Que sont les chantauteurs devenus ?

Les singer-songwriters, les chantauteurs sont des poètes résistants ; ils vivent de peu, parfois de rien ou presque, ils font de la poésie, ils chantent. Et, ils ne se rendront jamais, ça tu peux en être sûr.

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Il est vrai qu’en Espagne, bien plus qu’en Ita­lie, les auteurs de textes de chan­sons ont repré­sen­té, mal­gré les dif­fé­rences lin­guis­tiques et de style, un mou­ve­ment véri­table qui par­ta­geait quelques prin­cipes fon­da­men­taux : le « Can­te­mos como quien res­pi­ra » de Gabriel Celaya :

Chan­tons comme on respire.

Par­lons de ce qui nous pré­oc­cupe tous les jours.

Rien d’hu­main ne devrait être lais­sé hors de notre travail.

Dans le poème il doit y avoir la boue,

par­don­ner les poé­tis­simes poètes.

La poé­sie est pas une fin en soi.

La poé­sie est un ins­tru­ment, par­mi d’autres,

pour trans­for­mer le monde

Cette poésie/chanson re-par­court l’his­toire de la chan­son d’au­teur depuis les temps sombres du fran­quisme qui cepen­dant vit fleu­rir une chan­son d’au­teur pour cer­tain vers excep­tion­nels, au reflux après la tran­si­tion à la démo­cra­tie. En effet retrou­vée la “liber­té”, cer­tains par­tis, en par­ti­cu­lier le PSOE (Par­ti Socia­liste Ouvrier Espa­gnol) , qui avaient uti­li­sé à usage de pro­pa­gande les auteurs de textes de chan­sons, ( Les poli­tiques dans le vent /Rejoignent les trou­ba­dours) se mon­trèrent bien peu reconnaissants…

La chan­son se ferme sur une note d’op­ti­misme et de confiance dans les nou­velles géné­ra­tions, qui sau­ront cer­tai­ne­ment trou­ver la manière de conti­nuer, sous des formes dif­fé­rentes, la chan­son d’au­teur et recueillir un héri­tage si important.

Les sin­ger-song­wri­ters, les chan­tau­teurs sont des poètes résis­tants ; ils vivent de peu, par­fois de rien ou presque, mais ils ne peuvent – tel le merle moqueur, faire autre­ment ; ils font de la poé­sie, ils chantent. L’oi­seau chante, le ceri­sier donne des cerises quand le temps est venu… Et, ils ne se ren­dront jamais, ça tu peux en être sûr. 

Luis Pas­tor — ¿Qué fue de los can­tau­tores ?

Ver­sion fran­çaise d’a­près une chan­son espa­gnole — ¿Qué fue de los can­tau­tores ? de Luís Pas­tor — 2012

Nous étions libertaires

Presque révo­lu­tion­naires

Ingé­nus vaillants

Imberbes sou­riants

La fine fleur

Noires bre­bis qui omirent

De suivre la tradition

Dan­sant à contrecourant

De l’île au continent

Nous étions la nou­velle chanson.

Nous étions de braves gens

Inci­vils et intelligents

Bar­bus extravagants

Ouvriers, enfants des rues

Uni­ver­si­taires progressistes

Rêvant en chanson

Vivants uto­pistes

Depuis tou­jours convaincus

Qu’un jour vien­drait la révolution

Nous avons appris à tenir

La vie dans un sourire

Le ciel dans une caresse

Le bai­ser dans l’ivresse.

Nous avons semé des chansons

Sur cette terre inculte

Nous reven­di­quant poètes

Nous avons rem­pli les stades

Et aux fêtes des cités

Reten­tis­saient nos sonorités.

Soirs et nuits de gloire

Qui chan­ge­ront notre histoire

Et ce pays d’imbéciles

Fas­cistes jus­qu’au trognon

Curés et moines serviles

Gardes civils et matons

Fonc­tion­naires à moustache

Et cou­verts de galons

Au ser­vice d’une caste

Qui contrô­laient ton pognon

Ta peur et ton cœur.

Patriotes de carrière

Espa­gnols de première

De l’Es­pagne trop fière

Trop noble et trop entière

Qui assas­si­na l’autre moitié

Bras ten­du, face au soleil

Loyaux au Mouvement

À la hau­teur et au talent

Du petit dictateur

Qui fut Cau­dillo d’Espagne

Par l’œuvre et la grâce de Dieu.

Toréant au dehors

Sou­dain chan­ge­ment de décor

Les poli­tiques dans le vent

Rejoignent les troubadours.

Les véri­tés vont à rebours

« Tu vaux ce que tu vends »

Et arrive la transition :

La démo­cra­tie au balcon

Chan­teur à ta tranchée

Avec tes cou­ronnes de laurier

On vient te décorer

Mais ne nous les casse plus

Que ton vers ne ful­mine plus

Ton temps est déjà passé.

Que sont les chan­tau­teurs devenus ?

Demandent l’air entendu

Tous les quatre ou cinq ans

Des jour­na­listes importants

Ils ont per­du notre trace

Et nous enterrent vivants.

Depuis trente ans, ils se repassent

Cette ques­tion d’école

Et me cassent les bémols.

Mes­sieurs, pre­nez note de cela

Je ne le répé­te­rai pas.

Cer­tains sont députés

Pré­si­dents, conseillers

Méde­cins, professeurs

Ou sont directeurs

De la socié­té des auteurs.

D’autres sont et ne chantent pas

D’autres chantent et ne sont pas.

Il y en a qui se sont retirés

D’autres désor­mais sont décédés,

Et d’autres en passe d’arriver.

Des jeunes nés d’hier

Uni­ver­si­taires,

Ouvriers, enfants des quartiers

Qui hantent la cité.

Un CD sous le bras,

La gui­tare en bandoulière

Avec dix euros parfois

Ils chantent de bar en bar.

Ou ces poètes rappeurs

Qui sur une cadence infernale

Dénoncent un autre réa­li­té sociale.

Et les femmes ? On ne sait.

Et sur­tout si on veut parler

Des glo­rieuses premières

Qui eurent des ovaires

Et le cou­rage nécessaire

D’af­fron­ter la scène

De cette Espagne malsaine.

Que sont les chan­tau­teurs devenus ?

Je suis ici mes seigneurs

Comme en mes temps meilleurs

À chan­ter le chant qui est le mien.

Et quand l’hiver est revenu

Je songe au prin­temps prochain

Un avril pour bonheur

Et Gran­do­la dans mon cœur.

Que sont deve­nus les chantauteurs ?

Je suis ici mes seigneurs

Vivant et fré­tillant encore

Et chan­tant en ces vers

Nos véri­tés d’hier

Qui écla­boussent le présent

D’un mag­ma puant

Qui grimpe par des­sus nos pieds doucereusement.

Que sont les chan­tau­teurs devenus ?

Au départ, nom­breux nous étions

Peu à pré­sent, nous restons

Ceux qui encore résistons

Ceux qui ne se sont pas vendus

Nous sommes là et nous continuons

Dans sa tran­chée, chacun

De la poé­sie, nous faisons

Notre pain quotidien.

Le chat a sept vies

Même s’il ne chasse pas les souris

Le chan­tau­teur en a pour longtemps

Chan­tau­teur à tes chants.

Pay­san à tes champs.

tra­duc­tion : Mar­co Val­do M.I. 2012