Edward Said et les clichés

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Les bandes d’actualité et les photographies de presse montrent toujours les Arabes en grand nombre: rien d’individuel, pas de caractéristique personnelle...

Le_fils_du_cheickh_Rudolph_Valentino.png « Le ciné­ma et la télé­vi­sion asso­cient l’Arabe soit à la débauche, soit à une mal­hon­nê­te­té san­gui­naire. Il appa­raît sous la forme d’un dégé­né­ré hyper­sexué, assez intel­li­gent, il est vrai, pour tra­mer des intrigues tor­tueuses, mais essen­tiel­le­ment sadique, traître, bas. Mar­chand d’esclaves, conduc­teur de cha­meaux, tra­fi­quant, ruf­fian haut en cou­leur, voi­là quelques-uns des rôles tra­di­tion­nels des Arabes au ciné­ma. On peut voir le chef arabe (chef de marau­deurs, de pirates, d’insurgés “indi­gènes”) gro­gner en direc­tion de ses pri­son­niers, le héros occi­den­tal et la blonde jeune fille (l’un et l’autre pétris de san­té): “Mes hommes vont vous tuer, mais ils veulent d’abord s’amuser.” En par­lant, il fait une gri­mage sug­ges­tive : c’est cette image dégra­dée du cheikh de Valen­ti­no qui est en cir­cu­la­tion. Les bandes d’actualité et les pho­to­gra­phies de presse montrent tou­jours les Arabes en grand nombre : rien d’individuel, pas de carac­té­ris­tique per­son­nelle, la plu­part des images repré­sentent la rage et la misère de la masse ou des gestes irra­tion­nels (donc déses­pé­ré­ment excen­triques). Der­rière toutes ces images se cache la menace du jihad.

Consé­quence : la crainte que les musul­mans (ou les Arabes) ne s’emparent du monde. Régu­liè­re­ment sont publiés des livres et des articles trai­tant de l’islam et des Arabes, qui ne dif­fé­rent en rien des viru­lentes polé­miques anti-isla­miques du Moyen Age ou de la Renais­sance. Sur ce seul groupe eth­nique ou reli­gieux ont peut dire ou écrire pra­ti­que­ment n’importe quoi, sans se heur­ter à la moindre objec­tion ou à la moindre protestation…» 

Edward Said (1980), L’O­rien­ta­lisme. L’O­rient créé par l’Occident

(trad. Cathe­rine Mala­moud), Seuil 2005