Chili : Quand la Patagonie se soulève

La croissance économique de la région fut de 19,8 % en 2011. Une croissance dont les habitants ne bénéficient pas pleinement.

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par Fran­çois Reman

(19 mars 2012)

Iso­lée, fati­guée mais sur­tout en colère, la popu­la­tion de la région d’Aysén a déci­dé de rompre son silence. Regrou­pés au sein du Mou­ve­ment social de la région d’Aysén (MPRA), pêcheurs, arti­sans, étu­diants et camion­neurs bloquent routes, ponts et aéro­ports depuis main­te­nant deux semaines. L’objectif : por­ter leurs voix jusqu’aux portes du palais pré­si­den­tiel de la Mone­da à San­tia­go. Une opé­ra­tion labo­rieuse dans un pays ultra-cen­tra­li­sé comme le Chili.

Située à 1300 km de la capi­tale, coin­cée entre la région des Lacs et le sud de la Pata­go­nie- deux régions plus touristiques‑, avec un cli­mat hos­tile, Aysén et ses habi­tants souffrent d’isolement cau­sé par l’absence de pré­oc­cu­pa­tion du gou­ver­ne­ment chi­lien. Du fait de son manque de connec­ti­vi­té ‑il est impos­sible de tra­ver­ser toute la région en voi­ture- les biens de pre­mière néces­si­té qui arrivent en bateau sont deux fois plus chers qu’à San­tia­go. « A Aysén, on dépense en moyenne 100 000 pesos (156 euros) pour le chauf­fage. Nous avons l’électricité la plus cou­teuse du monde, l’eau la plus chère du Chi­li, les fruits ont un prix cinq fois plus éle­vé qu’ailleurs et le farine coûte le double » explique Pablo Barat­ti­ni, pré­sident de la Cor­po­ra­tion pour le déve­lop­pe­ment d’Aysén. Le salaire mini­mum (293 euros) est par contre le même que dans le reste du pays. Para­doxa­le­ment mais for­te­ment révé­la­teur des enjeux de cette mobi­li­sa­tion, la crois­sance éco­no­mique de la région fut de 19,8 % en 2011. Une crois­sance dont les habi­tants ne béné­fi­cient pas plei­ne­ment comme le démontrent cer­taines de leurs reven­di­ca­tions : amé­lio­ra­tion des infra­struc­tures sani­taires (hôpi­taux), sub­sides régio­naux pour faire face aux prix éle­vés de l’essence et du gaz, créa­tion d’une uni­ver­si­té publique orien­tée vers la région, salaire mini­mum adap­té au coût de la vie, aides aux pêcheurs, ect. Des demandes régio­na­listes visant au final à amé­lio­rer le quo­ti­dien des habi­tants de cette pro­vince reculée.

Cette région fut une des der­nières a être colo­ni­sée tant son cli­mat et sa géo­gra­phie la ren­dait hos­tile. Par contre, elle fit rapi­de­ment office de vache à lait pour San­tia­go. En 1940, l’État auto­ri­sa la Socié­té Indus­trielle d’Aysén (dont le siège était à Val­pa­rai­so) à bru­ler 3 mil­lions d’hectares de foret pour l’élevage de mou­tons et l’exploitation fores­tière. A l’heure actuelle, c’est l’élevage de sau­mons, l’industrie fores­tière et sur­tout la pro­duc­tion d’énergie qui nour­rit l’appétit des grandes entre­prises chi­liennes et étran­gères. C’est en effet au coeur de cette région que devrait voir le jour HidroAy­sén, un pro­jet de construc­tion de 5 mégas bar­rages qui ali­men­te­ra le sys­tème d’électricité cen­tral du pays. Juan Pablo Orre­go, coor­di­na­teur inter­na­tio­nal du Conseil de défense de la Pata­go­nie et oppo­sant farouche à HidroAy­sén consi­dère que la mobi­li­sa­tion des habi­tant de la Pata­go­nie est un exemple à suivre pour tout le pays : « Il est clair, qu’étant don­né son iso­le­ment, son aban­don, une incom­pré­hen­sion de la capi­tale mais aus­si grâce à son esprit de pion­nier, Aysén a décou­vert qu’elle sou­hai­tait un déve­lop­pe­ment auto­nome, auto­gé­ré, dis­tinct de celui qui mène à la faillite sociale et envi­ron­ne­men­tale d’autres régions du pays. » Et cette ana­lyse ne concerne pas uni­que­ment la Pata­go­nie. A Cala­ma, ville minière du nord, située à quelques km de Chu­qui­ca­ma­ta la plus grande mine de cuivre à ciel ouvert du monde, la ten­sion monte de jour en jour.

Le gou­ver­ne­ment fait pour l’instant la sourde oreille face aux reven­di­ca­tions et n’entamera « aucun dia­logue ou conver­sa­tion tant qu’il serait fait usage de la force » selon les mots du ministre de l’Intérieur Rodri­go Hinz­pe­ter. Pas de dia­logue donc, mais une forte répres­sion des Cara­bi­ne­ros à coup de gaz lacry­mo­gène, matraques et balles en caou­tchouc. Une conduite qui n’est pas sans rap­pe­ler la répres­sion vio­lente du mou­ve­ment étu­diant de 2011 et condam­née par l’Institut natio­nal des droits de l’homme la jugeant « indis­cri­mi­née et dis­pro­por­tion­née. »

Source de l’ar­ticle : CETRI