Prospérité sous terre

VO ST FR - 30 minutes

> Inter­view avec Ron­nie Ramirez

Articles :

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> “L’or n’aime pas le bruit”

> Nos bijoux sont faits d’or et d’injustices !

> Tala­tou Bou­ka­ri à Liège

Le DVD pour le droit à l’a­li­men­ta­tion réunit 5 films, dont le film Pros­pé­ri­té sous terre. Pour com­man­der le DVD, contac­ter FIAN.

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Synop­sis du film :

Au nord du Bur­ki­na Faso, au début du Sahel, 13.000 per­sonnes qui vivaient de l’exploitation arti­sa­nale de l’or ont du céder leurs terres à la plus grande mine d’or du pays gérée par IAMGOLD, une société cana­dienne. En com­pen­sa­tion, ils ont reçu de nou­velles terres et des mai­sons, des pro­messes d’embauche et de prospérité. La com­mu­nauté déplacée est insa­tis­faite, elle regarde par­tir ses richesses à l’étranger, non sans un cer­tain malaise, non sans réagir.

Réa­li­sa­tion, image et scé­na­rio : Ron­nie Ramirez
Son : Cyril Mossé
Mon­tage & mixage : Valen­tin Fayet
Musique Ori­gi­nale : Patrick Kabré
Pro­duc­tion & dif­fu­sion : ZIN TV
contact@zintv.org

2013

Site offi­ciel de la musique de Patrick Kabré : https://www.patrickkabre.com/

Ain­si que son face­book : https://www.facebook.com/Patrick.KABRE/

Ver­sion espa­gnole du film > Pros­pe­ri­dad bajo tierra

Ver­sion anglaise du film > Pros­pe­ri­ty underneath

Ver­sion néer­lan­do­phone du film > Wel­vaart onder grond

Ver­sion alle­mande du film > Wohl­stand unter der Erde

Au Bur­ki­na Faso, une com­mu­nau­té qui vivait de l’exploitation arti­sa­nale de l’or a du céder ses terres à une société canadienne.

documentaire “Prospérité sous terre”, réalisé par Ronnie Ramirez, à propos de l’exploitation minière au Burkina Faso.

D’où est venue l’idée de tourner Prospérité sous terre ?

La crise finan­cière que nous tra­ver­sons en Occi­dent nous a tous bous­cu­lés et chez Zin TV nous sommes par­ti­cu­liè­re­ment atten­tifs aux alter­na­tives et aux solu­tions qui émergent en réac­tion. Mais, par ailleurs, en sub­si­diant les banques, nos gou­ver­ne­ments semblent tout faire pour main­te­nir le même sys­tème éco­no­mique en place qui nous a conduit à la réces­sion. D’où sort cet argent qui ne sert pas à finan­cer des poli­tiques sociales ? D’où sort cet argent qui per­met à nos pays occi­den­taux de main­te­nir une posi­tion stra­té­gique et hégé­mo­nique sur la pla­nète ? Où allons nous ? Chez Zin TV nous nous posons ce genre de ques­tions et ten­tons d’apporter un éclai­rage à notre public. Nous avons donc démar­ré le pro­jet d’une col­lec­tion de films qui posent un regard cri­tique sur les modèles de déve­lop­pe­ment, Pros­pé­ri­té sous terre en est le premier.

Nous nous sommes inté­res­sés au Bur­ki­na Faso car on y parle de « boom minier ». Un des effets de la crise finan­cière en Occi­dent est la mon­tée subite du prix de l’or dans le mar­ché inter­na­tio­nal et qui est par consé­quent res­pon­sable d’une ruée vers l’or là ou il y en a. La banque mon­diale aidant, exige au Bur­ki­na Faso des poli­tiques per­mis­sives sous la forme d’un code minier qui accueille les inves­tis­se­ments étran­gers dans le but, bien-sûr, de contri­buer au déve­lop­pe­ment du pays.

Ain­si ces der­nières années, des socié­tés minières ori­gi­naires de dif­fé­rents pays se sont ins­tal­lées sur le ter­ri­toire bur­ki­na­bé pour y extraire de l’or, dont IAMGOLD qui est la plus impor­tante. Dans le cas de cette socié­té cana­dienne l’État Bur­ki­na­bé par­ti­cipe car il est action­naire à 10%, cela crée l’espoir d’une oppor­tu­ni­té his­to­rique pour faire béné­fi­cier à sa popu­la­tion des richesses de son sous-sol. Les socié­tés minières contri­buent donc de manière impor­tante à la caisse de l’État, au tré­sor public. La ques­tion qui est sous-jacente est la dis­tri­bu­tion des richesses d’une part et d’une autre part, le faible pour­cen­tage per­çu par le Bur­ki­na Faso pour­tant pro­prié­taire du pré­cieux mine­rais. Mal­gré cela, d’autres exemples existent, par exemple le pro­jet Koniam­bo, en Nou­velle-Calé­do­nie, la socié­té Cana­dienne Fal­con­bridge est asso­cié à une socié­té minière Kanak (pro­prié­taire du mas­sif riche en nickel) pour un action­na­riat mino­ri­taire à 49% ou ailleurs ; par exemple au Vene­zue­la, la Consti­tu­tion oblige toute entre­prise mixte à un action­na­riat de 51% pour les entre­prises nationales.

Fidèle à la démarche de Zin TV nous sommes allés à la ren­contre des com­mu­nau­tés, dans ce cas-ci celle d’Essakane qui sont direc­te­ment concer­nés par les effets de la mine qui s’est ins­tal­lé chez eux. Cela implique pas­ser de temps avec eux, d’ouvrir grand les oreilles et les yeux. Nous sommes par­tis sans pré­ju­gés et avec l’envie de décou­vrir les choses par nos propres yeux, mais la réa­li­té est criante de véri­tés qu’elle nous gifle par sa violence.

Comment s’est déroulée la production ?

Chez Zin TV nous avons réunis les moyens qui nous ont per­mis de mener à bien ce pro­jet, nous avons pla­ni­fié ce qui est pla­ni­fiable et nous sommes par­tis avec le mini­mum. Sur place, les ren­contres se sont suc­cé­dé dans un tour­nant favo­rable au film avec en fina­li­té des por­traits dis­so­nants et contra­dic­toires et qui impliquent les acteurs liés à la pro­blé­ma­tique. Chaque jour nous ren­con­trions des nou­veaux lieux, des nou­veaux per­son­nages et des nou­velles situa­tions. J’ai fait tout ce qui est pos­sible dans ces condi­tions pour avoir du recul afin de construire un récit cohé­rent et juste.

Nous avons éga­le­ment tra­vaillé sur la musique du film avec Patrick Kabré, un jeune musi­cien Bur­ki­na­bé, talen­tueux et gagnant du prix Natio­nal de la chan­son contem­po­raine. Durant le tour­nage, on se télé­pho­nait régu­liè­re­ment et je lui racon­tais ce que nous voyons et cela l’aidait à adap­ter ses com­po­si­tions. De retour à Oua­ga­dou­gou, il avait pré­pa­ré une série de pro­po­si­tions musi­cales que nous avons enregistrés.

Durant toute la période sur place, nous avons inves­tis notre temps dans la rela­tion que nous avons éta­blis avec nos per­son­nages fil­més, les musi­ciens et autres col­la­bo­ra­teurs directs, le film en porte la trace et le rends ain­si par­ti­cu­lier. C’est une qua­li­té en béné­fice du film. Nous avons vécu cette expé­rience de manière intense car elle est humaine et ciné­ma­to­gra­phique, une véri­table aventure.

Puis de retour à Bruxelles, le cœur entre nos mains, car on s’est vrai­ment atta­ché aux per­sonnes ren­con­trés avec qui nous avons vécu des moments pro­fonds et mémo­rables, nous avons démar­ré la post-pro­duc­tion chez Zin TV. C’est là que l’écriture du film com­mence vrai­ment, j’avais une struc­ture nar­ra­tive en tête et qui s’est confir­mé, nos per­son­nages ont com­men­cé à prendre forme et ils sont crous­tillants, la situa­tion est riche et le décor est sur­pre­nant… Même si l’on veut res­ter maitre à bord, la matière fil­mé a com­men­cée à impo­ser ses règles et qui par exemple ont fait dépas­ser lar­ge­ment la durée esti­mé au départ. Somme toute, il s’agit d’un témoi­gnage sin­cère, d’une situa­tion donnée.

L’é­quipe de tour­nage, à Essakane.

Avez-vous rencontré des difficultés ?

Lorsque nous avons signa­lé auprès de nos ambas­sades notre volon­té de voya­ger vers le nord du pays, elles nous ont sup­plié de ne pas nous y rendre car la région était décla­rée « zone rouge », c’est-à-dire que notre sécu­ri­té n’y était pas garan­tie. A quelques kilo­mètres de la fron­tière du Mali, avec une inter­ven­tion mili­taire immi­nente et des groupes isla­mistes armés qui rôdent, friands en kid­nap­ping de blancs. Sin­cè­re­ment, on avait pris peur, on est loin d’être des aven­tu­riers et on veut encore faire plein d’autres films encore. Mais, pour nous, il était hors de ques­tion de venir de l’autre bout de la pla­nète pour fina­le­ment ne rien faire.

Pour Zin TV il y a une néces­si­té poli­tique d’être aux côtés des com­mu­nau­tés dans les moments dif­fi­ciles, sur­tout quand aucune camé­ra ne s’intéresse plus à eux. On a télé­pho­né à nos contacts sur place, on s’est infor­mé et on a pris la déci­sion de par­tir quand-même. Il n’y avait pas eu encore d’antécédents de kid­nap­pings, juste des grandes pré­cau­tions. Mais, sais-t-on jamais, serions-nous les pre­miers ? Sur le che­min, on nous décou­ra­geait au fur et à mesure que l’on se rap­pro­chait. N’y allez pas ! Vous n’aller pas reve­nir !!! Mais nous avons été dis­crets, nous étions entre bonnes mains et avons étés sages, on a même envoyé nos mes­sages jour­na­liers auprès de nos ambas­sades pour les rassurer.

Notre accueil dans les com­mu­nau­tés a été émou­vant, les gens sont d’une gen­tillesse et d’une géné­ro­si­té mer­veilleuse. Cela, dans un décor ingrat, des cabanes épar­pillés sous un soleil écra­sant, beau­coup de pous­sière, c’est un peuple humble avec des besoins basiques urgen­tis­simes et ils sont délais­sés par le monde entier. Ils vivent dans des condi­tions de pré­ca­ri­té effroyable, maté­riel­le­ment ils n’ont rien ! Sou­vent pas d’eau, des enfants sous-ali­men­tés, des mai­sons en ruines, les soins de san­té et la sco­la­ri­té manquent cruel­le­ment. C’est une vraie catas­trophe. Ils sont bien conscients de tout cela, mais ils ont une atti­tude digne et intel­li­gente. Ils n’étaient tout sim­ple­ment pas au cou­rant des pro­jets d’expansion de la mine et que par consé­quent ils allaient être déplacés.

Sinon, nous étions un mois avant les élec­tions muni­ci­pales et avons par­fois été soup­çon­nés d’être mani­pu­lés ou de prendre par­ti pour l’un ou l’autre ten­dance, les ten­sions étaient bien pal­pables, sur­tout que notre camé­ra déam­bu­lait libre­ment dans les rues des com­mu­nau­tés dépla­cées mais aus­si à l’intérieur de la mine d’or. Mais de manière géné­rale, nous avons adop­té un com­por­te­ment des plus res­pec­tueux envers tous, on a coopé­ré avec les auto­ri­tés locales et les repré­sen­tants d’IAMGOLD ont aus­si été très cha­leu­reux avec nous. Sans aucune dif­fi­cul­té nous avons pu fil­mer la mine de l’intérieur, c’est-à-dire der­rière les gardes armés et grillages de barbelés.

Qu’avez-vous vu exactement dans la mine d’or ?

Nous avons intro­duit une demande for­melle, après avoir mon­tré patte blanche, ren­con­tré le res­pon­sable admi­nis­tra­tif d’IAMGOLD on nous a gen­ti­ment ouvert les portes. Se dépla­cer à l’intérieur de la mine impli­quait res­pec­ter des consignes de sécu­ri­té, nous avons donc du suivre une for­ma­tion en la matière, endos­ser un uni­forme de tra­vail, des lunettes et un casque de sécu­ri­té. On nous a gui­dé par­tout et on a fil­mé seule­ment les pre­mières étapes de la chaine de pro­duc­tion, fil­mer le pro­duit fini, c’est‑à dire le lin­got d’or est tout sim­ple­ment inter­dit de tour­nage pour des rai­sons de sécu­ri­té. D’ailleurs nous avons appris que dans l’iconographie offi­cielle d’IAMGOLD on évite de mon­trer l’or, il est inexis­tant. C’est inté­res­sant car l’inverse est bien plus cou­rant, en géné­ral les entre­prises pré­fèrent mon­trer le pro­duit fini et non pas dans les condi­tions dans lequel le pro­duit a été fabri­qué. IAMGOLD fait donc de sa chaine de pro­duc­tion et condi­tions de tra­vail sa vitrine et évite de mon­trer les lin­gots qui partent en avion par caisses chaque semaine. Lors d’une réunion avec eux nous avons deman­dé pour­quoi on pou­vait pas fil­mer les lin­gots, ils nous ont répon­du que c’est pour évi­ter des phan­tasmes asso­ciés à une vie de luxe. Pour ma part, je pense que c’est une forme de pru­dence déme­su­rée puisqu’on ne peut jamais cacher le soleil avec un doigt.

L’intérieur de la mine est spec­ta­cu­laire, c’est un contraste immen­su­rable avec le monde exté­rieur qui l’entoure. Dans le péri­mètre de la mine tout est ampli­fié, tout est orga­ni­sé minu­tieu­se­ment pour que tout soit mis à pro­fit, il y a régu­liè­re­ment un dyna­mi­tage qui fait trem­bler la zone, un bal­let inces­sant d’énormes camions avec des pneus de 4 mètres et qui trans­portent 15 tonnes de roches explo­sés, ils cir­culent 24h sur 24h et 7 jours sur 7 dans un brouillard de pous­sière, télé­gui­dés depuis une tour de contrôle. C’est un décor indus­triel de pointe avec un bruit assour­dis­sant en conti­nu venant des gigan­tesques machines qui broient les blocs de pierre ou du tapis rou­lant qui trans­porte le mine­rai, il y a d’énormes réser­voirs de car­bu­rant et par­tout des tra­vailleurs qui bossent avec des ins­tru­ments indes­crip­tibles, tous sont muni d’une bou­teille d’eau minérale.

On a vu dans la fosse de 100 mètres de pro­fon­deur la nappe phréa­tique, on y a vu aus­si sur les côtés les gale­ries creu­sées par les anciens orpailleurs. Cela donne une idée de com­ment un orpailleur sui­vait ver­ti­ca­le­ment une veine d’or, l’impression est bizarre car c’est comme au musée où l’on voit les gale­ries des four­mis cou­pé à la trans­ver­sale. C’est aus­si une zone où règnent des lois de tra­vail cana­diennes, au res­to on mange même du sirop d’érable, corn­flakes, épi­nards… tous les ali­ments sont impor­tés du Cana­da. Le soir, tou­jours à l’intérieur, nous avons pu boire des bières dans le “maquis” de la mine, échan­ger avec quelques repré­sen­tantes des 10% d’employés fémi­nines… Nous avons confor­ta­ble­ment dor­mi dans le plus grand hôtel de la région qui se trouve à l’intérieur de la mine avec plus de 600 chambres équi­pées en air condi­tion­né, télé et inter­net. Au petit matin nous avons fil­mé ce qui est bien plus qu’une séance de gym des tra­vailleurs, puis quelques pro­jets de déve­lop­pe­ment durable d’IAMGOLD auprès des com­mu­nau­tés affectées.

Affiche du film

Qu’en pensez-vous personnellement ?

Je pense qu’IAM­GOLD fait ce que l’État leur per­met de faire. D’ailleurs, les gens ne sont pas contre le fait qu’il y ait une mine d’or, ils veulent juste qu’avec les béné­fices de la mine on puisse nour­rir, édu­quer et soi­gner chaque enfant du pays. Aux yeux des habi­tants c’est une oppor­tu­ni­té de déve­lop­pe­ment gâchée puisqu’ils ne voient pas de béné­fices sociaux immé­diats. Ils se sentent ber­nées et la ran­cune des com­mu­nau­tés affec­tées gran­dit, la situa­tion risque bien d’exploser. Car ce qui est violent, c’est le contraste entre la réa­li­té à l’intérieur de la mine d’or et l’énorme pré­ca­ri­té à l’extérieur. D’autant que la durée de vie d’IAMGOLD est esti­mée à 12 ans, sans comp­ter les pro­jets d’expansion. Les Cana­diens par­ti­rons lorsqu’il ne res­te­ra plus d’or à exploi­ter, ce qui est logique, ils ne sont venus que pour cela. Donc, quelque part c’est main­te­nant ou jamais, et la balle est dans le camp de l’État car c’est elle qui impose les règles du jeu. Mais en ce qui me concerne, je ne suis pas allé au Bur­ki­na Faso pour réduire une réa­li­té à un pam­phlet poli­tique, la réa­li­té est com­plexe, j’essaye au mieux d’être juste.

Pensez-vous que le film pourra changer quelque chose ?

Si un film pou­vait chan­ger la socié­té ça se sau­rait, mais un film n’est pas sté­rile pour autant, il peut sus­ci­ter la réflexion et la prise de conscience sur une réa­li­té igno­rée, et de cette manière contri­buer indi­rec­te­ment à des chan­ge­ments. Un film est en quelque sorte une bou­teille que l’on jette à la mer, rem­plis de mes­sages… On ne peut pas pré­voir ce qui peut se pas­ser après la pro­jec­tion du film, mais je trouve que ten­ter d’organiser la réac­tion du public est pré­ten­tieux et dangereux.

Cet entre­tien a été réa­li­sé le 15 février 2013, par Maxime Kou­va­ras (Zin TV).

 

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