Quand Tsipras mouche Verhofstadt

Le débat entre Alexis Tsipras et Guy Verhofstadt n'a pas été tel qu'il a été décrit dans les médias. C'est en tout cas l'avis de Bleri Lleshi, politologue et philosophe qui décrypte les coulisses de ce fait d'armes de l'ancien premier ministre belge.

Le débat entre Alexis Tsi­pras et Guy Verhof­stadt n’a pas été tel qu’il a été décrit dans les médias. C’est en tout cas l’a­vis de Ble­ri Lle­shi, poli­to­logue et phi­lo­sophe qui décrypte les cou­lisses de ce fait d’armes de l’an­cien pre­mier ministre belge.

Le pre­mier ministre grec, Alexis Tsi­pras, a don­né hier un dis­cours dans le par­le­ment euro­péen sur la situa­tion de son pays. Guy Verhof­stadt avait visi­ble­ment pas­sé une bonne nuit et s’est lan­cé dans une dia­tribe mus­clée. Les médias ont su appré­cier son inter­ven­tion criarde et ont tous embrayé sur le sujet. La VRT en pre­mier. Elle lui a consa­cré un sujet de 7 minutes où l’on voit Verhof­stadt ful­mi­ner. C’est simple, c’é­tait le héros du jour.

L’i­mage est belle, mais il y a tout de même quelques “à‑côté” qui ont été igno­ré par les médias dans cette histoire.

Verhof­stadt dénonce son dégoût du clien­té­lisme en Grèce. Pour cette saillie, il a reçu les applau­dis­se­ments des conser­va­teurs et des libé­raux au sein du par­le­ment. Il a rai­son, car le clien­té­lisme est un pro­blème en Grèce. Seule­ment c’est pour le moins hypo­crite que ce soit jus­te­ment Verhof­stadt qui se lance sur ce sujet. Une enquête de la Trans­pa­ren­cy Inter­na­tio­nal révèle que la plu­part des dépu­tés euro­péens se font de jolis bas de laine en cumu­lant les man­dats. Et alors que ces mêmes fonc­tion­naires touchent déjà un salaire men­suel de 12.000 euros, défraie­ments inclus. C’est d’au­tant plus iro­nique que l’un des plus grands cumu­lards est… Guy Verhof­stadt. Seuls trois par­le­men­taires euro­péens font mieux que lui. Verhof­stadt a au moins 11 man­dats et gagne de cette façon plus de 200.000 euros sup­plé­men­taires par an. Ce même Verhof­stadt a éga­le­ment reçu une prime de 327.000 euros pour la réno­va­tion de sa mai­son. En par­lant de privilèges…

Verhof­stadt jure que la Grèce n’a pas mis en oeuvre ses réformes et n’a jamais énon­cé les­quelles de ces réformes elle allait réel­le­ment mettre en oeuvre. Nou­velle salve d’ap­plau­dis­se­ments. Les médias avaient une his­toire sur mesure. Le dis­cours de Verhof­stadt est deve­nu le sujet du jour.

Le débat dans le par­le­ment euro­péen ne s’est pour­tant pas arrê­té là. Après les réac­tions des dif­fé­rents lea­ders de la coa­li­tion euro­péenne, Tsi­pras a repris la parole. Seule­ment les médias avaient déjà ces­sé d’é­cou­ter, car leur Guy avait déjà tout dit.

Tsi­pras raconte que lui et son gou­ver­ne­ment ont depuis qu’ils sont arri­vés au pou­voir, il y a cinq mois, eu que peu de temps pour effec­ti­ve­ment diri­ger le pays, car la Troi­ka ne le per­met pas et qu’ils perdent du temps dans des réunions qui s’é­tirent en lon­gueur. La camé­ra se braque alors sur un Verhof­stadt qui approuve. Le pre­mier ministre grec pré­cise son pro­pos en égre­nant en moins de deux minutes les dif­fé­rentes réformes que la Grèce a appli­quées et veut encore intro­duire. Hon­nê­te­ment, l’exer­cice ne devait pas être com­pli­qué, car la Grèce est le pays euro­péen qui a mis en appli­ca­tion le plus grand nombre de réformes. Il semble que Verhof­stadt et ses applau­dis­sant com­parses n’en soient pas infor­més. Au fur et à mesure que Tsi­pras énonce les dif­fé­rentes réformes, Verhof­stadt perd de sa superbe.

Très rapi­de­ment on remarque aus­si que tant dans le style que sur le fond, Verhof­stadt et Tsi­pras divergent. Alors que Verhof­stadt éructe dans un anglais boi­teux, Tsi­pras s’ex­prime de manière sereine et sou­riante. Les applau­dis­se­ments de 20 secondes adres­sés à Verhof­stadt ont été bap­ti­sés de triomphe par les médias. Que Tsi­pras ait été gra­ti­fié d’ap­plau­dis­se­ments deux fois plus longs à son entrée et après sa réponse à Verhof­stadt n’a pas sem­blé digne d’in­té­rêt pour ces mêmes médias.

Par sou­ci d’hon­nê­te­té, rap­pe­lons que Verhof­stadt ne fut pas le seul à être mou­ché. Le lea­der du par­ti popu­laire euro­péen, l’al­le­mand Man­fred Weber, a aus­si piqué un fard lorsque Tsi­pras lui a rap­pe­lé que l’U­nion euro­péenne est avant tout une ques­tion de soli­da­ri­té et que l’un des plus impor­tants moments de cette soli­da­ri­té fut l’an­née 1953. L’an­née où l’Eu­rope a effa­cé la moi­tié des mil­liards de la dette allemande.

Il ne me sem­blait pas inutile de vous mon­trer une autre ver­sion des faits puis­qu’il est fort pro­bable que vous ne ver­rez pas celle-ci à la télévision. 

Par Ble­ri Lle­shi est poli­to­logue, phi­lo­sophe et réa­li­sa­teur de documentaire

Source de l’ar­ticle : LeVif