Au Venezuela, victoire du « chavisme sans Chávez »

Le 26 mars dernier, trois députés de droite ont retiré leur appui à M. Capriles en dénonçant l’existence d’un plan pour rejeter les résultats émis par le CNE lors de l’élection du 14 avril et orchestrer une période de violence dans le pays.

par Mau­rice Lemoine, mer­cre­di 17 avril 2013

Source : monde diplo

En éli­sant M. Nico­las Madu­ro (Par­ti socia­liste uni du Vene­zue­la ; PSUV) avec 50,75 % des voix, le 14 avril, les Véné­zué­liens ont, à une courte majo­ri­té, mani­fes­té leur fidé­li­té à l’héritage de feu le pré­sident Hugo Chá­vez et à la « révo­lu­tion boli­va­rienne » qu’il a ini­tiée. Comme le lais­saient pré­voir les décla­ra­tions qui ont ponc­tué ces der­nières semaines, le can­di­dat de la Table d’unité démo­cra­tique (MUD ; coa­li­tion de droite), M. Hen­rique Capriles Radons­ky, cré­di­té de 48,98 %, refuse de recon­naître le résul­tat. A l’instar de ce qui s’est sys­té­ma­ti­que­ment pas­sé lors des seize scru­tins pré­cé­dents, la mise en cause de l’impartialité du Conseil natio­nal élec­to­ral (CNE) et la dénon­cia­tion d’obscures manœuvres du gou­ver­ne­ment pour « tordre la volon­té popu­laire » ont ser­vi de thème cen­tral à la cam­pagne de l’opposition.

544244_497743210288491_242601258_n.jpg Pro­vo­quant la sur­prise d’une majo­ri­té d’observateurs et déjouant les son­dages, la vic­toire de M. Madu­ro, adou­bé par un Chá­vez conscient de la gra­vi­té du can­cer qui l’a fina­le­ment empor­té, a été beau­coup plus courte que pré­vue. Le 7 octobre 2012, bri­guant un troi­sième man­dat, le chef de l’Etat dis­pa­ru l’avait empor­té avec 55,14 % des suf­frages et plus de dix points d’avance sur M. Capriles (44,24 %).

Entre ces deux scru­tins, le cha­visme a per­du 685 794 voix ; l’opposition en a gagné 679 099[[Estimation faite alors que 99,12% des votes avaient été enre­gis­trés par le CNE.]]. De fait, le fac­teur « Chá­vez », c’est-à-dire du « lea­der », du coman­dante, a joué à plein. A la marge de l’immuable noyau dur de son élec­to­rat, nombre de ceux qui votaient pour lui ne le fai­saient pas for­cé­ment par convic­tion idéo­lo­gique ou parce qu’ils par­ta­geaient à 100 % son pro­jet poli­tique, mais parce que cet ora­teur né savait empor­ter leur adhé­sion et leur appa­rais­sait plus à même que la droite de pré­ser­ver la sta­bi­li­té du Vene­zue­la. En menant une cam­pagne dépour­vue de pro­po­si­tions pro­gram­ma­tiques (hor­mis celle de res­tau­rer « l’efficacité du mar­ché »), mais très agres­sive (et pas­sa­ble­ment mépri­sante) sur le thème « Nico­las, tu n’es pas Chá­vez », le can­di­dat Capriles a su jouer sur ce seg­ment de la popu­la­tion qui soit a bas­cu­lé, soit s’est abs­te­nu (de 81 %, le taux de par­ti­ci­pa­tion est pas­sé à 78,71 % d’un scru­tin l’autre). Voi­ci pour les défec­tions à gauche.

D’un autre côté, la dis­pa­ri­tion phy­sique du pré­sident cha­ris­ma­tique a remo­bi­li­sé des élec­teurs de droite qui avaient bais­sé les bras en sa pré­sence – M. Capriles lui-même, après sa défaite d’octobre, ayant décla­ré qu’il avait eu en face de lui « l’un des plus grands adver­saires de l’histoire lati­no-amé­ri­caine récente, un Cas­sius Clay de la politique[[BBC Mun­do, Londres, 22 mars 2013.]] ». D’où, avec l’appui enthou­siaste de la majo­ri­té des médias pri­vés, une re-mobi­li­sa­tion de son élec­to­rat et le gain de voix.

Pour autant, même plus étroite que pré­vue ou espé­rée, une vic­toire n’est pas une défaite. Elle conforte même le carac­tère démo­cra­tique de la révo­lu­tion boli­va­rienne en démon­trant, s’il en était besoin, que sa per­ma­nence au pou­voir ne résulte pas d’une « suc­ces­sion dynas­tique » mais bel et bien du choix des élec­teurs, en accep­tant tous les aléas d’une consultation.

Sous réserve de mettre en œuvre avec suc­cès le « Plan Patrie 2013 – 2019 », dont la pré­sen­ta­tion avait per­mis la large vic­toire de Chá­vez, d’approfondir son pro­jet de trans­for­ma­tion sociale et de s’attaquer vigou­reu­se­ment aux dys­fonc­tion­ne­ments du pro­ces­sus en cours — infla­tion, insé­cu­ri­té, pro­duc­tion non pétro­lière insuf­fi­sante, pro­blèmes éco­no­miques (infi­ni­ment moins pré­oc­cu­pants que ceux de nombre de pays euro­péens, soit dit en pas­sant) —, la ten­dance peut par­fai­te­ment s’inverser (ou non) d’ici au 10 jan­vier 2019, terme du man­dat de M. Maduro.

Refu­sant le ver­dict des urnes, et criant à la fraude, M. Capriles, appuyé par Washing­ton, Madrid et le secré­taire géné­ral de l’Organisation des Etats amé­ri­cains (OEA), M. José Miguel Insul­za, demande un recomp­tage de tous les votes et met en cause le CNE. Pour­tant, tout comme il avait accep­té sa défaite, le 7 octobre 2012, lors de la pré­si­den­tielle orga­ni­sée par ce même CNE, on ne sache pas qu’il ait mis en cause l’arbitre élec­to­ral lorsqu’il fut réélu gou­ver­neur de l’Etat de Miran­da, le 16 décembre der­nier, avec 51,83 % des voix (contre 47,82 % à son adver­saire cha­viste Elias Jaua)[[A cette occa­sion le PSUV a conquis vingt des vingt-trois des Etats fédé­rés du Vene­zue­la.]]. Arguant de la marge extrê­me­ment étroite qui les sépare (262 473 voix), M. Capriles n’en a pas moins décla­ré qu’il consi­dé­rait M. Madu­ro comme un « pré­sident illé­gi­time ». Rap­pe­lons que, en 1968, Rafael Cal­de­ra (Copei) fut élu pré­sident avec seule­ment trente-deux mille voix d’avance sur son adver­saire Gon­za­lo Bar­rios (Action démo­cra­tique) et que, lors du réfé­ren­dum de décembre 2007 sur la réforme de la Consti­tu­tion, Chá­vez a accep­té sans bar­gui­gner la défaite alors que le « non » ne l’avait empor­té qu’avec un avan­tage légè­re­ment supé­rieur à 50 %.

Le scru­tin du 14 avril a été sui­vi par cent soixante-treize obser­va­teurs inter­na­tio­naux de l’Union des nations sud-amé­ri­caines (Una­sur), de l’Union inter­amé­ri­caine des orga­nismes élec­to­raux (Uniore), du Mar­ché com­mun du sud (Mer­co­sur) et du Centre Car­ter, notam­ment. Dès le 15 avril, décla­rant avoir été le témoin « d’un ample exer­cice de citoyen­ne­té et de liber­té du peuple véné­zué­lien », le chef de la mis­sion de l’Unasur, M. Car­los Alva­rez, a deman­dé que soient « res­pec­tés les résul­tats » éma­nant du CNE, « unique auto­ri­té com­pé­tente » en matière élec­to­rale. De son côté, M. Rober­to Rosa­rio, pré­sident de l’Uniore, décla­rait que le pro­ces­sus élec­to­ral a démon­tré « son effi­ca­ci­té, sa trans­pa­rence et sa sécurité ».

La loi orga­nique élec­to­rale pré­voit que 54 % des votes doivent être recomp­tés manuellement[[Le vote se fait élec­tro­ni­que­ment, un bul­le­tin impri­mé étant remis par la machine à l’électeur, qui le dépose dans une urne, afin de pou­voir pro­cé­der à un éven­tuel audit.]], ce qui a été fait sans que ne soit détec­tée aucune ano­ma­lie majeure. Dès lors, la pré­si­dente du CNE, Mme Tibi­say Luce­na, estime infon­dée la demande de l’opposition qui exige que le scru­tin soit réexa­mi­né à 100 %. Elle n’en laisse pas moins la porte ouverte à une demande dépo­sée dans les formes juri­diques légales, M. Capriles s’étant jusqu’à pré­sent conten­té de décla­ra­tions incen­diaires devant les micros. Mais ces dia­tribes ont eu leurs pre­miers effets. Quatre sièges régio­naux du PSUV ont été incen­diés le 15 avril, plu­sieurs centres médi­caux et leurs méde­cins cubains ont été pris d’assaut, des radios com­mu­nau­taires ont été atta­quées, quatre mili­tants cha­vistes ont été tués (les affron­te­ments post-élec­to­raux ont fait sept morts au total). Dans un cli­mat de ten­sion rap­pe­lant les semaines qui ont pré­cé­dé le coup d’Etat du 11 avril 2002, un concert de cas­se­roles — le fameux cace­ro­la­zo — a réson­né pen­dant une heure dans les quar­tiers bour­geois de Cara­cas tan­dis que la Garde natio­nale, à coups de gaz lacry­mo­gènes, dis­per­sait des mil­liers de manifestants.

M. Capriles conti­nuant à appe­ler ses par­ti­sans à des­cendre dans la rue, se dirige-t-on vers une recru­des­cence d’actions des­ti­nées à créer un cli­mat de désta­bi­li­sa­tion et d’ingouvernabilité ? Le 26 mars der­nier, trois dépu­tés de droite, MM. Ricar­do Sán­chez (sup­pléant de Mme María Cori­na Macha­do), Andres Ave­li­no (sup­pléant de M. Edgar Zam­bra­no) et Car­los Var­gas (sup­pléant de M. Rodol­fo Rodrí­guez), ont reti­ré leur appui à M. Capriles en dénon­çant l’existence d’un plan éla­bo­ré par la MUD pour reje­ter les résul­tats émis par le CNE lors de l’élection du 14 avril et orches­trer une période de vio­lence dans le pays.