Création de la CELAC à Caracas : trois mémoires pour un point de non-retour de « notre Amérique ».

La Communauté des États Latinoaméricains et des Caraïbes (CELAC) fondée à Caracas constituera sans aucun doute l´événement politique majeur de ces dernières années.

La Com­mu­nau­té des États Lati­noa­mé­ri­cains et des Caraïbes (CELAC) fon­dée les 2 et 3 décembre 2011 á Cara­cas consti­tue­ra sans aucun doute l´événement poli­tique majeur de ces der­nières années. Cet orga­nisme rem­place en effet une OEA (Orga­ni­sa­tion des États Amé­ri­cains) décré­di­bi­li­sée par son ali­gne­ment sur les États-Unis, par un orga­nisme exclu­si­ve­ment lati­no-amé­ri­cain et poli­ti­que­ment plu­ra­liste. Celui-ci réuni­ra pour la pre­mière fois sans les USA ni le Cana­da, 32 chefs d´État sur un total de 33 pays repré­sen­tant 550 mil­lions de citoyen(ne)s sur un ter­ri­toire de plus de 20 mil­lions de kilo­mètres car­rés. D´ores et déjà le pré­sident équa­to­rien Rafael Cor­rea a mani­fes­té son sou­hait de voir se créér au sein de la CELAC une com­mis­sion des droits de l´homme réser­vée aux latino-américain(e)s pour sub­sti­tuer une CIDH deve­nue caisse de réso­nance de cam­pagnes média­tiques contre les gou­ver­ne­ments pro­gres­sistes qui se mul­ti­plient en Amé­rique Latine. 

Uni­té contre dépen­dance : une lutte historique.

Pour mesu­rer la por­tée his­to­rique de l´événement on peut se réfé­rer aux pro­pos tenus par le pré­sident de la répu­blique boli­va­rienne du Véné­zué­la — puis­sance invi­tante et l´une des prin­ci­pales forces d´impulsion du nou­vel orga­nisme : “Com­bien d´années de lutte. C’est un pre­mier pas, ce n´est pas la vic­toire. Non. Mais c´est un pre­mier pas. Parce que c´est en 1820 qu´a com­men­cé la lutte dans ce conti­nent. Aprés 300 ans de conquête, de domi­na­tion, de géno­cide de la part des empires euro­péens, a sur­gi la menace de l’empire nais­sant. Et Bolí­var l’a pré­vu, l’a pres­sen­ti, l´a vu. L’a affron­té. Bolí­var pro­po­sa l’unité dès le Congrès Amphic­tio­nique de Panamá. Mais fina­le­ment s´est impo­sé le mon­roïsme : l’Amérique pour les amé­ri­cains. Et on a cru enter­rer le boli­via­ria­nisme”.

L’ impor­tance poli­tique de la CELAC – même avant sa nais­sance – est liée à la cadu­ci­té de l’OEA et à son épais dos­sier d´interventions contre des pays qui emprun­taient diverses voies trans­for­ma­trices sur le conti­nent. L’ « Orga­ni­sa­tion des États Amé­ri­cains » res­te­ra tris­te­ment célèbre pour l´aval qu´elle a don­né á des inva­sions, des coups d´État, voire des mag­ni­cides. De l’intervention éta­su­nienne en Répu­blique Domi­ni­caine (1965) au coup d´État contre le pré­sident Zelaya au Hon­du­ras (2009), on peut lire l´histoire de l´OEA comme celle d´un « ins­tru­ment de l‘impérialisme » (dixit le poli­ti­logue argen­tin Ati­lio Borón). L’apogée de la dépen­dance de l´OEA vis-à-vis de Washing­ton fut sans doute l´expulsion de Cuba en 1962 au motif du dan­ger que repré­sen­tait “ l´offensive sub­ver­sive de gou­ver­ne­ments com­mu­nistes, de ses agents, et des orga­ni­sa­tions contrô­lées par eux” (sic). C‘est sur cette base que les gou­ver­ne­ments nord-amé­ri­cains suc­ces­sifs ont appli­qué un blo­cus comer­cial tou­jours en vigueur contre Cuba, pro­vo­quant des pertes qu´on estime à 975 mil­liards de dollars.

Le point de “non-retour” de Notre Amérique

En 2005, divers mou­ve­ments sociaux et poli­tiques de l’ Argen­tine et d´ailleurs rem­plis­saient le stade du “mun­dial de fut­bol” pour un évé­ne­ment majeur orga­ni­sé en pré­sense de Hugo Chá­vez et de Evo Morales : l´enterrement de l´ALCA, trai­té de libre com­merce d´obédience néo-libé­rale que l’administration Bush avait ten­té d´imposer au conti­nent, mais aus­si le démar­rage paral­léle de pro­ces­sus au Véné­zué­la, en Boli­vie et en Équa­teur qui ont per­mis de construire l’ALBA – Alliance Boli­va­rienne pour les Peuples de Notre Amé­rique. Ce bloc de pays – éga­le­ment inté­gré par Cuba et le Nica­ra­gua entre autres- a ensuite fon­dé le TCP (Trai­té de Com­merce entre les Peuples) pour sub­sti­tuer par la com­plé­men­ta­ri­té et la soli­da­ri­té, la concur­rence entre pays du « libre com­merce » des années 90.

La CELAC ne tombe donc pas du ciel mais s´enracine dans une « mémoire longue » – le “boli­va­ria­nisme” auquel Chá­vez se réfère ain­si que la marque lais­sée par les dif­fé­rents « Liber­ta­dores » de l´Amérique Latine, eux-mémes enra­ci­nés dans de longs cycles de résis­tance indi­gène, afro­la­ti­noa­mé­ri­caines comme celui d´Haïti, qui fut la pre­mière répu­blique libre du continent. 

Elle prend aus­si racine dans une « mémoire moyenne »  — la résis­tance au néo­li­bé­ra­lisme, les émeutes anti-FMI à Cara­cas (1989), etc-. Et dans une “mémoire proche” for­mée par des pro­ces­sus uni­taires entre nations sou­ve­raines tels que l‘ALBA, un sys­tème nour­ri de coopé­ra­tion sociale et libé­ré de la logique du pro­fit. D’autres, bien que plus nuan­cés, comme l´UNASUR, ont déjà per­mis de résoudre des moments de ten­sion comme la ten­ta­tive de coup d´État contre Evo Morales en Boli­vie (2008).

Alors que dans une Europe amné­siée par les grands médias, on a vu des “intel­lec­tuels” de gauche se conver­tir à la « guerre huma­ni­taire » et défendre peu ou prou une guerre meur­trière en Libye, il est bon de citer la pré­si­dente argen­tine Cris­ti­na Fer­nan­dez « Quand je vois les pays dits civi­li­sés régler leurs affaires à coups de bombes, je me sens fière d´être sud-amé­ri­caine ».

Juan Manuel Karg, Licen­cié en Sciences Poli­tiques, UBA

Tra­duit et adap­té pour le fran­çais par Thier­ry Deronne pour La revo­lu­ción Vive

Site offi­ciel de la CELAC : http://www.celac.gob.ve/ (avec lien de la trans­mis­sion spé­ciale par Inter­net de la réunion des 33 pays à Cara­cas les 2 et 3 décembre 2011)

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