Belgique : les aventures d’un Conseil de Déontologie Journalistique »

Rapport envoyé par 24 plaignants. Il est le fruit de nombreuses années d’observations de terrain et d’analyses de la désinformation quotidienne sur le Venezuela.

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S’il est un jour­nal qu’on ne peut sus­pec­ter de sym­pa­thie pour Hugo Cha­vez, c’est bien le Figa­ro. Pour­tant lorsqu’il évoque ce 5 juillet le « retour triom­phal » du véné­zué­lien opé­ré avec suc­cès d’une tumeur à Cuba, il rap­pelle aux lec­teurs qu’il est « Pré­sident, élu à trois reprises depuis 1998 et chef de file de la gauche radi­cale en Amé­rique latine ». Preuve qu’on peut avoir des convic­tions plu­tôt conser­va­trices sans se dépar­tir du mini­mum vital journalistique.

En mai 2011 la Fon­da­tion pour l’Avancée de la démo­cra­tie (FDA) du Cana­da a situé le Vene­zue­la en pre­mière place mon­diale de la jus­tice élec­to­rale, avec 85 points et une qua­li­fi­ca­tion A+, sui­vi en deuxième place par la Fin­lande avec seule­ment 40,75 points et une qua­li­fi­ca­tion F. Cette qua­li­fi­ca­tion s’ajoute à l’évaluation posi­tive réa­li­sée par le Centre Car­ter et par des cen­taines d’observateurs inter­na­tio­naux (Union Euro­péenne, OEA, Asso­cia­tion des Juristes Lati­no-amé­ri­cains…) pré­sents dans les nom­breuses élec­tions menées au Vene­zue­la depuis 1998.

Mais, Mr. Jean-Pierre Mar­tin, employé de RTL Bel­gique, n’a pas de temps à perdre dans la lec­ture d’inutiles et encom­brants rap­ports et encore moins en allant enquê­ter sur place, vous pen­sez bien. Le 4 mars 2011, avant d’évoquer avec iro­nie une ini­tia­tive de paix du pré­sident véné­zué­lien pour la Libye, sa voix off pré­cise aux spec­ta­teurs du JT que le pré­sident véné­zué­lien est un « dictateur ».

En Bel­gique lorsque vous vous adres­sez pour la pre­mière fois au “Conseil de Déon­to­lo­gie Jour­na­lis­tique”, vous ima­gi­nez d’abord un orga­nisme char­gé de défendre la pro­fes­sion dans un contexte de dis­cré­dit crois­sant du monde éco­no­mi­co-média­tique, et qu’il est com­po­sé à cette fin d’experts indé­pen­dants, de profs de jour­na­lisme, de mili­tants du monde asso­cia­tif, d’enseignants, de syn­di­ca­listes, de comi­tés d’usagers des médias, voire de qui­dams tirés au sort, etc.

Mais un cour­riel du secré­taire géné­ral vous informe que le « conseil de déon­to­lo­gie jour­na­lis­tique » est com­po­sé… en majo­ri­té de membres des médias eux-mêmes (1). L’idée qu’être juge et par­tie puisse cau­ser quelque conflit d’intérêts, et ne consti­tue pas pré­ci­sé­ment le meilleur moyen de rendre jus­tice, ne semble en tout cas pas avoir pré­oc­cu­pé les fon­da­teurs de ce “Conseil”.

On devine la suite : “plainte non fon­dée”, “salu­ta­tions dis­tin­guées”, etc.

Nous publions ci-des­sous le rap­port envoyé par un des 24 plai­gnants. Il est le fruit de nom­breuses années d’observations de ter­rain et d’analyses de la dés­in­for­ma­tion quo­ti­dienne sur le Vene­zue­la. Ce rap­port fac­tuel et très argu­men­té a été trans­mis au CDJ avant sa réunion.

Nous publions ensuite la réponse du CDJ, pour que le lec­teur com­prenne par quels argu­ments, un conseil dit de « déon­to­lo­gie » peut arri­ver à nier jusqu’à l’existence d’une faute professionnelle.

Sa publi­ca­tion aujourd’hui n’aurait guère d’intérêt si son but était d’établir la rou­tine de la pro­pa­gande sur un “média” comme RTL ou de mon­trer que le “Conseil de Déon­to­lo­gie” belge a un sérieux besoin de plu­ra­lisme socio­lo­gique. Il s’agit d’offrir aux citoyens usa­gers des médias un ensemble suf­fi­sant d’éléments véri­fiables, en men­tion­nant les sources, pour qu’ils puissent enfin juger sur pièces. En d’autres mots, de vous informer.

Cette affaire rap­pelle que les médias ne sont élus par per­sonne mais qu’ils ont des res­pon­sa­bi­li­tés sociales. Et que le droit d’informer n’est pas le mono­pole d’une pro­fes­sion. Sans démo­cra­ti­sa­tion du patri­moine public qu’est le spectre radio­té­lé­vi­sé (comme vient de le faire le par­le­ment argen­tin), sans réap­pro­pria­tion popu­laire des médias, sans refonte des écoles de jour­na­lisme aux anti­podes du for­ma­tage domi­nant, tous les “conseils de déon­to­lo­gie” du monde ne sau­raient cacher la misère anti-infor­ma­tive des logiques actuelles.

Note

(1) La com­po­si­tion du CDJ lors de l’approbation de l’avis una­nime selon lequel « la plainte n’est pas fon­dée » :
Jour­na­listes Marc Cha­mut, Yves Bou­cau, Fran­çois Des­cy, Bru­no Godaert
Edi­teurs Cathe­rine Anciaux, Jean-Paul van Grie­ken, Jean-Pierre Jac­q­min, Phi­lippe Nothomb, Mar­tine Vandmeulebroucke
Rédac­teurs en chef N.
Socié­té Civile : Nicole Cau­chie, Edouard Del­ruelle, Marc Swaels
Ont éga­le­ment par­ti­ci­pé à la dis­cus­sion : Pierre Loppe, Gabrielle Lefèvre, Jacques Engle­bert, Marc Cha­mut Président
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I. RAPPORT TRANSMIS AU CDJ POUR ETAYER LA PLAINTE “11 – 16. RTL. Jean-Pierre Martin”. 

INTRODUCTION

Depuis douze ans, Hugo Cha­vez est quo­ti­dien­ne­ment pré­sen­té comme popu­liste, d’ex-putschiste, etc. par de très nom­breux médias dans le monde entier. A tel point qu’on se lasse ou qu’on n’ose plus démen­tir ce qui, à force d’être répé­té, est deve­nu véri­té pour une majo­ri­té de lec­teurs, d’auditeurs ou de téléspectateurs.

Le repor­tage dif­fu­sé par RTL le 4 mars 2011 dans lequel Jean-Pierre Mar­tin affirme qu’Hugo Cha­vez est un “dic­ta­teur” était consa­cré à la Libye dont on sait qu’elle est gou­ver­née par un vrai dic­ta­teur. L’effet d’association est d’autant plus puis­sant pour celui ou celle qui ne connaît pas le Venezuela.

Notre plainte auprès du Conseil de Déon­to­lo­gie Jour­na­lis­tique part du prin­cipe que les mots ont un sens. Exi­ger le res­sour­ce­ment au réel par l’enquête de ter­rain (ce que mani­fes­te­ment Jean-Pierre Mar­tin n’a pas fait) est notre manière de défendre le métier de jour­na­liste et le droit du public à être informé.

Selon l’Encyclopædia Uni­ver­sa­lis : « La dic­ta­ture est un régime poli­tique auto­ri­taire, éta­bli et main­te­nu par la vio­lence, à carac­tère excep­tion­nel et illé­gi­time. Elle sur­git dans des crises sociales très graves, où elle sert soit à pré­ci­pi­ter l’évolution en cours (dic­ta­tures révo­lu­tion­naires), soit à l’empêcher ou à la frei­ner (dic­ta­tures conser­va­trices). Il s’agit en géné­ral d’un régime très per­son­nel ; mais l’armée ou le par­ti unique peuvent ser­vir de base à des dic­ta­tures institutionnelles. »

Or :

a) Depuis 1998 le pré­sident Cha­vez a été élu et réélu au terme d’élections paci­fiques qui ont toutes été recon­nues comme trans­pa­rentes par la com­mu­nau­té inter­na­tio­nale, ain­si que le sou­lignent les rap­ports publics des obser­va­teurs et des experts élec­to­raux de l’Union Euro­péenne, du Par­le­ment Euro­péen, de l’Organisation des Etats Amé­ri­cains, de la Fon­da­tion Car­ter et de l’Association des Juristes Lati­no-amé­ri­cains. (NDLR : depuis lors ces nom­breux avis concor­dants ont été encore ren­for­cés par un rap­port de mai 2011 de la Fon­da­tion cana­dienne pour l’Avancée de la démo­cra­tie (FDA) qui situe le Vene­zue­la en pre­mière place mon­diale de la jus­tice élec­to­rale, avec 85 points et une qua­li­fi­ca­tion A+, sui­vi en deuxième place par la Fin­lande avec seule­ment 40,75 points et une qua­li­fi­ca­tion F).

b) La Consti­tu­tion boli­va­rienne est la seule au monde à ins­tau­rer un réfé­ren­dum révo­ca­toire. Les citoyens peuvent révo­quer un élu, maire ou pré­sident, à mi-man­dat. L’opposition en a fait usage en 2004. Cha­vez a rem­por­té le réfé­ren­dum, et celui-ci a été vali­dé par les obser­va­teurs internationaux.

c) Il existe en 2011 au Vene­zue­la une qua­ran­taine de par­tis, de l’extrême-droite à l’extrême-gauche. L’opposition occupe actuel­le­ment 40 % des sièges à l’assemblée natio­nale, et elle a bon espoir de battre Cha­vez aux élec­tions de 2012. Le nombre de scru­tins orga­ni­sés au Vene­zue­la est si éle­vé en com­pa­rai­son avec les autres pays d’Amérique Latine que l’ex-président Lula a décla­ré que “Cha­vez est le plus légi­time d’entre nous”. L’écrivain uru­guayen Eduar­do Galea­no, auteur des “Veines ouvertes de l’Amérique Latine”, a décla­ré que “le Vene­zue­la a injec­té une bonne dose de vita­mines à la démo­cra­tie lati­no-amé­ri­caine”. Le secré­taire géné­ral de l’OEA (Orga­ni­sa­tion des États Amé­ri­cains) José Miguel Insul­za, qui n’est pas un sym­pa­thi­sant du pré­sident véné­zué­lien, a décla­ré le 5 février 2011, que “les élec­tions qui ont eu lieu ces der­nières années au Vene­zue­la ont été par­fai­te­ment nor­males et nous ne voyons pas pour­quoi il n’en serait pas ain­si dans l’avenir”.

d) Le pro­fes­seur de jour­na­lisme Aram Ara­ho­nian, direc­teur de la revue “Ques­tion”, ou le jour­na­liste Elea­zar Diaz Ran­gel, figure his­to­rique de la presse véné­zué­lienne, actuel rédac­teur du quo­ti­dien cen­triste « Ulti­mas noti­cias » et qui a connu la cen­sure sous les régimes d’avant Cha­vez, rap­pe­laient récem­ment qu’en 2011 l’opposition pos­sède 90% du pou­voir com­mu­ni­ca­tion­nel, d’où elle lance des épi­thètes déni­grantes contre la majo­ri­té du peuple véné­zué­lien – comme “singes, “plèbe”, “hordes”, “éden­tés” et autres adjec­tifs de dis­cri­mi­na­tion eth­nique et sociale et d’où elle appelle régu­liè­re­ment au coup d’État contre un pré­sident Cha­vez, comme l’a fait le chef du patro­nat en décembre 2010.

e) Une étude du Centre pour la Recherche Éco­no­mique et Poli­tique (CPER) basé à Washing­ton sur les télé­vi­sions véné­zué­liennes – médias les plus influents du pays – et qui se base sur les mesures d’audience de AGB Pana­me­ri­ca de Vene­zue­la Medi­cion S.A. – une filiale véné­zué­lienne du groupe Niel­sen Media Research Inter­na­tio­nal – groupe pri­vé indé­pen­dant du gou­ver­ne­ment Cha­vez, montre qu’en 2010 les chaînes publiques ne font que 5,4 % d’audience alors que les chaînes pri­vées font 94,5 % (neutres pour les moins poli­ti­sées, radi­ca­le­ment oppo­sées au gou­ver­ne­ment d’Hugo Cha­vez pour la majo­ri­té). Cette posi­tion domi­nante de l’opposition dans les médias est la même pour la radio et pour la presse écrite. Il suf­fit de se pro­me­ner dans les rues de Cara­cas, pour voir qu’une majo­ri­té des titres dis­po­nibles dans les kiosques cri­tiquent Cha­vez, ain­si que la plu­part des radios qu’on peut écou­ter par­tout à lon­gueur de jour­née. Dans les bars et dans les res­tau­rants, la chaine natio­nale de news en conti­nu Glo­bo­vi­sion est pré­pon­dé­rante. Son posi­tion­ne­ment à droite est si radi­cal que même l’ambassadeur états-unien la trouve peu cré­dible, selon un câble révé­lé par Wikileaks.

f) Le cas de Repor­ters Sans Fron­tières, très hos­tile au gou­ver­ne­ment actuel du Vene­zue­la, est inté­res­sant. Son pre­mier pré­sident et fon­da­teur, le jour­na­liste fran­çais Jean-Claude Guille­baud a cri­ti­qué la par­tia­li­té de Robert Ménard qui avait trai­té Cha­vez de “cau­dillo d’opérette” dans sa revue “Médias” : “Je trouve que sur cer­tains sujets, ils ont été assez impru­dents, même si le régime de Cha­vez n’est pas par­fait, je les ai trou­vés beau­coup trop proches de la presse anti-Cha­vez au Vene­zue­la. Il aurait sans doute fal­lu être plus pru­dent. Je trouve qu’on les entend très peu sur les Etats-Unis.”

g) Les grands médias relaient par­fois, sans la recou­per sur le ter­rain, l’annonce d’une “cen­sure d’Internet au Vene­zue­la”. Pour­tant, même un oppo­sant radi­cal comme Fede­ri­co Ravell, ex-direc­teur de Glo­bo­vi­sion et actuel gérant d’une Web de news a recon­nu en jan­vier 2011 qu’il n’y a aucune res­tric­tion : “En toute hon­nê­te­té, je dois dire que nous ne sommes sen­tis en rien limi­tés”. Récem­ment la BBC Monde a confir­mé qu’il n’y a pas de cen­sure d’internet au Vene­zue­la. C’est aus­si la conclu­sion d’une étude récente de Open­Net, une ini­tia­tive qui asso­cie la Har­vard Law School au Citi­zen Lab de l’University of Toronto.

h) En jan­vier 2011 l’UNESCO a décer­né un prix au gou­ver­ne­ment du Vene­zue­la pour la créa­tion d’un réseau natio­nal d’Infocentres, qui connecte et forme gra­tui­te­ment des cen­taines de mil­liers de citoyen(ne)s jusqu’ici exclu(e)s des tech­no­lo­gies mas­sives de l’information. Le gou­ver­ne­ment boli­va­rien a léga­li­sé des médias com­mu­nau­taires, radios et télé­vi­sions, jusque là répri­més et clan­des­tins comme sou­vent dans le reste du conti­nent. Ils sont aujourd’hui près de 400 dans tout le pays, libres de leur parole. Dans le camp boli­va­rien on trouve de nom­breux sites Web sou­vent cri­tiques des poli­tiques du gou­ver­ne­ment Cha­vez comme le site www.aporrea.org

Le gou­ver­ne­ment a aus­si déve­lop­pé l’usage de logi­ciels libres dans toute l’administration publique. Un des “gou­rous” de la com­mu­nau­té du logi­ciel libre, Richard M. Stall­mann, recom­mande que l’on étu­die les avan­cées du Vene­zue­la dans ce domaine. Twit­ter a fait son entrée dans tous les sec­teurs poli­tiques. Le compte du pré­sident a dépas­sé le mil­lion de lec­teurs et d’interlocuteurs. Il peut ain­si véri­fier de pre­mière main la mise en œuvre, les pro­blèmes ou les retards dans l’application des pro­grammes sociaux.

Les points qui pré­cèdent démontrent l’absence de dic­ta­ture sur le plan des ins­ti­tu­tions poli­tiques et de la liber­té d’expression.

Mais il y a plus : depuis douze ans, le Vene­zue­la ne vit pas seule­ment au rythme d’une démo­cra­tie repré­sen­ta­tive, il s’efforce aus­si de la ren­for­cer par la construc­tion d’une démo­cra­tie par­ti­ci­pa­tive. Concrè­te­ment il s’agit de mul­ti­plier l’expérience obser­vée à Por­to Alegre (Bré­sil) du « bud­get par­ti­ci­pa­tif ». Cela a don­né l’explosion des « conseils com­mu­naux » — actuel­le­ment au nombre de 40.000 – dont la res­pon­sa­bi­li­té est de cogé­rer avec l’Etat une dizaine de mil­liards d’euros depuis 2007 pour construire écoles, routes, hôpi­taux, loge­ments sociaux, coopé­ra­tives de pro­duc­tion ou de ser­vices, etc.. – et de faire en sorte qu’un nombre crois­sant de citoyen(ne)s s’engagent au quo­ti­dien dans la ges­tion de l’Etat et sur­veillent la mise en œuvre des tra­vaux publics, l’inspection et la réa­li­sa­tion directes de ceux-ci par la popu­la­tion per­met­tant de limi­ter la cor­rup­tion admi­nis­tra­tive.

En décembre 2010, l’Assemblée Natio­nale a approu­vé une “loi d’habilitation” tem­po­raire et pré­vue dans la Consti­tu­tion d’avant Cha­vez, pour per­mettre au pré­sident de prendre des mesures d’urgence pour relo­ger des dizaines de mil­liers de vic­times d’inondations catas­tro­phiques. Un droit consti­tu­tion­nel qu’il avait déjà obte­nu en 2000, créant 49 lois, dont celle de la réforme agraire ou de la natio­na­li­sa­tion du pétrole. Tho­mas Shan­non, le diplo­mate amé­ri­cain char­gé de l’Amérique latine avait d’ailleurs concé­dé dans un com­men­taire inha­bi­tuel­le­ment ami­cal que cette dis­po­si­tion « est valable sous la Consti­tu­tion et comme tout outil démo­cra­tique, dépend de com­ment on l’utilise ». Faire de ces « pou­voirs spé­ciaux » « un pas vers la dic­ta­ture » est donc une énième supercherie.

Les grands médias l’ont pour­tant répé­té, allant jusqu’à déduire que “le par­le­ment est inutile”. C’est faux : le par­le­ment conti­nue de son côté à dis­cu­ter des lois et à légi­fé­rer comme en temps nor­mal. Mieux : on n’a jamais vu au Vene­zue­la, en ce début de 2011, un tel bouillon­ne­ment de lois d’initiative popu­laire. Syn­di­cats, mou­ve­ments pay­sans, groupes fémi­nistes, vic­times d’escroqueries immo­bi­lières, asso­cia­tions de loca­taires et de concierges : le par­le­ment bruisse de pro­jets légis­la­tifs. Les orga­ni­sa­tions citoyennes mani­festent, débattent, cri­tiquent les lois exis­tantes ou en pro­posent de nou­velles, dans la rue, à la télé­vi­sion, dans les réunions avec les dépu­tés et le pré­sident — loi sur le droit des tra­vailleurs, loi contre l’impunité pour les “dis­pa­ri­tions” ou les “tor­tures” com­mises sous les régimes “démo­cra­tiques” d’avant Cha­vez, loi sur le droit loca­tif, loi sur l’éducation supé­rieure, etc… au point que l’Assemblée Natio­nale vient de créer un centre de récep­tion des projets.

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Jean-Pierre Mar­tin répond à un téléspectateur :

“Si je me réfère à tous les obser­va­toires des droits de l’homme et de la liber­té de la presse, tous les indi­ca­teurs mettent en évi­dences de graves atteintes aux liber­tés fon­da­men­tales et placent le Vene­zue­la sur la carte du monde par­mi les Etats non démo­cra­tiques ! C’est sur ces infor­ma­tions que je me suis appuyé. Mais peut-être ont-ils tort ?”

A peu près tous les pays du monde figu­rant dans le rap­port annuel d’Amnesty Inter­na­tio­nal. Tout jour­na­liste sait qu’a l’heure de juger de l’état des Droits de l’Homme dans un pays et d’en tirer des conclu­sions sur la nature de son gou­ver­ne­ment, il faut dis­cer­ner s’il s’agit de vio­la­tions iso­lées ou sys­té­ma­tiques ; et qu’il faut aus­si obser­ver l’évolution de la situa­tion au fil des années. Ain­si le rap­port 2010 d’Amnesty Inter­na­tio­nal sur la Bel­gique évoque-t-il des “recours exces­sif à la force de la part de la police et d’autres forces de sécu­ri­té”, ou des “arres­ta­tions et déten­tions arbi­traires”. Cela fait-il du pre­mier ministre belge un “dic­ta­teur” ?

Comme vient de le rap­pe­ler le théo­lo­gien Frei Bet­to, ex-ministre de Lula et auteur du pro­gramme “Faim zéro”, le Bré­sil de 2011 reste un pays où sur­vit l’esclavage et où se pro­duisent des cen­taines de d’assassinats, tor­tures, et où les res­pon­sables mili­taires ou poli­ciers res­tent sou­vent pro­té­gés par l’impunité . Quel jour­na­liste pro­fes­sion­nel son­ge­rait pour autant à qua­li­fier Mme Dil­ma Rous­sef de “dic­ta­trice” ?

Dans le cas du Vene­zue­la, le rap­port d’Amnesty publié en mai 2011 salue “les avan­cées du Vene­zue­la en matière de réduc­tion de la pau­vre­té” en com­pa­rant même ces avan­cées au drame social per­sis­tant dans la plu­part des pays, et ne parle pas de dis­pa­ri­tions for­cées ou de tor­tures comme poli­tique gou­ver­ne­men­tale, mais fait état d’exactions menées par des poli­ciers qui peuvent être membres de corps locaux, régio­naux de police, affec­tés à des maires ou à des gou­ver­neurs de droite ou de gauche selon les cas.

C’est parce que beau­coup de poli­ciers étaient impli­qués dans des vio­lences, meurtres, actes de cor­rup­tion, ou peu effi­caces face à la délin­quance, que le gou­ver­ne­ment Cha­vez a déci­dé de créer en 2010 un nou­veau corps natio­nal de police qui prend peu à peu la place de cette police frag­men­tée. La nou­velle, contrai­re­ment aux anté­rieures, reçoit une for­ma­tion appro­fon­die en matière de droits de l’homme. Mau­rice Lemoine, spé­cia­liste de l’Amérique Latine qu’il par­court depuis trente ans et ex-rédac­teur en chef du Monde Diplo­ma­tique, a enquê­té récem­ment sur place sur la genèse de cette for­ma­tion.

De la même manière l’armée véné­zué­lienne pour­suit son évo­lu­tion posi­tive en matière de droits de l’homme. Rap­pe­lons qu’en 1990 Hugo Cha­vez avait fon­dé son « mou­ve­ment boli­va­rien » par rejet du pino­che­tisme alors domi­nant en Amé­rique Latine sous l’impulsion de la Natio­nal Secu­ri­ty et par indi­gna­tion face au rôle répres­sif des mili­taires lors du mas­sacre du Cara­ca­zo de 1989 (bilan : entre 2000 et 3000 morts, le pré­sident Car­los Andrés Per­ez ayant don­né aux forces armées l’ordre de tirer sur la popu­la­tion lors d’émeutes de la faim dues aux mesures du FMI). La maxime fon­da­trice du « mou­ve­ment boli­va­rien » était une phrase de Boli­var : « Mau­dit le sol­dat qui retourne son fusil contre son peuple ».

Elu pré­sident en 1998 Hugo Cha­vez a mis fin à la for­ma­tion des mili­taires véné­zué­liens par la tris­te­ment célèbre School of Ame­ri­cas, d’où sont sor­tis depuis des décen­nies les dic­ta­teurs et les bour­reaux du conti­nent lati­no-amé­ri­cain. Il a enga­gé des mil­liers de mili­taires méde­cins, ingé­nieurs du génie dans les pro­grammes sociaux (san­té publique, construc­tion de loge­ments sociaux, etc..), ce qui a for­te­ment aidé à nouer des liens de res­pect avec la popu­la­tion. J’en suis témoin : avant l’arrivée du gou­ver­ne­ment actuel, les gens trem­blaient quand un sol­dat s’asseyait à côté d’eux dans un auto­bus. Aujourd’hui ils ne le remarquent même plus, signe pal­pable de l’abandon du carac­tère répres­sif des forces armées.

Une des lois en dis­cus­sion au par­le­ment en mars 2011 est une loi contre l’oubli et contre l’impunité pour les dis­pa­ri­tions, les fosses com­munes d’opposants et les tor­tures per­pé­trées sous les régimes anté­rieurs. Le gou­ver­ne­ment actuel a été salué par Amnes­ty Inter­na­tio­nal pour sa nou­velle loi contre la vio­lence subie par les femmes, AI y voit un « exemple pour la région » tout en regret­tant la len­teur de sa mise en appli­ca­tion.[Même si Amnes­ty n’est pas infaillible faute d’enquête sur place ou d’influence par des sources poli­ti­sées [comme ce fut le cas pour RSF, cette orga­ni­sa­tion fait un tra­vail très utile en recom­man­dant au gou­ver­ne­ment d’aller plus vite et plus loin, vu les évi­dentes len­teurs per­sis­tantes dans les réformes néces­saires. Sur ce thème des “droits de l’homme au Vene­zue­la” notons aus­si que la grande majo­ri­té des médias étant défa­vo­rable au gou­ver­ne­ment Cha­vez, il n’est pas rare de voir que lorsqu’un membre de l’opposition est arrê­té ou jugé pour des faits de cor­rup­tion, il est aus­si­tôt trans­for­mé par ces médias en “pri­son­nier poli­tique” ou en “per­sé­cu­té par Cha­vez”. Des faits sem­blables se pro­duisent en Équa­teur et en Boli­vie, où un gou­ver­neur impu­té pour plu­sieurs cas de cor­rup­tion a fui la jus­tice et a récem­ment deman­dé et obte­nu l’asile au Para­guay en se pré­sen­tant comme “per­sé­cu­té poli­tique” de Evo Morales. Sur ces méthodes, on peut lire]]

Autres faits notables, la régu­la­ri­sa­tion mas­sive des sans-papiers (notam­ment de mil­lions de colom­biens arri­vés au Vene­zue­la comme tra­vailleurs clan­des­tins) qui dis­posent aujourd’hui de droits sociaux (comme loge­ment, san­té, édu­ca­tion) et poli­tiques (comme le droit de vote), ou la lutte relan­cée en décembre 2010 contre l’esclavage de tra­vailleurs ruraux, notam­ment dans l’Etat du Zulia.

Sur le plan inter­na­tio­nal le gou­ver­ne­ment boli­va­rien est éga­le­ment actif en matière de droits de l’homme : Hugo Cha­vez a cri­ti­qué les méthodes des FARC, comme les enlè­ve­ments d’êtres humains, favo­ri­sant diverses média­tions inter­na­tio­nales pour leur libé­ra­tion, ce qui lui a valu les remer­cie­ments des familles d’otages. Au sein de l’UNASUR le Vene­zue­la vient de voter le 13 mars 2011 l’aide juri­dique aux vic­times de la dic­ta­ture de Duva­lier en Haïti.

Que Jean-Pierre Mar­tin qua­li­fie Hugo Cha­vez de « dic­ta­teur » n’est pas le seul men­songe pré­sent dans son repor­tage. Fai­sant allu­sion à son ini­tia­tive de paix, il conclut par cette phrase, pour lui don­ner un poids majeur : « per­sonne ne le prend au sérieux. » Or les pays de l’ALBA qui se réunis­saient le même jour (4 mars) à Cara­cas pour par­ler notam­ment de la Libye, ont tous appuyé cette ini­tia­tive. Le len­de­main la chan­ce­lière espa­gnole Tri­ni­dad Jimé­nez et la Ligue Arabe avaient annon­cé leur inten­tion de l’étudier, le gou­ver­ne­ment libyen l’ayant accep­tée. L’ALBA est com­po­sé des huit pays sui­vants : Saint-Vincent-et-les-Gre­na­dines, Anti­gua-et Bar­bu­da, la Domi­nique, le Vene­zue­la, l’Equateur, Cuba, la Boli­vie et le Nicaragua.

Réduire tous ces pays à “per­sonne” montre qu’on n’est plus dans le jour­na­lisme ni dans le com­men­taire mais dans l’occultation, au nom de l’aversion idéo­lo­gique que nour­rit Jean-Pierre Mar­tin pour le pré­sident véné­zué­lien. Il ne s’en cache guère si on en juge par cette réponse éton­nante, rédi­gée à la troi­sième per­sonne, à un télé­spec­ta­teur : “Bon­jour, le jour­na­liste a bien pris connais­sance de votre cour­riel. Il a vingt-sept ans d’expérience et une bonne connais­sance des rela­tions inter­na­tio­nales. Il sait que Cha­vez a fait du Vene­zue­la un régime non démo­cra­tique. Les véné­zué­liens pri­vés de liber­té, de presse libre n’aspirent qu’à la fin de ce régime. C’est utile de le rap­pe­ler pour évi­ter de som­brer dans le « poli­ti­que­ment cor­rect ». Cor­dia­le­ment, Jean-Pierre Martin. »

En guise de conclusion…

En ce début de 2011 le contraste est sai­sis­sant entre l’Europe et le Vene­zue­la. S’agissant de la France, le CEVIPOF, labo­ra­toire de recherches asso­cié au CNRS, indique que seuls 38 % de fran­çais font encore confiance à leurs dépu­tés et que 57% consi­dèrent que la démo­cra­tie ne fonc­tionne “pas bien” ou “pas bien du tout”. 39 % des fran­çais expriment de la méfiance, 23 % du dégoût, 12 % de l’ennui vis-à-vis de la poli­tique.

Au même moment, l’ONG chi­lienne indé­pen­dante Lati­no­ba­ro­me­tro classe le Vene­zue­la comme un des pays lati­no-amé­ri­cains où la popu­la­tion croit le plus dans la démo­cra­tie (84% des citoyen(ne)s). Les cher­cheurs attri­buent ce record de confiance à la concré­ti­sa­tion effec­tive de poli­tiques sociales et éco­no­miques atten­dues par la popu­la­tion.[La CEPAL, orga­nisme de l’ONU qui mesure les pro­grès éco­no­miques et sociaux en Amé­rique Latine, a fait l’éloge en novembre 2010 du Vene­zue­la “en tête, avec l’Argentine, le Bré­sil et la Boli­vie, de la réduc­tion de l’inégalité et de la pau­vre­té pour les dix der­nières années”.]] Pour Lati­no­ba­ro­me­tro “il est para­doxal que ce soit au Vene­zue­la que les gens croient le plus à la démo­cra­tie et que ce soit en même temps le pays le plus cri­ti­qué sur l’état de sa démocratie”.[[Pour qui sou­hai­te­rait appro­fon­dir cette ana­lyse, citons quelques articles utiles comme [Why is Hugo Cha­vez cal­led a Dic­ta­tor ? Jan 31st 2011 , by John E. Jones, Jan 27th 2011 , by Mike Whit­ney, ou Wal­king the Walk : The Contrast bet­ween Cha­vez and Oba­ma — Centre for Research on Globalization, ]]

Thier­ry Deronne, Tour­nai, 14 mars 2011


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II. Réponse in exten­so du Conseil de déon­to­lo­gie jour­na­lis­tique : avis du 6 avril 2011

Plainte 11 – 16

Divers c. Mar­tin 1 RTL-TVi JT

Objet : recherche de la véri­té 1 confu­sion faits-opi­nions absence de rectification

Plainte de

Divers plai­gnants (iden­ti­tés connues du CDJ)

contre

Jean-Pierre Mar­tin et RTL-TVi, ave­nue Jacques Geor­gin, 2, 1030 Bruxelles

En cause :

Une séquence du JT de RTL-TVi du 4 mars consa­crée à la révolte popu­laire en Libye.

Les faits

Le 4 mars, une séquence du JT de 13h00 est consa­crée à la Lybie. A la fin, le jour­na­liste Jean-Pierre Mar­tin évoque en une phrase une offre de média­tion faite par le pré­sident véné­zué­lien Cha­vez, en qua­li­fiant celui-ci de « dic­ta­teur ». Il ajoute que per­sonne n’a pris cette pro­po­si­tion au sérieux.

Des mili­tants de la soli­da­ri­té avec le Vene­zue­la et d’autres per­sonnes se mobi­lisent pour intro­duire des plaintes au CDJ.

De son côté, RTL est aus­si aler­tée en direct par un tiers. La chaîne refuse un droit de réponse parce que les condi­tions n’en sont pas réunies mais retire la séquence des archives sur son site.

Le dérou­le­ment de la procédure

Entre le 9 et le 28 mars, 24 per­sonnes ont intro­duit une plainte au CDJ à pro­pos du JT de RTL-TVi dif­fu­sé le 4 mars 2011. 7 de ces plaintes sont rece­vables. Elles sou­lèvent un enjeu à la limite entre la déon­to­lo­gie et l’autonomie rédac­tion­nelle. Les autres plaintes étaient irre­ce­vables soit parce qu’elles ne dési­gnaient pas clai­re­ment la séquence visée, soit parce qu’elles n’étaient pas expli­cites sur l’enjeu déon­to­lo­gique sou­le­vé (art. 13 du Règle­ment de pro­cé­dure du CDJ). RTL-TVi et le jour­na­liste visé ont été aver­tis le 10 mars et ont répon­du le 14 mars. Les plaintes arri­vées ulté­rieu­re­ment n’apportaient pas d’éléments sup­plé­men­taires. Un des plai­gnants a deman­dé à être enten­du par le CDJ. Le secré­taire géné­ral l’a ren­con­tré le 1er avril. Aucune infor­ma­tion nou­velle per­ti­nente pour le dos­sier n’en est sortie.

2 Recherche de médiation :

Des plai­gnants demandent (au total) : des excuses du jour­na­liste une rec­ti­fi­ca­tion à l’antenne un repor­tage de même lon­gueur sur le carac­tère démo­cra­tique du Venezuela.

D’autres rejettent toute média­tion : « Aucune excuse ne peut être évo­quée pour un jour­na­liste qui décide, sciem­ment, de tra­ves­tir la véri­té des faits pour expri­mer son opi­nion per­son­nelle. » RTL-TVi n’estime pas la média­tion oppor­tune parce qu’elle impli­que­rait la recon­nais­sance d’une faute

Récu­sa­tion : des plai­gnants ont deman­dé la récu­sa­tion de D. Demou­lin, F. Gros­filley, L. Hau­lotte, S. Rosen­blatt. Tou­te­fois, D. Demou­lin et S. Rosen­blatt étaient absents lors de la réunion du CDJ le 6 avril. F. Gros­filley et L. Hau­lotte n’ont pas par­ti­ci­pé à la dis­cus­sion. La demande de récu­sa­tion devient donc sans objet.

Les argu­ments des parties

1. Les plaignants

Un défaut de recherche de la véri­té : Hugo Cha­vez a été élu et réélu à plu­sieurs reprises. Il ne peut donc être qua­li­fié de dic­ta­teur ; des faits erro­nés non rec­ti­fiés : d’une part, la qua­li­fi­ca­tion de « dictateur ».

D’autre part, J‑P. Mar­tin affirme dans son com­men­taire que per­sonne ne prend la média­tion d’Hugo Cha­vez au sérieux, alors que quelques pays l’ont appuyée ; une absence de véri­fi­ca­tion de la cré­di­bi­li­té des sources cri­tiques envers le pou­voir véné­zué­lien ; une confu­sion entre les faits et l’opinion du jour­na­liste qui induit le public en erreur. Son opi­nion ne s’appuie sur aucun fait. La liber­té de com­men­taire ne per­met pas de men­tir. Toutes les plaintes n’évoquent pas tous les arguments.

2. RTL-TVi

L’utilisation d’un terme contro­ver­sé (celui de dic­ta­teur attri­bué au pré­sident Hugo Cha­vez) s’appuie sur de nom­breux rap­ports cri­tiques éma­nant d’ONG comme Human Rights Watch et Amnes­ty inter­na­tio­nal. Même s’il peut sem­bler pré­fé­rable d’utiliser une for­mule plus détaillée pour pou­voir étayer cette affir­ma­tion, RTL-TVi dit défendre le droit pour ses jour­na­listes d’utiliser des termes faci­le­ment com­pré­hen­sibles par le grand public.

Selon la chaine, les plai­gnants contestent le juge­ment por­té par la rédac­tion sur un régime poli­tique et l’expression d’une dif­fé­rence d’appréciation sur la nature de ce régime. Mais cela n’implique pas la com­mis­sion d’une faute déon­to­lo­gique. J‑P. Mar­tin recon­naît que le terme dic­ta­teur n’est pas le plus appro­prié et peut être dis­cu­té. Il a été choi­si trop rapi­de­ment. Mais ce choix relève de la res­pon­sa­bi­li­té des jour­na­listes et une éven­tuelle erreur n’est pas une faute déon­to­lo­gique. On ne peut en aucun cas accep­ter de faire taire les jour­na­listes critiques.

Les réflexions du CDJ

1. Dans sa tâche de trai­te­ment des plaintes, le Conseil de déon­to­lo­gie jour­na­lis­tique exa­mine des cas par­ti­cu­liers de pra­tique jour­na­lis­tique. La ques­tion posée ici au Conseil est pré­cise : en qua­li­fiant le pré­sident véné­zué­lien Hugo Cha­vez de« dic­ta­teur », le jour­na­liste Jean-Pierre Mar­tin a‑t- trans­gres­sé la déon­to­lo­gie ? Le COJ n’a donc pas à se pro­non­cer sur la nature du régime véné­zué­lien ni sur la pro­blé­ma­tique glo­bale des médias dans la géo­po­li­tique internationale.

Dans son avis 10 – 04, le COJ a consi­dé­ré que l’usage du terme « popu­liste » par une jour­na­liste pour qua­li­fier le Par­ti Popu­laire ne consti­tue pas une faute déon­to­lo­gique. Ce terme, fré­quem­ment uti­li­sé en science poli­tique, relève de la liber­té de com­men­taire des jour­na­listes. http//www.deontoloqiejournafistiqu… 0 – 04%20avis%20final.pdf

Le même rai­son­ne­ment peut être appli­qué dans ce cas-ci. Le terme « dic­ta­teur » n’a pas de défi­ni­tion juri­dique pré­cise ni de défi­ni­tion poli­tique cer­taine et uni­voque. Par sa nature même, il est de l’ordre de l’opinion, et non du fait. Son usage relève de la liber­té du locu­teur qui dis­pose donc d’une marge d’appréciation. Ceci est vrai aus­si pour les jour­na­listes. Certes, ceux-ci sont tenus de recher­cher la véri­té, de res­pec­ter l’impartialité et de ne pas confondre les faits et les opi­nions. Ils ne peuvent inven­ter une réa­li­té fac­tuelle pour jus­ti­fier une opi­nion. I/s doivent aus­si uti­li­ser le plus pos­sible les termes les plus appro­priés pour décrire une situation.

Cepen­dant, dans son ouvrage récent Déon­to­lo­gie du jour­na­lisme (2010), le pro­fes­seur Gre­visse pré­cise : « 1/ serait évi­dem­ment ridi­cule de pen­ser que l’impartialité signi­fie l’absence d’opinion ; ce qui serait un comble pour une ’pro­fes­sion’ fon­dée sur l’exercice de la liber­té d’expression des indi­vi­dus. » (p. 182).

L’article 17 du Code de déon­to­lo­gie interne de RTL-TVi (2003) pré­voit que : « Les jour­na­listes de RTL-TVi s’appliquent à dis­tin­guer clai­re­ment les faits du com­men­taire. La rela­tion objec­tive, hon­nête et impar­tiale des faits ne prive pas le jour­na­liste de son pou­voir d’analyse, de sa liber­té d’expression et de son droit à la critique. (. ..) ».

Le pro­fes­seur Jes­pers pré­cise dans son cours de Déon­to­lo­gie des médias à l’ULB que « 1/ faut entendre ici le mot ’com­men­taires’ au sens de ’opi­nion pro­cé­dant d’un par­ti-pris. » (p. 85). Les sources d’informations cré­dibles sur le Vene­zue­la pré­sentent des ana­lyses variées à pro­pos du régime poli­tique dans ce pays et de la situa­tion des droits humains. En optant pour une des inter­pré­ta­tions pos­sibles décou­lant de ces sources, un jour­na­liste fait dès lors un choix qui relève entiè­re­ment de sa marge d’appréciation et de sa liber­té d’expression. 1/ ne porte pas atteinte à la recherche de la véri­té, à l’impartialité, ni ne déna­ture les faits. 1/ ne trans­gresse donc pas de règle de déon­to­lo­gie journalistique.

2. Le second reproche adres­sé par un des plai­gnants porte sur l’affirmation selon laquelle per­sonne n’a accor­dé de l’intérêt à la pro­po­si­tion du pré­sident Cha­vez d’intervenir comme média­teur dans le conflit libyen, alors qu’un groupe de 8 pays lati­no-amé­ri­cains l’a sou­te­nue. Ce reproche porte sur un aspect mar­gi­nal et ne modi­fie en rien le fond du sujet trai­té. 1/ n’y a donc là aucun enjeu déontologique.

La déci­sion : la plainte n’est pas fon­dée. Les opi­nions mino­ri­taires éven­tuelles : N.

La publi­ci­té deman­dée : N. 155, rue de la loi, bte 103, 1040 Bruxelles tél 02/280.25.14 fax 021280.25.15 info@deontologiejournalistigue.be ; www.deontologiejournalistigue.be

La com­po­si­tion du CDJ lors de l’approbation de l’avis

Jour­na­listes : Marc Cha­mut, Yves Bou­cau, Fran­çois Oes­cy, Bru­no Godaert

Edi­teurs : Cathe­rine Anciaux, Jean-Paul van Grie­ken, Jean-Pierre Jac­q­min, Phi­lippe Nothomb, Mar­tine Vandemeulebroucke

Rédac­teurs en chef N.

Socié­té Civile : Nicole Cau­chie, Edouard Del­ruelle, Marc Swaels

Ont éga­le­ment par­ti­ci­pé à la dis­cus­sion : Pierre Loppe, Gabrielle Lefèvre, Jacques Engle­bert, Marc Cha­mut Pré­sident, André Linard Secré­taire général

Signa­tures

155, rue de la loi, bte 103,1040 Bruxelles
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