Compte rendu du procès de Xavier Mathieu — Refus de prélèvement ADN

Xavier Mathieu : Les fichages de Vichy. Fichages des juifs, des homosexuels, des tziganes, des communistes... (...) Comment peut-on oublier ça quand on parle de fichage génétique aujourd’hui ?

Refus de pré­lè­ve­ment ADN — Compte ren­du du pro­cès de Xavier Mathieu
Source : Col­lec­tif Bellaciao


Amiens, France.

Mer­cre­di 4 jan­vier 2012 — 22h49

Aujourd’hui se tenait une nou­velle audience, (une de plus), pour Xavier Mathieu, le porte-parole des “Conti”, syn­di­ca­liste CGT, qui était pour­sui­vi pour avoir refu­sé de lais­ser pré­le­ver son ADN suite à la condam­na­tion pour dégra­da­tion de biens dont lui et cer­tains de ses cama­rades avaient fait l’objet suite a leur coup de colère dans un local pré­fec­to­ral, en 2010.

Lors de la pre­mière ins­tance qui se tenait devant le Tri­bu­nal cor­rec­tion­nel de Com­piègne, Xavier avait été relaxé par un juge­ment ren­du en juin 2011, au motif que ces don­nées étaient “inadé­quates, inutiles, non-per­ti­nentes et exces­sives” au regard des fina­li­tés pour les­quelles leur col­lecte était deman­dée, s’appuyant ain­si sur l’article 6 de la loi “infor­ma­tique et liber­tés” de 1978.

Le Par­quet avait fait immé­dia­te­ment appel de cette déci­sion, ce qui explique que ce jour, 4 jan­vier 2012, Xavier Mathieu, son avo­cate Maître Marie-Laure Dufresne-Cas­tets (très connue du monde syn­di­cal pour ses pres­ta­tions en droit du tra­vail auprès de syn­di­cats de Conti­nen­tal, Toyo­ta, Renault, Mou­li­nex, PSA, Ser­vair, STEF-TFE…, cette avo­cate met éga­le­ment ses com­pé­tences et son élo­quence à dis­po­si­tion de plu­sieurs mili­tants pour­sui­vis au pénal…) ain­si que les nom­breux sou­tiens et témoins pré­sents se retrou­vaient devant le Palais de Jus­tice d’Amiens, pour un ras­sem­ble­ment de sou­tien et de soli­da­ri­té avant l’audience.

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Se trou­vaient notam­ment à ce ras­sem­ble­ment de sou­tien nom­breuses per­son­na­li­tés poli­tiques ou syn­di­cales, Marie-George Buf­fet (PCF), Eva Joly (EELV), Natha­lie Arthaud (LO), Phi­lippe Pou­tou (NPA), Jean-Luc Mélen­chon (PG), Maxime Gre­metz (Com­mu­niste), Chris­tian Maheux (Sud Rail), Xavier Renou ( Déso­béis­sants), Confé­dé­ra­tion Pay­sanne… et d’autres encore que nous ne pou­vons pas tous citer.

Des groupes de musique (HK et les Sal­tim­baques, la Rabia, Com­pa­gnie Jolie Môme) égayaient ce ras­sem­ble­ment de leurs prestations.

A l’occasion de ce pro­cès en appel, trois témoins sont venus appor­ter, qui leur exper­tise, qui leur avis éclai­ré, ou encore, rela­ter leur expé­rience per­son­nelle sur ce sujet du pré­lè­ve­ment et du fichage ADN.

Cathe­rine Bour­gain, char­gée de recherches en géné­tique humaine à l’INSERM a appor­té un pre­mier témoi­gnage scien­ti­fique et tech­nique, très péda­go­gique, pour expli­quer pour­quoi et com­ment ce type de pré­lè­ve­ment n’avait pas ce carac­tère “ano­din” que cer­tains s’évertuent à lui donner.

Elle pré­ci­sait qu’il n’était plus exact de par­ler de “seg­ments d’ADN non-codants” (vocable qui date des débuts de la recherche sur l’ADN) depuis les pro­grès de la science sur ce sujet, insis­tant sur deux études publiées récem­ment qui démontrent que les seg­ments d’ADN pré­le­vés et ana­ly­sés peuvent désor­mais don­ner des infor­ma­tions sur l’origine eth­nique, les mala­dies etc… de la per­sonne concer­née. Elle insis­tait sur le fait que, contrai­re­ment à l’empreinte digi­tale (à laquelle il est fait réfé­rence par ana­lo­gie dans le cas de l’ADN), du fait des pro­grès tech­niques et scien­ti­fiques, le sup­po­sé maté­riel “non-codant” n’était plus un “ver­rou” sûr quant à cer­taines carac­té­ris­tiques de la personne.

Charles Hoa­reau, mili­tant syn­di­cal CGT de Mar­seille, direc­te­ment arri­vé des Bouches-du-Rhône pour témoi­gner au pro­cès de Xavier, inter­ve­nait ensuite, en sa qua­li­té de pre­mier syn­di­ca­liste auquel il avait été deman­dé en 2004, par la police, de pré­le­ver son ADN.

Il témoi­gnait ain­si sur un des points cen­traux de la défense de M° Dufresne-Cas­tets, celui de l’opportunité (et donc, du pou­voir dis­cré­tion­naire) pour le Par­quet de deman­der, et le pré­lè­ve­ment d’ADN, et le fichage de l’analyse en résul­tant, puisqu’il expli­qua à la Cour que dans son cas, il avait reçu un cour­rier du Pro­cu­reur lui signi­fiant que fina­le­ment, on ne lui deman­de­rait pas son ADN et que l’affaire s’arrêterait là.

Enfin, Mat­thieu Bon­duelle, magis­trat, secré­taire géné­ral du Syn­di­cat de la Magis­tra­ture, éga­le­ment pré­sent ès qua­li­té de témoin, appor­tait son point de vue de magis­trat sur ce sujet.

Après avoir rap­pe­lé que le Syn­di­cat de la Magis­tra­ture avait notam­ment pour objet la défense des liber­tés et des prin­cipes démo­cra­tiques, mais éga­le­ment que, en ver­tu de l’article 66 de la Consti­tu­tion de 1958, les magis­trats étaient les gar­diens de la liber­té indi­vi­duelle, il expo­sait les ques­tions que tout magis­trat appe­lé à juger d’un tel cas était en droit de se poser au regard de la loi, compte tenu des nom­breuses dérives et du dévoie­ment de ce fichage. Il inter­ro­geait l’intérêt social de l’élargissement de ce fichage en dehors des crimes sexuels, rele­vait l’incroyable durée de la conser­va­tion des don­nées fichées (entre 25 et 40 ans), rap­pe­lant que cette infrac­tion était une infrac­tion auto­nome et qu’en outre, le délit de refus de pré­lè­ve­ment ADN entraî­nait une “double peine” en pri­vant les condam­nés à une peine de pri­son de réduc­tion de peine.

Le Pro­cu­reur Géné­ral enta­mait ensuite ses réquisitions.

Il insis­tait notam­ment dans sa réponse sur la léga­li­té du décret, sur l’absence, selon lui de pou­voir dis­cré­tion­naire, d’opportunité, du Par­quet dans de tels dos­siers, se réfu­giant der­rière une soi-disant “obli­ga­tion” de sa part de deman­der et le pré­lè­ve­ment et le fichage (ce qui était vive­ment cri­ti­qué par la défense). Il ten­tait ensuite d’assimiler l’expertise géné­tique au fichage géné­tique, (alors que la néces­si­té de l’expertise géné­tique, au cas par cas, le cas échéant, n’était nul­le­ment contes­tée par la défense).

Il rap­pe­lait enfin que, selon lui, il exis­tait des “ver­rous juri­diques” aux éven­tuelles mani­pu­la­tions ou fraudes des fichiers géné­tiques, “ver­rous juri­diques” sup­po­sés écar­ter tout risque de “déra­page” (ce qui ne sem­blait pas convaincre les audi­teurs pré­sents dans la salle). Il disait éga­le­ment que la cir­cons­tance que le délit se soit tenu dans un cadre syn­di­cal était, selon lui, inopé­rant et que Xavier Mathieu était un “délin­quant de droit commun”.

Il réfu­tait un quel­conque achar­ne­ment contre Xavier Mathieu, et concluait en inci­tant la Cour à reje­ter les argu­ments de la défense, à infir­mer le juge­ment du Tri­bu­nal cor­rec­tion­nel et à entrer en voie de condam­na­tion contre Xavier Mathieu, récla­mant une peine allant de 1000 à 1500 euros d’amende.

Maître Dufresne-Cas­tets pre­nait alors la parole pour répondre point par point aux réqui­si­tions du Pro­cu­reur et pour déve­lop­per son argu­men­ta­tion sur l’illégalité et sur le fond.

Plai­dant lon­gue­ment mais sans lon­gueurs, sans emphase inutile mais avec clar­té et méthode, alter­nant gra­vi­té et iro­nie, maniant l’humour à l’occasion, avec la concen­tra­tion d’un arti­san expé­ri­men­té exé­cu­tant une pièce dif­fi­cile sur son métier lorsqu’elle esti­mait devoir insis­ter sur un point pré­cis, elle déve­lop­pait alors plu­sieurs argu­ments, dont nous vous rap­por­tons quelques bribes.

S’adressant à la Cour en rap­pe­lant aux juges que, contrai­re­ment aux membres du Par­quet (qui ne sont pas des magis­trats, ain­si que vient de le rap­pe­ler la Cour Euro­péenne des Droits de l’Homme), ils étaient eux, en effet, gar­diens des liber­tés indi­vi­duelles, et qu’ils n’étaient pas “l’automate” que M. le Pro­cu­reur avait reven­di­qué être, elle déve­lop­pait d’abord plu­sieurs argu­ments tech­niques sur la léga­li­té du décret.

Elle insis­tait par exemple sur le fait que le Par­quet, “véri­table bras armé de l’exécutif”, était à même de créer lui-même les condi­tions préa­lables du délit de refus de pré­lè­ve­ment qu’il pour­sui­vrait ensuite.

Pre­nant appui sur les témoi­gnages, sur les textes, la juris­pru­dence et les nom­breuses pièces qu’elle avait ver­sées à son dos­sier, elle en venait ensuite au fond du dos­sier, inter­ro­geant d’abord sur “l’incroyable retour en arrière” que ce type de poli­tique pénale (“qui a bu boi­ra”) impli­quait. Rap­pe­lant que toute per­sonne condam­née avait le droit à se réin­sé­rer et à ne pas être vu ad vitam comme un délin­quant ou un cri­mi­nel “poten­tiel”. Rap­pe­lant que la réci­dive n’était d’ailleurs, selon les der­nières sta­tis­tiques du Minis­tère de la Jus­tice, que de 2,5 %, et que le FNAEG échouait à pré­ve­nir la réci­dive et la réitération.

Exci­pant d’un cour­rier du gou­ver­ne­ment fran­çais adres­sé à l’un des fau­cheurs OGM qui a for­mé un recours (actuel­le­ment pen­dant) devant la CEDH qui pro­po­sait au requé­rant une “indem­ni­sa­tion” pour mettre un terme à son recours, elle en concluait que le gou­ver­ne­ment lui-même devait bien sen­tir que par rap­port aux normes inter­na­tio­nales, la France n’était pas “à l’aise”, ajou­tant : “Et ce gou­ver­ne­ment a bien rai­son de ne pas avoir confiance dans la léga­li­té de ses textes au regard des normes internationales !”

Elle rap­pe­lait éga­le­ment le contexte (“et non les motifs”, pré­ci­sait-elle à l’adresse du Pro­cu­reur) de cette affaire, la lutte syn­di­cale, la lutte col­lec­tive, expli­quant que Xavier Mathieu n’était pas un indi­vi­du iso­lé, seul, mais le porte-parole d’une col­lec­ti­vi­té d’intérêts, celle de tra­vailleurs en lutte pour leurs emplois, pour inter­pel­ler la Cour sur le prin­cipe de pro­por­tion­na­li­té, fon­da­men­tal en droit pénal.

Elle concluait que ces pour­suites étaient dis­cri­mi­na­toires (arguant que, d’ailleurs, les délits “en col blanc”, les délits finan­ciers, étaient expli­ci­te­ment exclus de ceux pou­vant don­ner lieu à pré­lè­ve­ment d’ADN), et que ce n’était pas Xavier Mathieu en tant qu’individu qui était pour­sui­vi aujourd’hui mais bien “ce qu’il repré­sen­tait, ce qu’il sym­bo­li­sait, qui jus­ti­fiait l’acharnement du gou­ver­ne­ment”, évo­quant le carac­tère poli­tique de cette affaire. Elle deman­dait donc de confir­mer la relaxe pro­non­cée en pre­mière instance.

C’est Xavier Mathieu qui pre­nait la parole en dernier.

Visi­ble­ment amai­gri, ému et plu­tôt affec­té par tout ceci, (qu’il nous a dit vivre comme un achar­ne­ment à son encontre), enga­gé et tou­chant, Xavier évo­quait les thèmes sui­vants : Hon­neur. Digni­té de l’homme. Parole don­née. Mémoire.

Il rap­pe­lait les luttes des Conti. La lutte pour la sau­ve­garde de leurs emplois, pour leur digni­té, pour leurs familles. Leurs dif­fi­cul­tés. Leur soli­da­ri­té. Il évo­quait com­ment ce licen­cie­ment mas­sif avait bri­sé de nom­breuses vies dans des familles entières. L’alcool, la drogue, les anti­dé­pres­seurs, les divorces, le sui­cide même, pour de nom­breux ouvriers de “Conti” désor­mais… Rap­pe­lait que sur 1100 tra­vailleurs seule­ment 200 avaient à ce jour retrou­vé un CDI. Il évo­quait par exemple, com­ment, au moment de la conclu­sion du pro­to­cole de fin de conflit, toutes les pour­suites de part et d’autres avaient été aban­don­nées sauf, de mau­vaise foi, celle à leur encontre pour leur déra­page de colère à la sous-pré­fec­ture. Ou com­ment le gou­ver­ne­ment et la direc­tion de Conti avaient manœu­vré pour pro­non­cer son auto­ri­sa­tion de licen­cie­ment, la seule pro­non­cée sur tous les repré­sen­tants du per­son­nel et syn­di­caux de l’usine.

“J’aurais aimé voir les diri­geants de Conti­nen­tal devant cette Cour. Le gou­ver­ne­ment l’avait pour­tant pro­mis, de pour­suivre et punir ces patrons voyous.…”

Il rap­pe­lait ensuite 39 – 45. Les fichages de Vichy. Fichages des juifs, des homo­sexuels, des tzi­ganes, des com­mu­nistes…“On sait com­ment ça s’est ter­mi­né, tout ça. Com­ment peut-on oublier ça quand on parle de fichage géné­tique aujourd’hui ?”.

Il insis­tait sur le fait que l’utilité sociale et pénale de tels fichages était elle-même très cri­ti­quable puisque lui-même n’avait pas été condam­né pour l’affaire de la sous-pré­fec­ture sur la base d’analyses d’ADN mais sur la seule foi d’un repor­tage TV, et qu’un fichage ADN, s’il aurait per­mis de démon­trer qu’il était bien sur les lieux alors, (ce qu’il n’a jamais caché ni nié), ne pou­vait en aucun cas prou­ver la dété­rio­ra­tion des biens donc, l’infraction !

Il rap­pe­lait enfin que son ADN, il le tenait de ses parents, qui s’étaient aimés. Par­lant de sa petite-fille, née récem­ment, de ses grands-parents, de tous ces gens qui sont ses ancêtres, qui, à moment ou à un autre, avaient fabri­qué et trans­mis cet ADN sur des géné­ra­tions, concluant “Mon­sieur le Pré­sident, jamais je ne don­ne­rai mon ADN autre­ment que par amour”.

Le déli­bé­ré de cette affaire a été fixé au 3 février prochain.

(Amiens)

Col­lec­tif Bellaciao

Vidéo avec les inter­ven­tions de Xavier Mathieu & cie


Sou­tien du Front de Gauche à Xavier Mathieu 1/2 par lepar­ti­de­gauche


Sou­tien du Front de Gauche à Xavier Mathieu 2/2 par lepar­ti­de­gauche