En finir avec le CSA ! Pour un Conseil national des médias… de tous les médias

Parmi les conditions de leur appropriation démocratique figure la nécessité d’une refonte des institutions publiques en charge de la question des médias.

par Hen­ri Maler, le 6 février 2012 (ACRIMED)

Nous ne sommes pas aveugles : nous savons bien que la ques­tion des médias, par temps de crise éco­no­mique et sociale rava­geuse, ne consti­tue pas une pré­oc­cu­pa­tion prio­ri­taire. Mais notre rôle, du moins tel que nous le com­pre­nons, est d’éviter que la ques­tion de l’appropriation démo­cra­tique des médias ne figure plus du tout dans le débat public, notam­ment à l’occasion des pro­chaines échéances élec­to­rales. Toutes nos pro­po­si­tions, réunies dans une même rubrique, sont dis­cu­tables et dis­cu­tées au sein d’Acrimed qui, sans attendre, les met publi­que­ment en débat.

L’article ci-des­sous, publié dans Médiacritique(s) n° 2 (jan­vier 2012), reprend et pré­cise un article publié le 15 avril 2006 qui figure désor­mais en annexe (Acri­med).

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Pour un Conseil natio­nal des médias… de tous les médias

Par­mi les condi­tions de leur appro­pria­tion démo­cra­tique (et donc de l’existence d’un ser­vice public de l’information et de la culture) figure la néces­si­té d’une refonte des ins­ti­tu­tions publiques en charge de la ques­tion des médias. Cette refonte, telle que nous l’avions pro­po­sée dès 2006, est d’autant plus indis­pen­sable que la révo­lu­tion numé­rique a bou­le­ver­sé le pay­sage média­tique. Les échéances élec­to­rales de 2012 n’ont guère sus­ci­té de pro­jets en ce sens : l’UMP n’a encore rien dit, sans doute parce qu’elle est satis­faite, et le Par­ti socia­liste se borne à envi­sa­ger quelques mesures cos­mé­tiques. Pour­tant, quelques mesures radi­cales s’imposent, à com­men­cer par la sup­pres­sion et le rem­pla­ce­ment de l’actuel Conseil supé­rieur de l’audiovisuel (CSA).

* * *

Inféo­dé au pou­voir poli­tique et assu­jet­ti aux entre­prises média­tiques, le CSA est un orga­nisme-fan­toche et un orga­nisme-crou­pion : un simple relais du pou­voir exé­cu­tif, can­ton­né à la régu­la­tion de l’audiovisuel dans une défi­ni­tion désor­mais archaïque. À l’heure d’Internet, de la révo­lu­tion numé­rique, de la mul­ti­pli­ca­tion des sup­ports et du mul­ti­mé­dia, toutes les com­po­santes de l’espace média­tique sont plus que jamais soli­daires. C’est pour­quoi un Conseil natio­nal des médias (CNM), entiè­re­ment redé­fi­ni dans ses mis­sions et sa com­po­si­tion, doit être institué.

Quelle com­po­si­tion ?

Un tel conseil des médias devrait être déga­gé des formes de repré­sen­ta­tions poli­tiques qui pré­valent aujourd’hui et qui abou­tissent, au sein de l’actuel CSA, à la pré­do­mi­nance abso­lue de l’exécutif et des majo­ri­tés par­le­men­taires qui décident de sa com­po­si­tion. Il devrait être com­po­sé d’élus, de pro­fes­sion­nels des médias et de porte-voix des publics.

- Quel que soit le mode de scru­tin rete­nu pour l’élection des assem­blées par­le­men­taires et en par­ti­cu­lier de l’Assemblée natio­nale, la repré­sen­ta­tion poli­tique au sein du CNM doit être une repré­sen­ta­tion stric­te­ment proportionnelle.
 — Quelle que soit la part réser­vée aux chefs d’entreprises, pri­vées ou publiques, la majo­ri­té de la repré­sen­ta­tion pro­fes­sion­nelle doit reve­nir aux prin­ci­paux acteurs des médias : les jour­na­listes et les sala­riés des médias, ain­si que leurs orga­ni­sa­tions syndicales.
 — Quelles que soient les moda­li­tés rete­nues de repré­sen­ta­tion des usa­gers, celle-ci doit être effec­tive, même si le risque d’une faible repré­sen­ta­ti­vi­té n’est pas négli­geable : leur rôle pour­rait être, du moins dans un pre­mier temps, consultatif.

En tout cas, de telles dis­po­si­tions (notam­ment parce qu’elles dis­tinguent la repré­sen­ta­tion poli­tique et la repré­sen­ta­tion directe des usa­gers) pour­raient n’être que pro­vi­soires : elles pren­draient tout leur sens si tout ou par­tie des repré­sen­tants aux conseils des médias étaient élus à la pro­por­tion­nelle, sur la base de pro­jets et selon un mode de scru­tin spécifiques.

De sur­croît, une seule auto­ri­té publique indé­pen­dante devrait rem­plir ou coor­don­ner les fonc­tions rem­plies aujourd’hui par diverses ins­ti­tu­tions can­ton­nées à tel domaine d’intervention et à tel type de médias. Par exemple, sous réserve des autres trans­for­ma­tions sou­hai­tables et sans pré­ju­ger de celles-ci :

- Les orga­nismes d’évaluation de la dif­fu­sion et des audiences ne doivent pas être sous-trai­tés à des orga­nismes pri­vés et/ou dépen­dants. Média­mé­trie et l’OJD (ex-Office de jus­ti­fi­ca­tion de la dif­fu­sion des sup­ports de publi­ci­té) doivent être rem­pla­cés ou modi­fiés. Ils devraient être ou deve­nir des orga­nismes publics ;
 — L’Autorité de régu­la­tion pro­fes­sion­nelle de la publi­ci­té (Arpp) [[L’article publié dans Médiacritique(s) n°2 men­tionne par erreur le Bureau de véri­fi­ca­tion de la publi­ci­té qui a dis­pa­ru… en 2008 !]] devrait rem­plir ses fonc­tions au sein du CNM ou sous son contrôle.
 — L’Autorité de régu­la­tion des com­mu­ni­ca­tions élec­tro­nique et pos­tales (Arcep) devrait agir de concert avec le CNM, voire consti­tuer avec lui une seule et même instance.

Quelles mis­sions ?

Le CNM aurait pour prin­ci­paux rôles, sous réserve de pré­ci­sions sur la répar­ti­tion entre les pou­voirs effec­tifs et les fonc­tions consultatives :

1. La défi­ni­tion des moda­li­tés de finan­ce­ment public des médias : l’allocation des mon­tants de la rede­vance audio­vi­suelle ; l’allocation des aides publiques à la presse ; l’allocation des res­sources des­ti­nées aux médias asso­cia­tifs. Seul un orga­nisme réel­le­ment indé­pen­dant per­met­trait d’en finir avec l’arbitraire poli­tique et l’opacité qui règnent sur ces allocations.

2. Le contrôle de la publi­ci­té : la défi­ni­tion des normes des mes­sages publi­ci­taires ; l’établissement des règles rela­tives aux condi­tions de leur dif­fu­sion et celles rela­tives à leur ampleur, de concert avec l’Arpp, qui devra être refon­dée. La place et le conte­nu de la publi­ci­té dans les médias ne relèvent pas des seuls spé­cia­listes et pro­fes­sion­nels de la publi­ci­té : ils doivent, pour le moins, faire l’objet d’un débat public.

3. La ges­tion des moyens publics de pro­duc­tion et de dif­fu­sion : la répar­ti­tion des canaux et des fré­quences dis­po­nibles ; le contrôle de la ges­tion des moyens publics d’impression ; le contrôle de la trans­pa­rence des orga­nismes de dif­fu­sion de la presse ; la prise en charge des rela­tions avec La Poste et les Télé­com­mu­ni­ca­tions (dont il faut sou­hai­ter les renationalisations).

4. Le contrôle des mesures d’audience et de dif­fu­sion : la redé­fi­ni­tion des orga­nismes d’évaluation de la dif­fu­sion et des audiences ; la rééva­lua­tion de leurs cri­tères et le déve­lop­pe­ment des enquêtes qua­li­ta­tives sur les usages des médias, déga­gées des pré­sup­po­sés mer­can­tiles de celles, trop rares, qui existent actuellement…

5. Le contrôle du plu­ra­lisme média­tique et de la légis­la­tion sur les concen­tra­tions, en par­ti­cu­lier par l’instauration d’un droit de sai­sine des juri­dic­tions com­pé­tentes en cas de trans­gres­sion des dis­po­si­tions législatives.

6. La pro­tec­tion de la liber­té sur Inter­net et de sa neu­tra­li­té et, en par­ti­cu­lier, la mise en œuvre de dis­po­si­tions qui pro­tègent les droits d’auteur sans recou­rir à la répres­sion aveugle et absurde qui est le lot de la loi Hadopi.

Dans le cadre de l’actuelle Consti­tu­tion, c’est au Par­le­ment que revient le vote du bud­get alloué aux médias et des lois qui les concernent, tan­dis que le gou­ver­ne­ment – la direc­tion des Médias et le minis­tère des Finances en par­ti­cu­lier – sont char­gés de l’application des dis­po­si­tions légis­la­tives. C’est beau­coup, c’est beau­coup trop, si leurs com­pé­tences ne sont pas stric­te­ment cir­cons­crites, et sur­tout si n’existe aucun contre-pou­voir. Dans ce but, deux mesures com­plé­men­taires doivent être envi­sa­gées. D’abord, le rôle désor­mais rem­pli par les régions et le poids gran­dis­sant, actuel et à venir, des médias locaux rendent indis­pen­sable le trans­fert des com­pé­tences néces­saires à des conseils régio­naux des médias, indé­pen­dants des conseils régio­naux pro­pre­ment dits. Ensuite et sur­tout, sur le plan natio­nal, le CNM, tel que nous l’avons défi­ni, pour­rait être ins­crit dans la Consti­tu­tion : la notion confuse de « qua­trième pou­voir » rece­vrait ain­si un sens précis.

Hen­ri Maler, pour Acrimed


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Annexe : la ver­sion pré­cé­dente de ces pro­po­si­tions (publiée le 15 avril 2006)

Pour une refonte des auto­ri­tés publiques en charge de la ques­tion des médias

En finir avec le CSA

Inféo­dées au pou­voir poli­tique et assu­jet­ties aux entre­prises média­tiques, les ins­ti­tu­tions en charge de la ques­tion des médias sont à la fois impuis­santes et dépen­dantes. Leur refonte est indis­pen­sable. Quelques pistes provisoires…

Pour un Conseil natio­nal et des conseils régio­naux des médias.

Pro­po­sé de plu­sieurs côtés sous diverses déno­mi­na­tions (voir « Annexe » ci-des­sous), un Conseil natio­nal des médias (CNM) doit être créé. Un Conseil qui ne recon­dui­rait pas la com­po­si­tion de l’actuel CSA, mar­qué par sa dépen­dance à l’égard du pou­voir poli­tique et par la néga­tion du plu­ra­lisme dont il devrait être l’un des garants. Un Conseil qui ne serait pas le simple pro­lon­ge­ment de l’actuel CSA, mais doté d’un champ d’intervention et de com­pé­tences plus étendues.

Pour être cohé­rent avec le rôle désor­mais rem­pli par les régions et avec le poids gran­dis­sant, actuel et à venir des médias locaux, les com­pé­tences néces­saires doivent être trans­fé­rées à des Conseils régio­naux des médias (CRM), indé­pen­dants des Conseil régionaux.

Des orga­nismes pari­taires et démocratiques

Les Conseils des médias, com­po­sés d’élus, de pro­fes­sion­nels des médias et de porte-voix des publics, devraient être déga­gés des formes de repré­sen­ta­tions poli­tiques qui pré­valent aujourd’hui et qui abou­tissent au sein de l’actuel CSA à la pré­do­mi­nance abso­lue de l’exécutif et des majo­ri­tés par­le­men­taires qui décident de sa composition.

- Quel que soit le mode de scru­tin rete­nu pour l’élection des assem­blées par­le­men­taires et en par­ti­cu­lier de l’Assemblée natio­nale, la repré­sen­ta­tion poli­tique au sein du Conseil natio­nal des médias doit être une repré­sen­ta­tion stric­te­ment pro­por­tion­nelle. Il doit en être de même au sein des Conseils régio­naux des médias ;
 — Quelle que soit la part réser­vée aux chefs d’entreprises, pri­vés ou publics, la majo­ri­té de la repré­sen­ta­tion pro­fes­sion­nelles doit reve­nir aux jour­na­listes et sala­riés des médias et à leurs orga­ni­sa­tions syndicales ;
 — Quelles que soit les moda­li­tés rete­nues de repré­sen­ta­tion des usa­gers, celle-ci doit être effec­tive, natio­na­le­ment et régio­na­le­ment, même si les risques d’une faible repré­sen­ta­ti­vi­té peuvent lais­ser pen­ser que leur rôle ne peut être que consul­ta­tif. La ques­tion n’est pas tranchée.

Des orga­nismes uni­fiés et différenciés

Une seule auto­ri­té publique indé­pen­dante devrait rem­plir ou coor­don­ner les fonc­tions rem­plies par des ins­ti­tu­tions mor­ce­lées par domaine d’intervention et par type de médias.

Par exemple, sous réserve des autres trans­for­ma­tions sou­hai­tables et sans pré­ju­ger de celles-ci,
 — Les orga­nismes d’évaluation de la dif­fu­sion et des audiences ne doivent pas être sous-trai­tés à des orga­nismes pri­vés et/ou dépen­dants. Média­mé­trie et l’OJD doivent être rem­pla­cés ou modi­fiés. Ils devraient être ou deve­nir des orga­nismes publics ;
 — Le Bureau de véri­fi­ca­tion de la publi­ci­té devrait rem­plir ses fonc­tions au sein du Conseil natio­nal ou sous son contrôle.

Des orga­nismes aux com­pé­tences étendues

Le Conseil natio­nal et les Conseils régio­naux des médias auraient pour prin­ci­paux rôles, sous réserve de pré­ci­sions sur la répar­ti­tion entre leurs pou­voirs effec­tifs et leurs fonc­tions consultatives :

1. La défi­ni­tion des moda­li­tés de finan­ce­ment public des médias
 — l’allocation des mon­tants de la rede­vance audiovisuelle ;
 — l’allocation des aides publiques à la presse ;
 — l’allocation des res­sources des­ti­nées aux médias associatifs.

2. Le contrôle de la publicité
 — la défi­ni­tion des normes des mes­sages publicitaires ;
 — l’établissement des règles rela­tives aux condi­tions de leur diffusion ;
 — l’établissement des règles rela­tives à leur ampleur.

3. La ges­tion des moyens publics de pro­duc­tion et de diffusion
 — la répar­ti­tion des fré­quences disponibles ;
 — le contrôle de la ges­tion des moyens public d’impression ;
 — le contrôle de la trans­pa­rence des orga­nismes de dif­fu­sion de la presse.

4. Le contrôle des mesures d’audience et de diffusion

- la redé­fi­ni­tion des orga­nismes d’évaluation de la dif­fu­sion et des audiences ;
 — la rééva­lua­tion de leurs cri­tères et déve­lop­pe­ment des enquêtes qualitatives.

5. Le contrôle du plu­ra­lisme média­tique et de la légis­la­tion sur les concentrations
 — les Conseils des médias devraient agir de concert avec l’Autorité de régu­la­tion des com­mu­ni­ca­tions élec­tro­nique et pos­tales (ARCEP), voire consti­tuer avec elle une seule et même instance ;
 — les Conseils des médias devront dis­po­ser d’un droit de sai­sine des juri­dic­tions com­pé­tentes en cas de trans­gres­sion des dis­po­si­tions légis­la­tives, notam­ment en matière de concentration.

À suivre…

La ques­tion des médias relève du Par­le­ment qui vote le bud­get et adopte les lois. Le sta­tut et les com­pé­tences exactes des Conseils des médias devront être défi­nis en consé­quence. À suivre, donc…

Hen­ri Maler


Pour pour­suivre la discussion…

Les pro­po­si­tions de la « Com­mis­sion Médias », impul­sée par le PCF (1996)

« […] Créa­tion d’un Conseil supé­rieur des médias
 — Char­gé du contrôle du res­pect des obli­ga­tions en la matière, sa com­po­si­tion sera tri­par­tite : élu-e‑s, pro­fes­sion­nels et citoyens dans les repré­sen­ta­tions qu’ils se donnent (syn­di­cats, asso­cia­tions…) ; son pré­sident ou sa pré­si­dente sera élu‑e par le Conseil sur pro­po­si­tion du pré­sident ou de la pré­si­dente de l’Assemblée nationale.
 — Il assu­re­ra les fonc­tions actuelles du CSA (Conseil supé­rieur des médias) du BVP (bureau de véri­fi­ca­tion de la publi­ci­té) et des auto­ri­tés de régu­la­tion : attri­bu­tion des canaux et des fré­quences, res­pect du plu­ra­lisme de l’information, éla­bo­ra­tion d’une « charte » de la pub…
 — Il tra­vaille­ra à l’élaboration de sta­tuts des médias (audio­vi­suels, presse) publics, pri­vés et asso­cia­tifs en rela­tion étroite avec les orga­ni­sa­tions pro­fes­sion­nelles concernées ;
 — Par ailleurs, il assu­re­ra une mis­sion de mesure qua­li­ta­tive et quan­ti­ta­tive de l’audience des médias audio­vi­suels dont il défi­ni­ra les indi­ca­teurs ; Il ren­dra compte de son tra­vail devant les États géné­raux des médias et sol­li­ci­te­ra le par­le­ment autant que de besoin.

Assu­rer la sou­ve­rai­ne­té popu­laire Des États géné­raux des médias, consti­tués de pro­fes­sion­nels (jour­na­listes, sala­riés, auteurs, …), d’élus de la repré­sen­ta­tion natio­nale et de citoyens (syn­di­cats, asso­cia­tions, …) consti­tue­ront un espace de dia­logue per­ma­nent et de sui­vi de l’activité des médias, de leur fonc­tion­ne­ment, du res­pect des conven­tions et des enga­ge­ments. Ces États géné­raux dis­po­se­ront d’un droit d’interpellation du Conseil supé­rieur des médias ou des Conseils d’administration des entre­prises du pôle public avec une Infor­ma­tion publique de ces échanges. »