Turquie : Deux profs victimes des purges au seuil de la mort

Nuriye Gülmen et Semih Özakça sont en grève de la faim depuis 104 jours. Pour le journaliste belge d’origine turque Bahar Kimyongür, ils incarnent la résistance à Erdogan.

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Nuriye Gül­men et Semih Özak­ça sont en grève de la faim depuis 104 jours. Pour le jour­na­liste belge d’origine turque Bahar Kimyongür, ils incarnent la résis­tance à Erdogan.

C’est un appel au secours un peu déses­pé­ré que viennent de lan­cer les amis de Nuriye Gül­men et Semih Özak­ça. Ces deux ensei­gnants, licen­ciés lors des purges anti-fonc­tion­naires du régime isla­miste de Recep Tayyip Erdo­gan, sont en grève de la faim depuis le 11 mars à Anka­ra. Ali­men­tés uni­que­ment de vita­mines et d’eau salée ou sucrée, Nuriye et Semih sont dans un état extrê­me­ment pré­oc­cu­pant, ont aver­ti la semaine der­nière le Centre Europe tiers-monde (CETIM) et l’Association inter­na­tio­nale des juristes démo­crates au Palais des Nations.

Les deux asso­cia­tions ont sai­si plu­sieurs experts du Conseil des droits de l’homme de l’ONU à Genève, afin, écrivent-elles, que ceux-ci « prennent toute ini­tia­tive néces­saire d’urgence afin de sau­ver la vie de ces deux défen­seurs des droits fondamentaux ».

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Incar­cé­rés depuis le 23 mai

Comme des dizaines de mil­liers d’autres ensei­gnants, Nuriye Gül­men et Semih Özak­ça ont per­du leur emploi, accu­sés d’avoir sou­te­nu le coup d’Etat man­qué de juillet, que le gou­ver­ne­ment attri­bue à la confré­rie Gülen. Res­pec­ti­ve­ment pro­fes­seure de lit­té­ra­ture et ins­ti­tu­teur, ils n’ont pas accep­té leur licen­cie­ment et se battent depuis afin d’être réin­té­grés, mal­gré l’absence de recours possible.

Frap­pés, arrê­tés, déte­nus à de nom­breuses reprises, en dépit du carac­tère paci­fique et sym­bo­lique de leurs actions, Nuriye Gül­men et Semih Özak­ça ont fini par enta­mer un jeûne de pro­tes­ta­tion publique le 11 mars der­nier à Anka­ra, deve­nant le sym­bole et le point de ral­lie­ment, régu­liè­re­ment dis­per­sé, du com­bat des fonc­tion­naires limo­gés par le régime isla­miste. Du moins, jusqu’à leur incar­cé­ra­tion, le 23 mai der­nier, sous pré­texte de « liens avec une orga­ni­sa­tion terroriste ».

Désor­mais à l’abri des regards, « les deux gré­vistes peuvent mou­rir à tout moment », alertent les deux ONG. « Ain­si, après avoir per­du leur tra­vail, leur san­té et leur liber­té, ils sont sur le point de perdre leur vie. »

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Pour le jour­na­liste belge d’origine turque Bahar Kimyongür, Nuriye Gül­men et Semih Özak­ça, les deux pro­fes­seurs en grève de la faim depuis 104 jours, sont deve­nus pour des mil­lions de Turcs le sym­bole de la résis­tance au contre-coup d’Etat com­mis par le pré­sident Erdogan.

Quelle est l’importance du com­bat de Nuriye Gül­men et Semih Özakça ?

Bahar Kimyongür : Ils font par­tie d’une poi­gnée de mili­tants héroïques qui affrontent le pou­voir arbi­traire. Nuriye et Semih sont deux et en même temps repré­sentent 200 000 fonc­tion­naires licen­ciés. Voire car­ré­ment cette moi­tié des Turcs qui s’oppose, scru­tin après scru­tin, aux pro­jets du président.

Pour­quoi sont-ils si importants ?

Leur déter­mi­na­tion en a fait des per­son­nages incon­tour­nables. Tout a com­men­cé avec Nuriye. Dès son licen­cie­ment, elle s’est ren­due au centre d’Ankara, devant un monu­ment où l’on voit une femme assise lire la Décla­ra­tion des droits humains, avec une simple pan­carte : « Je veux récu­pé­rer mon tra­vail ». Arrê­tée, tabas­sée, elle revient faire son sit-in le len­de­main. La police l’expulse à nou­veau, mais Nuriye retourne irré­mé­dia­ble­ment au pied du monu­ment. D’autres fonc­tion­naires licen­ciés vont alors la rejoindre, dont Semih. Il y a aus­si Acun Kara­dag, dont le cœur est deve­nu fra­gile après avoir été tabas­sée par la police, car elle était retour­née ensei­gner devant son éta­blis­se­ment. Ou encore le socio­logue licen­cié par le Minis­tère de la famille, Veli Saçi­lik, ampu­té d’un bras en juillet 2000, après un assaut mili­taire contre la pri­son de Burdur.

Tous les jours, cette poi­gnée de fonc­tion­naires refu­sant l’arbitraire de leur licen­cie­ment sont frap­pés et gazés. En mars, Nuriye et Semih décident d’entrer en grève de la faim, entou­rés d’un sou­tien popu­laire grandissant.

Ont-ils des sou­tiens politiques ?

Oui, par exemple, le Par­ti répu­bli­cain du peuple, prin­ci­pal mou­ve­ment d’opposition à Erdo­gan, les sou­tient. Quelques dépu­tés ont mené un jour de grève à leurs côtés et trois-quatre ont même fran­chi sym­bo­li­que­ment la bar­rière que la police a fini par ins­tal­ler autour de la sta­tue pour ten­ter de décou­ra­ger les protestataires.

Nuriye et Semih sont désor­mais incarcérés…

Oui, et c’est extrê­me­ment grave. Ils sont empri­son­nés, accu­sés de ter­ro­risme ! C’est la pre­mière fois qu’une grève de la faim est assi­mi­lée à du ter­ro­risme. Mais Erdo­gan est prêt à tout pour les éli­mi­ner. Ils sont trop connus, trop sym­bo­liques, la presse inter­na­tio­nale a par­lé d’eux. S’ils venaient à gagner, tout le sys­tème de purge arbi­traire de l’Etat serait remis en cause.

Que fau­drait-il obte­nir pour que Nuriye Gül­men et Semih Özak­ça cessent leur jeûne ?

Leurs reven­di­ca­tions ont évo­lué avec le temps. Au départ, ils exi­geaient l’annulation de l’état d’urgence qui a per­mis de pro­non­cer ces décrets de licen­cie­ments, véri­tables condam­na­tions à mort sociales. Désor­mais, ils sont en pri­son, très affai­blis. Nuriye pèse 47 kilos ! Les bat­te­ments de leurs cœurs sont faibles, ils peuvent mou­rir d’un moment à l’autre. Dans ces condi­tions, leur libé­ra­tion et leur réin­té­gra­tion pour­raient suffire.

Beni­to Pérez (Le Cour­rier — Genève)

Mar­di 20 juin 2017

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