démo­crates et phi­lo­sophes mous en tête) ne sont pas audibles pour l’essentiel des couches popu­laires est qu’ils jouent essen­tiel­le­ment sur un point de vue moral, l’égalité et l’amour entre tous, et non sur une base maté­rielle, comme le font les par­tis ‘anti-immi­gra­tion’ et xéno­phobes, c’est-à-dire la pau­vre­té crois­sante. Tant qu’il ne res­te­ra qu’un anti­ra­cisme moral, de salon, inca­pable de voir les causes sociales pro­fondes, il sera inca­pable d’influer l’opinion des couches populaires. 

Mal­heu­reu­se­ment une péda­go­gie expli­quant que les vrais res­pon­sables sont les finan­ciers qui ont pro­vo­qué la crise ou les gou­ver­ne­ments qui choi­sissent volon­tai­re­ment l’austérité à tous niveaux n’a pas été suf­fi­sam­ment souf­flée par la gauche syn­di­cale, asso­cia­tive ou politique. 

Cepen­dant, un son­dage majeur apporte que la pre­mière rai­son (49%) invo­quée par les sup­por­ters du Brexit était que « les déci­sions au sujet du R‑U devraient être prises au R‑U », alors que la ques­tion du contrôle des fron­tières n’atteint que 33%.

De même, on constate dans les son­dages des jours pré­cé­dant et sui­vant le refe­ren­dum, le prin­ci­pal par­ti d’extrême-droite (UKIP) ne dépasse que péni­ble­ment les 16 – 18%. Alors que 52% de la popu­la­tion vote pour le Brexit, réduire celui-ci à un sou­tien à l’extrême-droite est abso­lu­ment mal­hon­nête et inexact. 

Ce vote a donc été le symp­tôme sans doute pour une part d’une xéno­pho­bie mar­quée, mais éga­le­ment d’une volon­té nette de rompre avec la poli­tique euro­péenne, vécue comme une humi­lia­tion par des larges franges de la popu­la­tion, qui se sent –à juste titre- mépri­sée et niée par les tech­no­crates euro­péens successifs. 

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Que signi­fie l’Europe ?

Pour beau­coup de gens, en par­ti­cu­lier les étu­diants, l’Europe semble syno­nyme de coopé­ra­tion entre pays, de pro­grès, d’échanges, de mixi­té de cultures. À l’école, on des­sine le dra­peau euro­péen et le soir on peut aller à une fête sur la Grand-Place de Bruxelles pour fêter l’adhésion de tel ou tel état. Il faut une argu­men­ta­tion longue et achar­née pour réus­sir à reti­rer ce sen­ti­ment sub­jec­tif pro­fon­dé­ment ancré chez beau­coup sur ce qu’est le « pro­jet euro­péen ». Tou­te­fois, même si on peut défendre (nous y vien­drons plus bas) l’UE telle qu’elle est ou telle qu’on la vou­drait, il est évident que la Suisse n’est pas moins euro­péenne que nous, que nous ne sommes pas en guerre avec l’Islande et même en col­la­bo­ra­tion éco­no­mique pai­sible, ou encore que l’on peut voya­ger libre­ment en Nor­vège ou y faire des échanges universitaires. 

Assi­mi­ler Union Euro­péenne et tout ce qui peut exis­ter comme col­la­bo­ra­tion ou rela­tions posi­tives entre pays par­ti­cipe à l’impossibilité de poser serei­ne­ment la ques­tion de l’appartenance à l’UE ou de l’intérêt de sa construction. 

La déci­sion du peuple du R‑U n’est pas iso­lée. Elle fait suite à un grand nombre de refus par refe­ren­dums. Comme le dit l’économiste et socio­logue Fré­dé­ric Lor­don « dès qu’il y a un refe­ren­dum sur l’Union Euro­péenne, c’est pas dif­fi­cile, l’Union l’a dans le baba. C’est imman­quable. Évi­dem­ment à chaque fois on s’assoit des­sus mais bon ». Si un cer­tain enthou­siasme était pré­sent au début et a pous­sé cer­tains refe­ren­dums vers le OUI, cela fait 15 ans que les divers pro­jets euro­péens sont majo­ri­tai­re­ment refu­sés comme en Suède en 2003 pour l’euro, en France et aux Pays-Bas en 2005 avec le TCE, le Trai­té de Lis­bonne en 2008 en Irlande ou encore récem­ment en 2015 en Grèce avec le plan de la Troïka.

S’il y a un si grand déca­lage entre ce qu’expriment concrè­te­ment les gens quand on leur demande leur avis, et l’apparente uni­té vers le pro­grès et les len­de­mains qui chantent annon­cés par poli­tiques et jour­na­listes, il est inté­res­sant de s’intéresser à ce qu’a réel­le­ment été l’UE pour les citoyens.

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Ce que l’Union Euro­péenne a été

L’Union Euro­péenne, par­ti­cu­liè­re­ment au tra­vers d’institutions telles que la Banque Cen­trale Euro­péenne et la Com­mis­sion Euro­péenne, a ser­vi jusqu’à pré­sent de cour­roie de trans­mis­sion d’une poli­tique osten­si­ble­ment néo­li­bé­rale. Il était pos­sible d’en devi­ner les pré­misses à tra­vers le prin­cipe même de la pre­mière étape de l’UE, puisqu’en effet la créa­tion d’un grand Mar­ché Com­mun est l’objet prin­ci­pal de la Com­mu­nau­té Eco­no­mique Euro­péenne ins­ti­tué par le Trai­té de Rome en 1957. Si le pro­nos­tic pou­vait en réa­li­té déjà être devi­né à l’époque, les faits sont aujourd’hui lour­de­ment par­lants et il faut être aveugle pour ne pas les voir. 

Les dif­fé­rentes ins­ti­tu­tions euro­péennes ont en effet entrai­né des poli­tiques d’austérité bru­tale dans tous les pays, pro­vo­qué des pri­va­ti­sa­tions de nom­breux ser­vices publics et une libé­ra­li­sa­tion accrue dans tous les sec­teurs. Socié­tés de che­mins de fer, de télé­com­mu­ni­ca­tion, sys­tème de soins de san­té, ser­vice pos­tal… presque tous les ser­vices publics ont été sou­mis d’une manière ou d’une autre aux déci­sions de l’UE. Il en va de même pour les poli­tiques dites de flexi­bi­li­sa­tion de l’emploi (à savoir le détri­co­tage com­plet du code du tra­vail) mises en œuvre à tra­vers par exemple la Loi Pee­ters en Bel­gique ou la Loi El Khom­ri en France du gou­ver­ne­ment socia­liste. Les poli­tiques d’austérité sont res­pon­sables de la pau­pé­ri­sa­tion des classes moyennes et ont engen­dré une pré­ca­ri­sa­tion gran­dis­sante des couches popu­laires, un chô­mage de masse, une aug­men­ta­tion géné­ra­li­sée des inéga­li­tés et une dimi­nu­tion de l’accessibilité à la san­té et à l’éducation.

Bien sûr, dans chaque pays, des forces patro­nales et poli­tiques auraient aimé implé­men­ter ce type de pro­grammes même sans l’existence de l’UE, mais dans chaque contes­ta­tion, à chaque fois que des poli­tiques aus­si impo­pu­laires et irra­tion­nelles que l’austérité étaient appli­quées, le pou­voir poli­tique local avait bon dos de répondre que ce n’est « pas sa faute, mais celle de l’Europe ». Ce trans­fert de sou­ve­rai­ne­té per­met à de nom­breux par­tis poli­tiques de se dédoua­ner hon­teu­se­ment de toute res­pon­sa­bi­li­té, et s’illustre notam­ment par le fait que dans la plu­part des par­le­ments natio­naux, les trois quarts des votes portent sur l’aval d’une déci­sion déjà prise au niveau européen.

Natio­na­le­ment se décline donc le pro­jet poli­ti­co-éco­no­mique de la Com­mis­sion Euro­péenne : la des­truc­tion des ser­vices publics, la mise en concur­rence des tra­vailleurs de toute l’Europe et des déci­sions prises de manière obs­cure par des ins­ti­tu­tions non-élues. 

Comme expri­mé dans les colonnes du Jaco­bin Mag : « La classe des tra­vailleurs et les pauvres ont com­pris très clai­re­ment les choses : dans le capi­ta­lisme contem­po­rain, les corps trans­na­tio­naux, comme l’Union Euro­péenne, sont dépour­vues de leviers de contrôle démo­cra­tique, et deviennent un ter­rain natu­rel pour les grandes entre­prises. En revanche, les états natio­naux four­nissent un champ dans lequel il est pos­sible de se battre pour cer­tains droits basiques ou reven­di­ca­tions ».

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Dans le même ordre des choses, le fameux et impo­pu­laire accord de libre-échange ‘TTIP’ est négo­cié et rédi­gé en grande par­tie par la Com­mis­sion Euro­péenne. Sans man­dat de pro­gramme élec­to­ral ni réel contrôle démo­cra­tique, le TTIP est por­té par la Com­mis­sion Euro­péenne, et ain­si pro­té­gé des contes­ta­tions de tous bords qu’il entraine inévi­ta­ble­ment ‑agri­cul­teurs, ONG, syn­di­cat, monde académique…

Sur le plan diplo­ma­tique et inter­na­tio­nal, l’Europe est van­tée comme per­met­tant de ren­for­cer « notre » posi­tion, face à un monde où toutes les puis­sances sont en riva­li­té. La pro­messe de deve­nir un « contre­poids » à la poli­tique agres­sive et mili­ta­riste des USA est éga­le­ment régu­liè­re­ment faite. Qu’en a‑t-il été ? La plu­part du temps l’UE a été inca­pable de par­ler d’une même voix, et le reste du temps elle a sui­vi la posi­tion atlan­tiste des Etats-Unis. Ceci l’a notam­ment ame­né à sou­te­nir les coups d’états au Vene­zue­la en 2002 ou au Bré­sil actuel­le­ment, à mener de pro­fondes sanc­tions éco­no­miques envers la Rus­sie (alors même que cela allait à l’encontre des inté­rêts immé­diats des entre­prises, en par­ti­cu­lier agri­coles, expor­tant vers la Rus­sie) dans le cadre de la crise ukrai­nienne et enfin à nouer une alliance notable avec la Tur­quie pour­tant clai­re­ment enga­gée sur la pente auto­ri­taire. Cette der­nière alliance s’est notam­ment sol­dée par le fameux accord UE-Tur­quie sur l’immigration, una­ni­me­ment conspué par le monde asso­cia­tif, qui viole éhon­té­ment tout droit humain et consti­tue notam­ment la rai­son du récent refus de Méde­cins Sans Fron­tières de rece­voir des sub­sides européens.
Il est d’ailleurs impor­tant de noter que les États-Unis, à tra­vers le Pré­sident B. Oba­ma en dépla­ce­ment à Londres, se sont pro­non­cés pour le main­tien du R‑U dans l’UE. Si l’UE per­met­tait de consti­tuer une quel­conque balance à l’hégémonie des USA, ceux-ci sou­tien­draient-ils aus­si acti­ve­ment l’UE ? La diplo­ma­tie et la poli­tique ne laissent hélas pas de place à tant de naï­ve­té.

De même, quoiqu’on en pense, toute poli­tique diplo­ma­tique paci­fiste (c’est-à-dire diver­gente de l’OTAN actuelle) est impos­sible à cause de l’ar­ticle 42 du TUE qui place l’O­TAN au-des­sus de la poli­tique euro­péenne en matière de défense. 

Enfin, l’Europe s’est révé­lée être une orga­ni­sa­tion tota­le­ment anti­dé­mo­cra­tique. Lorsque des consul­ta­tions popu­laires ont lieu, les résul­tats sont bafoués. Le Trai­té Consti­tu­tion­nel Euro­péen refu­sé par refe­ren­dum en France et aux Pays-Bas a fina­le­ment été renom­mé (sans en chan­ger une vir­gule) Trai­té de Lis­bonne, et son appro­ba­tion n’a été sou­mise qu’aux votes par­le­men­taires. Des trai­tés impo­sés aux popu­la­tions et des direc­tives déci­dées dans les cou­loirs de Bruxelles par des tech­no­crates non-élus et décon­nec­tés de toute réa­li­té ont abou­ti à ce qu’aujourd’hui une majo­ri­té d’européens, dont les bri­tan­niques, se sentent « lais­sés de côté ». Com­ment pour­rait-il en être autrement ? 

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À tra­vers les direc­tives, pactes et trai­tés créés par l’UE, la marge poli­tique des gou­ver­ne­ments natio­naux est réduite à la rhé­to­rique et, au mieux, au timing d’implémentation des poli­tiques aus­té­ri­taires. Il faut se rendre compte de la vio­lence que les contraintes euro­péennes repré­sentent sur un pays. Cela signi­fie très concrè­te­ment que l’essentiel de la direc­tion poli­tique et éco­no­mique d’un pays est déjà prise, quoique disent les pro­chaines élec­tions ! Un gou­ver­ne­ment qui res­pecte les dif­fé­rents dik­tats euro­péens sera for­cé au sens le plus coer­ci­tif du terme à conti­nuer les pri­va­ti­sa­tions et libé­ra­li­sa­tions, à déman­te­ler peu à peu les pro­tec­tions sociales de son pays et à favo­ri­ser la mise en concur­rence et la vic­toire du mar­ché au sein du continent. 

Ain­si donc des sub­sides aux chan­tiers navals en Croa­tie ont dû être arrê­tés, et avec eux des dizaines de mil­liers d’emplois per­dus. Les che­mins de fer au Royaume-Uni ont été pri­va­ti­sés sous Mme That­cher, et les prix ayant depuis explo­sé et l’offre réduite, une majo­ri­té de citoyens sou­haitent la rena­tio­na­li­sa­tion. De même, le NHS (ser­vice de san­té) est en voie de privatisation. 

S’il venait un jour un gou­ver­ne­ment sou­hai­tant, chose folle, res­pec­ter le désir des citoyens et remettre dans le giron public les che­mins de fer et les soins de san­té, il ne pour­rait pas ! Cela serait pure­ment et sim­ple­ment illé­gal au regard des ins­ti­tu­tions euro­péennes ! Inutile de rap­pe­ler le cas tris­te­ment sym­bo­lique de la Grèce, où un pays entier s’est vu dévas­té par une poli­tique d’austérité dont il ne vou­lait pas, et où un gou­ver­ne­ment lar­ge­ment et démo­cra­ti­que­ment élu ne pou­vait qu’appliquer dans les plus petits détails ce qu’autorisait gra­cieu­se­ment la Troïka. 

Il est pri­mor­dial que toutes les per­sonnes qui loca­le­ment se battent, à rai­son, contre l’austérité, se rendent compte que l’Europe et ses ins­ti­tu­tions inter­disent radi­ca­le­ment toute poli­tique progressiste. 

Mais l’Union Euro­péenne est-elle tou­jours si négative ?

La vie en géné­ral, et la poli­tique en par­ti­cu­lier sont très réfrac­taires à des qua­li­fi­ca­tions défi­ni­tives et sans nuance. Il serait idiot de nier que, de manière très ponc­tuelle et cir­cons­crite, des dis­po­si­tions euro­péennes aient pu appor­ter des choses posi­tives. Cela a pu s’illustrer dans cer­taines régle­men­ta­tions com­mer­ciales ou direc­tives de pro­tec­tion de la biodiversité. 

Mais la vie et la poli­tique néces­sitent éga­le­ment au plus haut point le sens de la ratio­na­li­té et de la réa­li­té. Les grands chan­tiers et défis de notre temps ne laissent pas place à l’erreur. La socié­té occi­den­tale se frac­ture, le modèle social de chaque pays est peu à peu détruit, la pau­vre­té atteint des records alors que les ser­vices publics sont détruits ou ven­dus. Le monde est plus mili­ta­ri­sé que jamais, la classe moyenne se réduit pen­dant que les inéga­li­tés sont chaque jour plus abys­sales. À tra­vers des accords de libre-échange comme le TTIP, les mul­ti­na­tio­nales et le sec­teur ban­caire et finan­cier accroissent leur domi­na­tion poli­tique déjà fla­grante. Tout cela est en face de nous, et l’UE en est un des gardiens.

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Mais pour­rions-nous faire autre chose de l’UE ?

Comme le dit l’adage, en théo­rie tout est pos­sible. De fait, les dif­fé­rents trai­tés, direc­tives, lois ou règle­ments peuvent être modi­fiés. Mais com­ment ? Les Trai­tés, pour être amen­dés ou ins­tau­rés, doivent rece­voir l’aval de tous les par­le­ments natio­naux (et par­fois éga­le­ment régio­naux, comme en Bel­gique) des états membres, ain­si que celui du Par­le­ment Européen.

S’il y a une una­ni­mi­té tou­chante de tous les gou­ver­ne­ments euro­péens pour l’austérité, il est dif­fi­cile d’imaginer sérieu­se­ment tout ce beau monde se conver­tir en défen­seur d’une poli­tique sociale et pro­gres­siste du jour au len­de­main. Il fau­drait donc, par la voie élec­to­rale, que les forces anti-aus­té­ri­té obtiennent la majo­ri­té par­tout. Les socia­listes euro­péens sont chaque jour plus englués de res­pon­sa­bi­li­té dans l’instauration de l’austérité (comme on le voit avec l’exclusion des chô­meurs sous Di Rupo ou la Loi Tra­vail en France), les éco­lo­gistes ne sont qu’occasionnellement oppo­sés à celle-ci (sou­tien à la Loi Tra­vail en France, sou­tien au Trai­té de Lis­bonne à peu près par­tout…), et la gauche radi­cale ne ras­semble que 6,9% des sièges au Par­le­ment Euro­péen.

Com­ment ima­gi­ner ration­nel­le­ment obte­nir la majo­ri­té au niveau euro­péen dans un délai accep­table ? Com­ment espé­rer gar­der indé­fi­ni­ment la confiance des couches popu­laires face à une aus­té­ri­té impo­sée par en-haut ? 

Pen­dant que les orga­ni­sa­tions et per­sonnes qui veulent « chan­ger l’Europe » dis­courent, les gens souffrent. Les patients ont de moins en moins accès aux soins, des mil­lions de familles connaissent le chô­mage chro­nique, les ser­vices publics sont sac­ca­gés, la misère gran­dit. Si un gou­ver­ne­ment anti-aus­té­ri­té arrive dans un état-membre (comme cela parait plau­sible en Grèce ou au Por­tu­gal), il est asphyxié et sa marge d’action anni­hi­lée. Que doivent donc faire les vrais démo­crates en pareilles circonstances ? 

Se don­ner pour objec­tif de ‘chan­ger l’UE’ c’est en réa­li­té ren­voyer aux calendes grecques tout chan­ge­ment réel. Pen­dant ce temps, seule l’extrême-droite pour­ra être per­çue comme la force poli­tique dési­rant le chan­ge­ment. Racisme et natio­na­lisme se ren­for­ce­ront au fur-et-à-mesure que la gauche sera délais­sée par les couches populaires. 

Il est pri­mor­dial de mener une cam­pagne poli­tique proac­tive et péda­go­gique. Lors du refe­ren­dum grec sur le plan d’austérité de la Troï­ka, le gou­ver­ne­ment Syri­za de Tsi­pras sou­te­nait, à juste titre, le NON (OXI). Mais il était en cela rejoint par des groupes d’extrême-droite des plus vils comme Aube Dorée.
Cette appa­rente pro­mis­cui­té ne doit pas para­ly­ser la gauche. L’extrême-droite reven­dique la sou­ve­rai­ne­té natio­nale et la sor­tie de l’UE ? Grand bien lui fasse ! Elle n’en fera rien de signi­fi­ca­tif. Les forces réac­tion­naires ne feront qu’appliquer une autre aus­té­ri­té, une poli­tique raciste à l’intérieur du pays comme à l’extérieur, et conti­nue­ront scru­pu­leu­se­ment les manœuvres anti­syn­di­cales, la des­truc­tion des ser­vices publics et ne résor­be­ront en aucun cas le fos­sé des inéga­li­tés sociales de nos pays. 

Le meilleur moyen de battre l’extrême-droite, c’est de ne pas les lais­ser occu­per le ter­rain du chan­ge­ment. Au sein de l’UE, seules des évo­lu­tions soit mini­ma­listes soit uto­piques à moyen-terme sont pos­sibles. Autre chose doit être pro­po­sé, et c’est vers cette alté­ri­té que se tour­ne­ront peu à peu toutes les vic­times de la crise et de l’austérité. Il est regret­table pour les forces pro­gres­sistes de per­sis­ter dans une construc­tion euro­péenne dévas­ta­trice, et d’ainsi offrir à l’extrême-droite seule la voie de sor­tie de l’UE.

Une sor­tie des ins­ti­tu­tions euro­péennes comme de l’euro sera payée par les couches les plus pauvres si elle est opé­rée par la droite, extrême ou non. Mais il faut arrê­ter l’hystérie pro­pa­gan­diste actuelle d’écroulement du monde si un pays ose sor­tir de l’euro ou de l’UE. Des éco­no­mistes très sérieux comme le Prix Nobel Sti­glitz pré­disent au contraire qu’au plus tôt un pays quit­te­ra l’euro, au mieux il s’en portera. 

Si une telle sor­tie est envi­sa­gée, elle doit être faite par les orga­ni­sa­tions qui défendent réel­le­ment les tra­vailleurs et la jus­tice sociale, et pour envi­sa­ger de mener un tel pro­jet et qu’elle per­mette un réel chan­ge­ment social, il faut que les forces pro­gres­sistes soient conscientes de leur rôle et de l’importance de com­battre dès main­te­nant l’Union Européenne. 

La sor­tie de l’UE n’est pas une fin en soi, mais uni­que­ment un moyen, une condi­tion néces­saire mais pas suf­fi­sante, du chan­ge­ment. Le camp pro­gres­siste a en face de lui cette res­pon­sa­bi­li­té colossale. 

Nico­las Pierre, étu­diant en médecine

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Autres sources

http://www.rtbf.be/info/monde/europe/detail_brexit-au-portugal-des-voix-s-elevent-en-faveur-de-la-tenue-d-un-referendum-sur-l-ue?id=9337756&utm_source=rtbfinfo&utm_campaign=social_share&utm_medium=fb_share
https://en.wikipedia.org/wiki/United_Kingdom_European_Union_membership_referendum,_2016#Economists
http://blog.mondediplo.net/2015 – 06-29-L-euro-ou-la-haine-de-la-democratie
http://blog.mondediplo.net/2015 – 07-18-La-gauche-et-l-euro-liquider-reconstruire
http://morningstaronline.co.uk/a‑82ab-Blaming-the-old-for-the-EU-referendum-result-is-not-only-wrong,-its-offensive#.V4N9u_mLTIX
https://www.monde-diplomatique.fr/2016/06/LAMBERT/55725#nb6
http://blog.mondediplo.net/2016 – 07-06-Post-referendum-oligarchie-triste