Croire pour changer le monde. Sababou, de Samir Benchikh

Olivier Barlet : Les concerts, c'est comme le cinéma : on a beau tous crier que le monde doit changer, cela ne le transforme pas d'un coup de baguette magique.

Faites le bien par petits bouts là où vous êtes car ce sont les petits bouts de bien, une fois assem­blés, qui trans­forment le monde

Des­mond Tutu


SABABOU, avec Tiken Jah Fako­ly, au ciné­ma le 6… par samsam83

Ce docu­men­taire est l’exacte illus­tra­tion de la cita­tion du célèbre évêque sud-afri­cain qu’il place en début de film. Il y a dans la convic­tion et l’en­ga­ge­ment sans relâche de Tiken Jah Fako­ly une sorte de joyeuse croyance qu’il suf­fit de répé­ter que l’es­poir est per­mis pour que cela advienne. Les concerts, c’est comme le ciné­ma : on a beau tous crier que le monde doit chan­ger, cela ne le trans­forme pas d’un coup de baguette magique. Et pour­tant, cette éner­gie est vitale pour que les uto­pies se forgent et que les choses avancent. Tout l’in­té­rêt du film de convic­tion de Samir Ben­chikh est là : rendre compte de cette ardeur tout en fai­sant le lien avec ceux qui sur le ter­rain agissent concrètement.

On enten­dra donc Tiken Jah répé­ter a capel­la son puis­sant appel à l’ac­tion : “Dans ton esprit mon frère il y a le pou­voir de chan­ger ton monde, et dans tes mains mon frère, il y a les clefs de ce conti­nent, et si vous ne les uti­li­sez pas bien­tôt, elles seront per­dues au pro­fit du gou­ver­ne­ment !” On le ver­ra ten­ter de refaire en Gui­née le tour de force de Bob Mar­ley qui avait réus­si à convo­quer les deux enne­mis jurés qui met­taient à feu et à sang la Jamaïque, Edward Sea­ga (JLP, pro-amé­ri­cain) et le Pre­mier Ministre Michael Man­ley (PNP, com­mu­niste), à mon­ter sur la scène du One Love Peace Concert du 22 avril 1978 à King­ston et se ser­rer la main. 

Bob Mar­ley réunis­sant les deux par­tis poli­tiques rivaux alors que la guerre civil fit rage, le tout sur Jamming

Mais cet idéa­lisme ras­ta ne prend sens que parce que des gens de l’ombre se col­tinent le com­bat quo­ti­dien. Plu­tôt que de faire un opus musi­cal qui aurait entraî­né les foules, Ben­chikh plonge dans le quo­ti­dien des mili­tants : Michel Yao, de la Ligue ivoi­rienne des droits de l’homme, qui assiste les pri­son­niers en dif­fi­cul­té ; ou bien Rosine Ban­ga­li, de l’ONG “Les Droits de l’en­fant en Côte d’I­voire”, qui mobi­lise les lycéens sur un décret inter­di­sant les puni­tions phy­siques à l’é­cole. Quant au musi­cien Diab­son Tere, il résiste en essayant d’or­ga­ni­ser un concert dans une Côte d’I­voire où les artistes ont été lami­nés par dix ans de conflits.

Contre la vio­lence et pour les droits : tout est dit. Le mon­tage alterne la chan­son de Diab­son Tere Sos Sécu­ri­té, contre le tri­ba­lisme et les coups d’É­tat, et la patiente action des mili­tants. Là est l’A­fri­can Revo­lu­tion de Tiken Jah : c’est la jeu­nesse afri­caine qui fera l’A­frique. Tout en soi­gnant cadrages et lumières pour que les per­sonnes fil­mées soient au mieux de leur digni­té, Ben­chikh passe beau­coup par la cap­ta­tion de la parole pour trans­mettre cette foi dans l’en­ga­ge­ment. Cela donne un film assez bavard où la musique se fait attendre mais dont la cohé­rence de pro­pos emporte l’adhé­sion. Saba­bu signi­fie la Pro­vi­dence, et c’est bien de croyance qu’il s’a­git dans ce film. Car n’est-ce pas cette foi dans la com­mu­nion des saints qui per­met d’en­vi­sa­ger que les petits bouts de bien accu­mu­lés portent l’a­ve­nir du monde ?

Oli­vier Barlet

Source de l’ar­ticle : afri­cul­tures