Entretien depuis le Forum Social de Porto Alegre avec Joao Pedro Stédile

ALBA TV


Tra­duit par Thier­ry Deronne

Pour une infor­ma­tion conti­nue en fran­çais sur les acti­vi­tés du MST, http://mouvementsansterre.wordpress.com/

EN LIEN :

Éco­no­miste et acti­viste social bré­si­lien. Il est membre de la coor­di­na­tion natio­nale du Mou­ve­ment des Sans-Terre (MST), dont il est éga­le­ment l’un des fon­da­teurs. De for­ma­tion mar­xiste, il est l’un des prin­ci­paux défen­seurs d’une réforme agraire au Bré­sil. Fils de petits agri­cul­teurs ori­gi­naires de la pro­vince de Tren­to en Ita­lie, il vit actuel­le­ment à São Pau­lo. Il est diplô­mé en éco­no­mie de l’Université catho­lique pon­ti­fi­cale de Rio Grande do Sul, et de l’Université natio­nale auto­nome du Mexique. Il est un membre actif de la Com­mis­sion des pro­duc­teurs de rai­sin et des Syn­di­cats des tra­vailleurs ruraux de Grande do Sul, dans la région de Ben­to Gonçalves.
Conseiller à la Com­mis­sion Pas­to­rale de la Terre (CPT) à Rio Grande do Sul, il a aus­si tra­vaillé au Secré­ta­riat de l’Agriculture de Rio Grande do Sul. Depuis 1979, il par­ti­cipe aux acti­vi­tés de lutte pour la réforme agraire, au sein du MST et de Via Cam­pe­si­na Brasil.

27 jan­vier 2012

Il faut dénon­cer la concen­tra­tion du pou­voir idéo­lo­gique que la bour­geoi­sie pos­sède dans les médias télé­vi­sés, et tant la gauche que les mou­ve­ments sociaux doivent s’ap­pro­prier cet instrument”

Alba TV — Quelle est l´importance du Forum Social de Por­to Alegre dans la crise inter­na­tio­nale actuelle ?

Le Forum Social Mon­dial, dans ce cas le “thé­ma­tique” de Por­to Alegre, et tous ceux qui se déroulent dans le reste du monde, res­tent des espaces très impor­tants pour que les gens viennent débattre, pro­po­ser. Le Forum, plus qu’un espace d’or­ga­ni­sa­tion, est une foire idéo­lo­gique où les per­sonnes viennent par­ta­ger leurs pré­oc­cu­pa­tions et leurs réflexions. Nous y ren­con­trons nos sem­blables pour arti­cu­ler des élé­ments concrets de la lutte de masses, des pro­po­si­tions concrètes qui peuvent ensuite être por­tés de manière directe par les mou­ve­ments sociaux de tous les coins du monde, dans leur lutte contre le grand enne­mi de notre époque : les grandes entre­prises capitalistes

Com­ment se posi­tionne l’A­mé­rique Latine face à la conjonc­ture actuelle et quelle est l´importance de l’AL­BA comme pro­jet de construc­tion d´un autre type de socié­té, plus juste, plus humaine ?

Ici en Amé­rique Latine nous affron­tons un conflit per­ma­nent entre trois pro­jets, et ce conflit s´accentue même face à la crise.

Il y a un pre­mier pro­jet qui est la reco­lo­ni­sa­tion de notre conti­nent, défen­du par les États-Unis et qui trouve ses alliés dans quelques gou­ver­ne­ments comme le colom­bien, le chi­lien, et qui veulent nous impo­ser un ter­ri­toire pour que le Capi­tal débarque et s’ap­pro­prie nos res­sources natu­relles. Ils ne nous voient que comme pro­duc­teurs de mar­chan­dises, de matières pre­mières pour eux.

Il y a un deuxième pro­jet qui défend l’i­dée d’un espace d’in­té­gra­tion lati­no-amé­ri­cain mais qui reste sou­mis aux inté­rêts des bour­geoi­sies locales, pour qu’elles puissent déve­lop­per des pro­jets d’in­té­gra­tion, de trans­port, de libre com­merce. Elles ont leurs contra­dic­tions avec l’Em­pire mais elles ne nous aident pas à résoudre les pro­blèmes des pauvres.

L’ALBA se consti­tue comme le troi­sième pro­jet qui va au-delà d´un accord com­mer­cial entre gou­ver­ne­ments et États. C´est une pro­po­si­tion poli­tique qui a pour pers­pec­tive une inté­gra­tion popu­laire entre toutes les nations d´Amérique Latine, sans termes éco­no­miques, sans termes poli­tiques, pour faire face à l´impérialisme et aux trans­na­tio­nales. Et même au-delà des termes cultu­rels même, car nos peuples ont les mêmes expé­riences, les mêmes for­ma­tions socio-cultu­relles. Dès lors les mou­ve­ments sociaux les plus com­ba­tifs, en plus des gou­ver­ne­ments, appuient le pro­jet de l’AL­BA comme forme d´intégration popu­laire, comme une uni­té lati­no-amé­ri­caine qui peut accu­mu­ler des forces pour vaincre les entre­prises trans­na­tio­nales, le pro­jet de l´impérialisme et avan­cer vers le socialisme.

Le pro­blème est qu´avec cette crise inter­na­tio­nale nous vivons une contra­dic­tion fon­da­men­tale : le pou­voir éco­no­mique déter­mine le pou­voir poli­tique. Et le pou­voir éco­no­mique s´est déve­lop­pé, comme le capi­ta­lisme inter­na­tio­nal, sous le contrôle des banques et des entre­prises trans­na­tio­nales. Les gou­ver­ne­ments locaux, natio­naux n´ont pas la force de contrô­ler ce capi­tal qui fait ce qui lui plaît. Les gou­ver­ne­ments peuvent se réunir, pro­duire des beaux docu­ments comme ceux des Nations Unies, mais que se passe-t-il ? Les forces éco­no­miques qui dominent l´économie, qui dominent les pays, ne res­pectent pas ces accords internationaux.

Dès lors il n´est pos­sible d´affronter ce capi­tal que si les mou­ve­ments sociaux de tous les pays mani­festent, réus­sissent à créer une conscience dans la socié­té pour accu­mu­ler des forces et affron­ter ces entre­prises capi­ta­listes. Pour­vu que beau­coup des gou­ver­ne­ments qui se ren­dront à Rio puissent nous rejoindre et défendre les points de vue de leurs peuples, car les gou­ver­ne­ments seuls n’ont pas de force. La crise de l´Europe est là pour nous appor­ter des argu­ments quo­ti­diens sur com­ment les banques elles-mêmes nomment les gouvernants.

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Durant ton inter­ven­tion au Forum tu as men­tion­né l´importance des médias de com­mu­ni­ca­tion de masse dans la dif­fu­sion de l´idéologie domi­nante. Com­ment doivent agir les mou­ve­ments contre-hégé­mo­niques dans cette conjoncture ?

Au temps du Capi­ta­lisme indus­triel la bour­geoi­sie repro­dui­sait son idéo­lo­gie à tra­vers l´Église, les par­tis poli­tiques, et les écoles. Aujourd’­hui, dans cette étape du néo-libé­ra­lisme, du capi­tal finan­cier, du capi­ta­lisme glo­ba­li­sé, la forme qu´utilise la bour­geoi­sie – la classe domi­nante – pour repro­duire son idéo­lo­gie dans la socié­té est la télé­vi­sion et c´est pour­quoi elle la mono­po­lise dans tous nos pays. C´est pour­quoi en tant que mou­ve­ments sociaux nous menons tou­jours cette réflexion. Il faut dénon­cer la concen­tra­tion du pou­voir idéo­lo­gique que la bour­geoi­sie pos­sède dans les médias télé­vi­sés, et tant la gauche que les mou­ve­ments sociaux doivent s´approprier cet ins­tru­ment. En ce sens nous sommes heu­reux que se déve­loppent ici en Amé­rique Latine des expé­riences très impor­tantes comme Alba TV, comme Tele­Sur. Dans cer­tains de nos pays il y a des télé­vi­sions publiques qui assument un rôle pro­gres­siste. Tout cela est très impor­tant pour bri­ser le mono­pole que le capi­tal impose aux télé­vi­sions. Un grand abra­zo pour vous tous qui tra­vaillez dans ce pro­jet. En plus de nous aider à affron­ter le capi­tal, Alba TV nous aide à construire ce pro­jet auquel je me réfé­rais, celui d´une inté­gra­tion popu­laire entre nos peuples d´Amérique Latine.