De Casablanca à Molenbeek : petit manuel pour la poursuite du mouvement du 20 février.

par Nordine Saïdi.

26 Mai 2011

Au moment même où le peuple maro­cain se sou­lève à l’image de la Tuni­sie et de l’Egypte contre le régime du « com­man­deur des croyants », la Com­mune de Molen­beek Saint-Jean et son Cadi ont invi­té à une confé­rence qui s’est tenue le 21 mai des envoyés du Royaume du Maroc, qui sont venus pré­sen­ter sous le meilleur jour la réforme consti­tu­tion­nelle globale. 

Le com­mu­ni­qué de presse par­lait de cette der­nière comme d’un tour­nant his­to­rique dont l‘approbation par voie réfé­ren­daire est de nature à ren­for­cer le carac­tère démo­cra­tique de ce pays, jugé éga­le­ment comme exem­plaire au sein de ce monde arabe en pleine mutation. 

A voir les ora­teurs, la jour­née du 21 lais­sa peu/pas de place à l’expression des oppositions.

Pour­tant le len­de­main au Maroc, le « mou­ve­ment du 20 février » qui appelle à des réformes poli­tiques radi­cales dans le royaume, mani­fes­tait dans l’ensemble du pays sous le mot d’ordre « Men­nou­ni Dégage ! ». Notez que Mon­sieur Abde­la­tif Men­nou­ni n’est rien de moins que l’homme du roi à la tête de la Com­mis­sion consul­ta­tive de révi­sion de la consti­tu­tion (CCRC) dont les membres sont nom­més par… le roi seul ! 

En effet, aucun repré­sen­tant du « Mou­ve­ment du 20 Février », de l’association natio­nale des diplô­més chô­meurs (ANDCM), de l’UNEM (Union Natio­nale des Étu­diants Maro­cains), ATTAC Maroc, ou de l’Association maro­caine des Droits de l’Homme (AMDH) dont il aurait été facile de trou­ver un repré­sen­tant… ici même à Bruxelles. 

Les reven­di­ca­tions du « mou­ve­ment du 20 février » sont nom­breuses, qu’elles soient poli­tiques, sociales, éco­no­miques, elles parlent essen­tiel­le­ment de pain, de liber­té et de dignité.

Voi­ci quelques reven­di­ca­tions retrou­vées dans les dif­fé­rentes mani­fes­ta­tions depuis la date du 20 Février :
· Dis­so­lu­tion du Gou­ver­ne­ment actuel ;
· Dis­so­lu­tion du Parlement ;
· Orga­ni­sa­tion d’élections équi­tables et transparentes ;
· Amen­de­ment de la Consti­tu­tion visant à réduire les pou­voirs du roi, et à don­ner plus de pré­ro­ga­tives au Par­le­ment. Les Maro­cains sont égaux devant la Loi. Per­sonne n’est au-des­sus de la loi, y com­pris la per­sonne du roi et de la famille royale ;

· Vote au suf­frage uni­ver­sel d’un Pre­mier Ministre ayant toutes les pré­ro­ga­tives pour choi­sir les membres du gouvernement ;
· Démo­li­tion des bidon­villes dans tout le ter­ri­toire natio­nal, relo­ge­ment des familles, et habi­tat digne pour les Maro­cains lésés ;
· Garan­tie du droit au Tra­vail pour tous, créa­tion d’une caisse d’indemnisation des chômeurs ;
· Réforme pro­fonde de l’éducation et lutte contre l’abandon sco­laire. Era­di­ca­tion défi­ni­tive du fléau de l’analphabétisme ;
· Réforme pro­fonde de la Jus­tice. Pour­suite de tous ceux qui sont impli­qués dans le détour­ne­ment des deniers publics ;
· Liber­té des pri­son­niers poli­tiques et condam­na­tion des tortionnaires ;
· Réforme en pro­fon­deur du sec­teur de la San­té, sous le slo­gan : « San­té pour tous » ;
· Inves­tis­se­ments dans la construc­tion de loge­ments, d’hôpitaux, d’écoles et d’universités, octroi de prêts aux jeunes por­teurs de pro­jets à des taux de 0%
· Recon­nais­sance offi­cielle de la langue Amazigh, …

Aus­si, celui qui est pré­sen­té comme le « Roi des pauvres » n’échappe-t-il pas à la contestation.

Le régime maro­cain est une monar­chie consti­tu­tion­nelle. Le prin­cipe de sépa­ra­tion des pou­voirs n’est pas recon­nu. Il suf­fit de lire la Consti­tu­tion pour se rendre compte que le Maroc n’est pas une démocratie. 

Le roi doit régner et non pas gou­ver­ner, est le mot d’ordre mini­mal admis par tous.

Le pro­blème c’est que le roi concentre tous les pou­voirs (exé­cu­tif, légis­la­tif, judi­ciaire, éco­no­mique et reli­gieux), il est une des plus grosses for­tunes du monde alors que la popu­la­tion dans sa majo­ri­té vit dans la pau­vre­té et que la jeu­nesse choi­sit l’exil, cer­tains au risque de leur vie, pour survivre.

Aucun chan­ge­ment n’aura lieu sans une réforme radi­cale de la consti­tu­tion, c’est-à-dire, sans réfor­mer les articles suivants :

· L’article 23 qui sti­pule que « La per­sonne du roi est invio­lable et sacrée ». Non seule­ment la per­sonne du roi est invio­lable et sacrée, mais tous les pou­voirs se trouvent concen­trés entre ses mains. 

· L’article 24 : « Le roi nomme le 1er ministre. Sur pro­po­si­tion du 1er ministre, il nomme les autres membres du Gou­ver­ne­ment. Il peut mettre fin à leurs fonc­tions. Il met fin aux fonc­tions du gou­ver­ne­ment, soit à son ini­tia­tive, soit du fait de la démis­sion du gouvernement ». 

L’article 19 illustre quant à lui l’imposture de la monar­chie au Maroc : « Le roi, Amir Al Mou­mi­nine. Repré­sen­tant Suprême de la Nation, Sym­bole de son uni­té, Garant de la péren­ni­té et de la conti­nui­té de l’Etat, veille au res­pect de l’Islam et de la Consti­tu­tion. Il est le pro­tec­teur des droits et liber­tés des citoyens, groupes sociaux et col­lec­ti­vi­tés. Il garan­tit l’indépendance de la Nation et l’intégrité ter­ri­to­riale du Royaume dans ses fron­tières authentiques ».

Les rap­ports acca­blants d’Amnesty Inter­na­tio­nal et de Human Rights Watch ont-ils été révé­lés au public venu s’informer de la situa­tion au Maroc ?

Le Maroc dégrin­gole au 126ème rang du pal­ma­rès éta­bli par le Rap­port mon­dial sur le déve­lop­pe­ment humain, une publi­ca­tion annuelle du Pro­gramme des Nations Unies pour le déve­lop­pe­ment (PNUD).
Dans ce rap­port, l’O­NU classe 175 pays du monde selon divers para­mètres sociaux et éco­no­miques tels que l’alphabétisation, le reve­nu par habi­tant et l’es­pé­rance de vie. Le rap­port signale un phé­no­mène inquié­tant pour le Maroc : il a accu­sé un recul de sa situa­tion au cours des 3 der­nières années (rang 112 en 2001, 123 en 2002 et 126 en 2003). 

Le sort du citoyen molen­bee­kois Ali AARRASS déte­nu arbi­trai­re­ment au Maroc a‑t-il été évo­qué en pré­sence de l’Ambassadeur ? Le public a t il été infor­mé que celui-ci se fait actuel­le­ment tor­tu­rer dans les geôles maro­caines ? Il est clair que non, car jamais la com­mune n’a pris d’initiative pour faire connaitre le cas d’un de ses propres concitoyens. 

A l’heure où le peuple maro­cain dans son ensemble paie chaque jour un lourd tri­but pour recou­vrir sa digni­té et sa liber­té spo­liées par un régime cri­mi­nel, la com­mune de Molen­beek se soli­da­rise avec leur oppresseur !
Les der­nières annonces du Roi mon­trant une volon­té de sou­te­nir les réformes consti­tu­tion­nelles, libé­ra­tions de pri­son­niers poli­tiques,… auraient pu lais­ser paraître une lueur d’espoir, mais la répres­sion, les agres­sions, les vio­lences, les arres­ta­tions envers les mani­fes­tants montrent plu­tôt que le Makh­zen compte dur­cir la répres­sion envers le mou­ve­ment protestataire.
Dans le jour­nal télé­vi­sé d’RTL-TVI du 24 Mai 2011, l’ambassadeur du Maroc Samir Addahre, méprise et jus­ti­fie la répres­sion poli­cière : « Le mou­ve­ment de contes­ta­tion … de reven­di­ca­tion au Maroc, qui était légi­time, qui était spon­ta­né au départ, ne l’est plus mal­heu­reu­se­ment aujourd’hui »… Le mou­ve­ment du 20 février n’est plus légi­time selon l’am­bas­sa­deur ! Samir Addahre DEGAGE !, c’est toi qui es illégitime.
La Com­mis­sion Men­nou­ni doit remettre ses conclu­sions dans un mois, soyez cer­tains que celles-ci seront en-deçà des attentes du peuple maro­cain et soyez cer­tains que la rue maro­caine sera dans la rue.
Le « Mou­ve­ment du 20 février » est deve­nu aujourd’hui un acteur incon­tour­nable de la réa­li­té maro­caine et tous ces élé­ments nous démontrent à quel point son action révo­lu­tion­naire est légi­time et salutaire.
Notre rôle consiste à sou­te­nir les reven­di­ca­tions légi­times des peuples qui luttent.
Toutes pro­por­tions gar­dées, les condi­tions de la révolte sont aus­si pré­sentes chez nous, à « Bruxelles est carac­té­ri­sée par une impor­tante concen­tra­tion de la pau­vre­té dans les quar­tiers for­te­ment peu­plés du “crois­sant pauvre” au centre de la ville, notam­ment le bas de Saint-Gilles, Cure­ghem, les Marolles et le sud du penta­gone, le bas de Molen­beek, Lae­ken, le bas de Schaer­beek et Saint-Josse-ten-Noode. Cette zone est habi­tée par de nom­breuses familles avec des jeunes enfants. Le taux de chô­mage y atteint plus de 25% et même plus de 40% chez les jeunes. La pro­por­tion de ménages qui vivent d’une allo­ca­tion du CPAS y est jusqu’à 5 fois plus éle­vée que dans le reste de la région. Dans cer­tains quar­tiers, jusqu’à un enfant sur deux vit dans un ménage sans reve­nu du travail ». 

Que ceux qui sou­tiennent le peuple maro­cain demandent aux auto­ri­tés belges, aux élus d’origine maro­caine ou pas de prendre posi­tion et de s’exprimer publi­que­ment sur la répres­sion en cours au Maroc. Leur silence vau­drait com­pli­ci­té voire appro­ba­tion, et cha­cun devra s’en souvenir !

Nor­dine Saïdi
Mili­tant anticolonialiste