Sabra et Chatila, oublié des médias

En 1982, l’actualité est marquée par un autre fait, le décès de Grace Kelly. Cette information fait la une des journaux tandis que la mort de milliers de Palestiniens n’est pas mise en avant...

Bourget-couv4.jpgJacques-Marie BOURGET et Marc SIMON, Sabra et Cha­ti­la au coeur du mas­sacre EDITIONS ERICKBONNIER (19 sep­tembre 2012)

Le mas­sacre de Sabra et Cha­ti­la, com­mis contre des réfugiés pales­ti­niens dans deux camps de Bey­routh, est une mons­truo­sité de l’Histoire. Une bar­ba­rie jamais étudiée, analysée comme la gra­vité l’exige. Trente ans après ce génocide, scan­da­leu­se­ment jamais jugé, il n’est pas trop tard pour découvrir sa réalité. Au second jour le la tue­rie, le 17 sep­tembre 1982, puis le len­de­main à l’aube, deux jour­na­listes, Jacques-marie Bour­get et Marc Simon étaient là, seuls au milieu de l’enfer. Pen­dant trente ans per­sonne ne leur a donné la parole pour qu’ils révèlent ce qu’ils ont vu. Et appris au cours de leur enquête qui a sui­vi qui apporte des pièces capi­tales. Aujourd’hui, l’existence de ce livre leur per­met de révéler les faits dont ils ont été les témoins, d’évoquer les difficultés et vicis­si­tudes du métier de jour­na­liste, puisque ce récit qui prend la forme d’un car­net de reportage.

Sur le ter­rain ils ont découvert l’entière col­la­bo­ra­tion entre les milices chrétiennes liba­naises et le gou­ver­ne­ment israélien. Entre Ariel Sha­ron, attaché à liqui­der les pales­ti­niens, et Bachir Gemayel désigné comme ami et supplétif de « Tsa­hal ». Sha­ron pres­sant les pha­lan­gistes de « net­toyer » des camps présentés comme des « repères du ter­ro­risme ». Un argu­ment nais­sant qui aura la vie dure et longue : « liqui­der le ter­ro­risme est aujourd’hui l’argument ordi­naire uti­lisé pour humi­lier le monde arabe. À Bey­routh le 22 sep­tembre, six jours après le début du pre­mier mas­sacre, les deux auteurs de ce livre ont vu l’armée française sciem­ment favo­ri­ser une seconde tue­rie. Elle a ouvert les portes des camps à des mili­ciens chrétiens pas encore repus de sang. On lira qu’alerté par le tru­che­ment de Régis Debray, le gou­ver­ne­ment de Fran­çois Mit­ter­rand n’a pas bronché à l’annonce de cette nou­velle barbarie.

Jacques-Marie Bour­get, grand repor­ter, a tra­vaillé pour les plus grand titres de la presse fran­çaise. En 1986 il a obte­nu le prix Scoop pour avoir révélé l’affaire Green­peace. En 2000 à Ramal­lah, il a été très grièvement blessé par une balle israélienne.

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Jacques-Marie Bour­get et Marc Simon racontent le géno­cide de Sabra et Cha­ti­la, oublié des médias

La malé­dic­tion de Sabra-Chatila

« A l’époque, per­sonne ne se bat­tait pour édi­ter ce genre de livres. » Quel édi­teur aurait bien vou­lu mettre sur papier les mots et les images poi­gnantes du géno­cide des camps de Sabra et Cha­ti­la ? Voi­là com­ment Jacques-Marie Bour­get débute sa prise de parole à la Librai­rie Résis­tances, à Paris. Same­di 22 sep­tembre, avec Marc Simon, il pré­sente l’ouvrage Sabra & Cha­ti­la, au cœur du mas­sacre. Depuis 1982, une année de mal­heur pour les Pales­ti­niens, beau­coup de sang et très peu d’encre ont cou­lé sous les ponts. L’indifférence a enter­ré les mas­sacres des réfu­giés pales­ti­niens des camps de Sabra et Cha­ti­la, à Bey­routh, au cœur du cime­tière des géno­cides oubliés. Sous le bla­son de la mai­son d’édition Encre d’Orient, les jour­na­listes viennent en par­ler. Ils viennent racon­ter l’histoire d’une tue­rie que les états, que les médias ont choi­si de taire. Pas assez de morts ? Pas assez d’intérêt ? Trente ans après, ils res­sortent les cli­chés des tiroirs et mettent leur mémoire à contri­bu­tion, par­fois sans même reprendre d’anciennes notes. Tant le sou­ve­nir est mar­quant et cho­quant. Afin de mettre la véri­té devant nos yeux.

« Durant très long­temps, lorsque l’on vit une chose comme celle-ci, on l’étouffe. »Jacques-Marie_Bourget.jpg

Jacques-Marie Bour­get

En 1982, Jacques-Marie Bour­get a déjà cou­vert des conflits comme la Guerre du Viet­nam, la Guerre des Six Jours et reste très imbi­bé d’une culture poli­ti­co-judi­ciaire, propre aux faits divers. Ce qu’il découvre dans les camps de Sabra et Cha­ti­la lui ouvre les portes d’un autre monde. « Durant très long­temps, lorsque l’on vit une chose comme celle-ci, on l’étouffe. C’est impos­sible à expri­mer, à syn­thé­ti­ser. On se dit tout sim­ple­ment que cela n’est pas vrai. » Et pour­tant ! Au sor­tir de cette période, seule­ment quelques-uns s’intéresseront au géno­cide au point d’en faire des ouvrages et repor­tages. Très peu face à un vide immense, un vide total bien que les Nations Unies aient recon­nu cet évè­ne­ment san­glant comme géno­cide en décembre 1982. Et Jacques-Marie se ques­tionne jus­te­ment sur ce que les Pales­ti­niens, vic­times de l’histoire et des hommes, peuvent bien en pen­ser. « Un Pales­ti­nien m’avait dit que Sabra et Cha­ti­la étaient comme tous ces autres mas­sacres que les Pales­ti­niens avaient connus. » Comme une habi­tude mal­heu­reu­se­ment… « Vous savez, si ce livre a mis du temps à être publié c’est aus­si parce qu’en 2000, les Israé­liens ont eu la brillante idée de me tirer une balle dans le pou­mon. Alors non, je ne vou­lais pas que cet ouvrage appa­raisse comme une ven­geance de ma part, une ven­det­ta. » 30 ans après, Jacques-Marie voit ce géno­cide comme ayant eu lieu tout juste hier.

« C’était comme une enquête. J’avais récu­pé­ré des preuves en les photographiant. »

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Dans les années 70, alors étu­diant à Tou­louse, Marc Simon est déjà très inté­res­sé par la ques­tion pales­ti­nienne. Il débute par du free­lance à Bey­routh où il arrive en août 1976. Une année qui voit le mas­sacre de Tall al-Za’tar. Il fait de nom­breux voyages entre le Liban et la France en tant que pho­to­graphe chez VSD. « De très près, j’ai vécu le départ des fedayins d’Arafat en 1982 mais aus­si l’invasion de Bey­routh Ouest par Israël. Et sur­tout le géno­cide de Sabra et Cha­ti­la. Mais lorsque l’on tra­vaille dans la pho­to­gra­phie, très sou­vent on couvre un évé­ne­ment puis on passe à autre chose. On tourne la page. Durant toutes ces années, ça a été le cas pour les mas­sacres des camps pales­ti­niens. » De plus, en 1982, l’actualité est mar­quée par un autre fait, le décès de Grace Kel­ly. Cette infor­ma­tion fait la une des jour­naux tan­dis que la mort de mil­liers de Pales­ti­niens n’est pas mise en avant. Ses cli­chés ? Il les a gar­dés là, au fond d’un tiroir. Par manque de temps, il ne les archive pas. Alors lorsque Jacques-Marie lui demande de se replon­ger dans ses sou­ve­nirs, il reprend ces ins­tants figés. « C’était comme une enquête. J’avais récu­pé­ré des preuves en les photographiant. »

« Il suf­fi­sait qu’un homme ait trois poils au men­ton, un tur­ban et des babouches pour qu’on le dise terroriste »

les-palestiniens-questionnent.jpgLes Pales­ti­niens questionnent…

En 1982, Israël sait. Israël prend part aux évé­ne­ments. Jean Genet qui s’est aus­si inté­res­sé à ce géno­cide appor­te­ra les preuves de la fuite des forces inter­na­tio­nales dans la Baie de Bey­routh. Il dira que les tanks de Tsa­hal blo­quaient tous les accès aux camps, pour mieux créer une bou­che­rie à ciel ouvert. Et sur­tout Jean Genet mon­tre­ra des com­man­dos assas­sins reve­nant à plu­sieurs reprises, comme pour reprendre un tra­vail qui ne serait pas ter­mi­né… Aujourd’hui, des docu­ments déte­nus par un pro­fes­seur de l’université de Colum­bia prouve qu’Israël a fait pres­sion sur les Amé­ri­cains et Ronald Rea­gan. Ariel Sha­ron, Ministre de la Défense, appuyait le fait que si les Etats-Unis ne déci­daient pas de délo­ger les pré­ten­dus 2 000 ter­ro­ristes encore pré­sents dans les camps, alors Tsa­hal s’en occu­pe­rait. Il insis­tait aus­si sur le fait que les Pha­lan­gistes Chré­tiens pou­vaient très bien aus­si s’en mêler. « Il suf­fi­sait qu’un homme ait trois poils au men­ton, un tur­ban et des babouches pour qu’on le dise ter­ro­riste », dit Jacques-Marie. Ain­si est l’argumentaire d’Ariel Sha­ron, voyant des ter­ro­ristes par­tout ! Les deux jour­na­listes, avec leurs sty­los, leurs car­nets, un taxi, un inter­prète, sentent cette pres­sion israé­lienne, cette ambiance qui sent la mort. Depuis les quar­tiers chré­tiens, des flèches indiquent les camps de Sabra et Cha­ti­la. Comme pour aider les Pha­lan­gistes à exé­cu­ter cette entre­prise sanguinaire.

pour-accc3a9der-aux-camps-palestiniens-le-parcours-est-flc3a9chc3a9.jpgPour accé­der aux camps pales­ti­niens, le par­cours est fléché…

La sécu­ri­té des réfu­giés est assu­rée grâce à des accords…

Tous deux ont la par­ti­cu­la­ri­té d’avoir tout vécu de l’intérieur. D’avoir lu sur les visages des corps jon­chant les rues, la bar­ba­rie des Pha­lan­gistes Chré­tiens, des Israé­liens et de l’indifférence inter­na­tio­nale. Dans un contexte où, quelques semaines plus tôt, Men­ham Begin avait lan­cé l’intervention mili­taire « Paix en Gali­lée » cau­sant morts, bles­sés, mar­qués à vie, han­di­ca­pés… Lorsqu’un ces­sez-le-feu est trou­vé, Israël a un sou­hait, que les fedayins pales­ti­niens, l’OLP et Yas­ser Ara­fat quittent Bey­routh. La sécu­ri­té des réfu­giés est assu­rée grâce à des accords… Mais qui peut vrai­ment confir­mer que les Pales­ti­niens ne craignent rien, sur­tout lorsque les puis­sances inter­na­tio­nales amé­ri­caine, ita­lienne et fran­çaise sur place décident de partir ?

un-corps-parmi-tant-dautres.jpgUn corps par­mi tant d’autres…

« On peut s’en vou­loir mais au début on n’avait vu que ce qu’il y avait dans notre champ de vision. Puis on est tom­bé dans l’horreur. »

« Nous étions pré­sents ven­dre­di 17 sep­tembre après avoir pas­sé la nuit dans une famille d’un autre quar­tier. Cette nuit-là, nous avions vu des fusées éclai­rantes au loin, du côté de Sabra et de Cha­ti­la. Le len­de­main, en nous ren­dant dans les camps, on ne voyait pas de mas­sacre de masse. Mais nous avions un pres­sen­ti­ment. Un très mau­vais pres­sen­ti­ment. Nous vou­lions dor­mir sur place dans la nuit du ven­dre­di au same­di et Marc me disait que si nous ne vou­lions pas mou­rir, il ne fal­lait par res­ter là. » Same­di 18 sep­tembre, après une nuit à l’hôtel, ils retournent aux camps au petit matin. Là, ils croisent des hommes et des femmes fuyant sans par­ler, sans dire ce qu’ils avaient vu et ce que d’autres avaient subi. Jacques-Marie se sou­vient. « Ils s’en allaient ter­ro­ri­sés, hébé­tés, sans s’exprimer. Ils par­taient sans véri­table témoin, sans jour­na­liste. On peut s’en vou­loir mais au début on n’avait vu que ce qu’il y avait dans notre champ de vision. Puis on est tom­bé dans l’horreur. C’était aber­rant parce qu’un enga­ge­ment avait été pris par l’état d’Israël de ne pas tou­cher à la popu­la­tion pales­ti­nienne de Bey­routh qui se retrou­vait sans défense puisque l’OLP avait quit­té Bey­routh pour Tunis. Mais en réa­li­té qui aurait pu aller véri­fier que cela était vrai ? Qu’ils res­pec­te­raient ce qui avait été conve­nu ? » Per­sonne ! Marc Simon a encore une image en tête, celle d’un gar­çon accom­pa­gnant une per­sonne âgée… « Je n’avais pas mon appa­reil en main à ce moment-là. Le gar­çon avait un regard froid. Son visage m’a marqué… »

un-vieillard-et-un-enfant-tournant-le-dos-c3a0-tout-c3a7a.jpgCe vieillard et cet enfant que Marc Simon a croisé…

Un bébé a été écra­sé à coups de mar­teau, de par­paing ou de crosse. Un mur avec des impacts montre que l’on a fusillé des hommes. Les corps gonflent avec la cha­leur. L’incroyable continue…

Au milieu de ces corps, la bar­ba­rie humaine va cres­cen­do. Au fil des pages de leur ouvrage, Jacques-Marie et Marc décrivent tout. Des hommes ont été émas­cu­lés. Des traces sur les corps prouvent qu’ils ont été traî­nés, pieds et mains liés. « En arri­vant ici, nous étions pré­pa­rés à décou­vrir des cadavres. Le jour­na­liste est le comp­table de la mort des autres. » Les bou­chers ont assas­si­né aux cou­teaux, vio­lé. Ici les seins d’une mère ont été cou­pés. Les ado­les­cents sont morts par balle. Un bébé a été écra­sé à coups de mar­teau, de par­paing ou de crosse. Un mur avec des impacts montre que l’on a fusillé des hommes. Les corps gonflent avec la cha­leur. L’incroyable conti­nue… Une femme enceinte a été éven­trée, un petit gar­çon cou­pé en deux, un lam­beau de chair rete­nant encore l’autre moi­tié du corps. Une vieille femme est morte debout, rete­nue par ses vête­ments dans les épines d’un fil bar­be­lé. « Accro­chée comme un Christ sans croix. » Puis, se pré­sente deux pyra­mides de corps d’enfants. On a trié les petites filles des petits gar­çons. Ils ont ouvert des crânes à coups de hache. Une épu­ra­tion eth­nique a eu lieu… Des tor­tu­rés. Des dépe­cés. Des découpés.

des-morts-c3a0-chaque-coin-de-rue.jpgDes morts à chaque coin de rue…

Aujourd’hui Jacques-Marie ne jette pas la pierre, Marc non plus. En réa­li­té avec du recul, tout le monde est cou­pable de n’avoir rien dit, d’avoir fil­mé des Pha­lan­gistes sor­tant des camps après avoir com­mis l’irréparable. « Un repor­ter nor­vé­gien avait fait le tour des jour­na­listes sur place afin de récu­pé­rer cer­tains rushs. Il en a fait un mon­tage et il y a eu cette image, celle de vingt à trente mili­ciens sor­tant par un trou fait dans un des murs. Les coupables. »

Ain­si, ces deux jour­na­listes, ces deux témoins ont racon­té à leur manière com­ment les Pales­ti­niens, aux mains, à la por­tée des armes des Israé­liens et des Pha­lan­gistes Chré­tiens ont subi l’un des géno­cides les plus oubliés de l’histoire… Un géno­cide… Un de plus… Dans le monde… Et sur­tout pour les Pales­ti­niens. « Une seule phrase, en pas­sant, pour mar­quer l’injustice. Alors que nul Pales­ti­nien n’a prê­té la main aux pogroms ou aux camps nazis, pour­quoi ce peuple est-il ain­si puni, mar­ty­ri­sé ? A la fin du XIXème siècle, les proches ancêtres de ceux qui sont morts, aujourd’hui à Sabra et Cha­ti­la, vivaient chez eux dans une Pales­tine qui comp­tait 470 000 habi­tants. De confes­sion juive, 24 000 d’entre eux étaient dans ce pays du Livre des citoyens comme les autres, et sans his­toire. Jusqu’à ce que les Bal­four, Roth­schild, Chur­chill et autres ban­quiers, pétro­liers, décident de faire de la Pales­tine une colo­nie char­gée de veiller aux inté­rêts de l’Occident. »

Source : glo­bal research