Faux scoop chez Paris Match

Le sexe de l’Origine avait-il un visage? Dommage que la pose envisagée par le croquis de Match soit d’une niaiserie difficilement conciliable avec le style de Courbet

la_femme_au_perroquet.jpg

Le sexe de l’Origine avait-il un visage ?

Magni­fique scoop publié aujourd’hui dans l’hebdomadaire à sen­sa­tions Paris-Match : le céle­bris­sime tableau de Cour­bet, “L’Origine du Monde”, serait en réa­li­té une œuvre incom­plète. Après une longue enquête, un ama­teur d’art, acqué­reur en 2010 d’un por­trait ano­nyme, s’est per­sua­dé qu’il déte­nait la par­tie man­quante d’un tableau repré­sen­tant la maî­tresse du peintre, Joan­na Hif­fer­nan, dans une variante de la pose de “La femme au per­ro­quet” (1866, Metro­po­li­tan Museum of Art). Dans un style digne d’un roman poli­cier, Match aligne une impres­sion­nante liste de preuves : marque du mar­chand, signa­ture cachée dans l’oreille, trace hypo­thé­tique sur une cou­ver­ture du Han­ne­ton, concor­dance des pig­ments ou des trames exa­mi­nées aux rayons X, et par-des­sus tout, la confir­ma­tion par Jean-Jacques Fer­nier, ancien conser­va­teur du musée Cour­bet d’Ornans et auteur du cata­logue rai­son­né du peintre.

Dom­mage que le mou­ve­ment du buste, tour­né vers la gauche, ou celui du dra­pé paraissent incom­pa­tibles avec la posi­tion de la jeune femme du por­trait. Dom­mage que la pose envi­sa­gée par le cro­quis de Match soit d’une niai­se­rie dif­fi­ci­le­ment conci­liable avec le style de Cour­bet autant qu’avec le réa­lisme de “L’Origine…”. Rien de grave, le maga­zine publie­ra un autre article sur la contro­verse, qui fera encore une bonne vente.

André Gun­thert

Source de l’ar­ticle : culture visuelle

Jean-Jacques Fer­nier, ancien conser­va­teur du musée Cour­bet d’Ornans et auteur du cata­logue rai­son­né du peintre.


Après Cara­vage et Léo­nard, Courbet

7/2/13 — Faux scoop — Une nou­velle fois, une « redé­cou­verte » extra­or­di­naire d’une œuvre d’art fait l’événement et se pro­page comme une traî­née de poudre dans la presse qui, déci­dé­ment, ne retien­dra jamais la leçon. Le plus drôle est que les vraies trou­vailles, celle d’un sublime Bron­zi­no au Musée des Beaux-Arts de Nice, ou d’un Zur­barán, dans une petite église de Nor­man­die pour ne prendre que deux exemples récents, n’occasionnent presque jamais un tel ramdam.

Cette fois-ci, c’est Cour­bet qui s’y colle. Comme vous pour­rez le lire par­tout, Paris-Match publie une exclu­si­vi­té « mon­diale », ce qui est un tan­ti­net mes­quin : un tableau chi­né par un ama­teur 1400 euros repré­sen­te­rait la tête de la femme peinte dans L’Origine du Monde, qui serait une par­tie d’une grande toile décou­pée. Nous vous lais­sons lire les péri­pé­ties de cette « enquête » ici, ou . Et nous vous ren­voyons à l’article d’André Gun­thert sur son blog de L’Atelier des Icônes pour lire le pre­mier et l’un des rares, avec celui de Slate, à se mon­trer plus que dubitatif.

Le mon­tage ne fonc­tionne évi­dem­ment pas, et André Gun­thert l’explique clai­re­ment : « Dom­mage que le mou­ve­ment du buste, tour­né vers la gauche, ou celui du dra­pé paraissent incom­pa­tibles avec la posi­tion de la jeune femme du por­trait. Dom­mage que la pose envi­sa­gée par le cro­quis de Match soit d’une niai­se­rie dif­fi­ci­le­ment conci­liable avec le style de Cour­bet autant qu’avec le réa­lisme de “L’Origine…” ».

Oui, tout cela est dom­mage, comme il est dom­mage que les conser­va­teurs du Musée d’Orsay, sans doute téta­ni­sés par l’enjeu et qui savent bien qu’il s’agit d’un scoop fre­la­té, ne veuillent pas le dire fran­che­ment sous pré­texte qu’ils auraient « un devoir de réserve s’agissant d’œuvres en mains pri­vées [[Extrait d’une dépêche AFP.]] ». Cela ne les empêche pas — et c’est heu­reux — de pas­ser leur temps à publier ou à expo­ser des œuvres de col­lec­tions par­ti­cu­lières et on se demande ce que serait l’histoire de l’art s’ils appli­quaient réel­le­ment ce principe.

Et comme il est dom­mage qu’un expert effec­ti­ve­ment (pour une fois) recon­nu de l’artiste puisse faire preuve d’une telle légèreté.

On aura beau com­pa­rer « l’écartement des poils du pin­ceau, la lon­gueur des coups de brosse (sic) », tout cela ne fait pas une preuve, il faut d’abord regar­der. Cette tête de femme n’a, selon toute vrai­sem­blance, rien à voir avec L’Origine du Monde, ce qui n’empêche pas Paris-Match de lui accor­der aujourd’hui (sans condi­tion­nel) une valeur de 40 mil­lions d’euros… « En matière d’art, les théo­ries les plus fumeuses ne sont pas for­cé­ment les meilleures » lit-on dans leur article. On allait le dire.

Didier Ryk­ner, jeu­di 7 février 2013

Source de l’ar­ticle : la tri­bune de l’art


Fin de jour­née du jeu­di, quelques jour­naux ont rejoint le camp des sceptiques :

Le Point, “L’Origine du monde” aurait un visage, des experts scep­tiques

Le Figa­ro, Le visage de L’Origine du Monde : « De la fou­taise ! »

20minutes, Le visage de « L’Origine du monde » révé­lé ? « Pru­dence, car cela res­semble à de l’art spec­tacle pur et simple » 

Notes