Grèce : Lettre ouverte aux peuples d’Europe

Mikis Theodorakis : Résistez au totalitarisme des marchés qui menace de démanteler l’Europe en la transformant en Tiers-monde

Image_4-68.png Alors que la Grèce est pla­cée sous tutelle de la Troï­ka, que l’Etat réprime les mani­fes­ta­tions pour ras­su­rer les mar­chés et que l’Europe pour­suit les ren­floue­ments finan­ciers, le com­po­si­teur Mikis Theo­do­ra­kis a appe­lé les grecs à com­battre et mis en garde les peuples d’Europe qu’au rythme où vont les choses les banques ramè­ne­ront le fas­cisme sur le continent.

Inter­viewé lors d’une émis­sion poli­tique très popu­laire en Grèce, Mikis Theo­do­ra­kis, figure emblé­ma­tique de la résis­tance à la junte des colo­nels, a aver­ti que si la Grèce se sou­met aux exi­gences de ses soi-disant “par­te­naires euro­péens”, c’en sera “fini de nous en tant que peuple et que nation”. Il a accu­sé le gou­ver­ne­ment de n’être qu’une “four­mi” face à ses “par­te­naires”, alors que le peuple le voit comme “bru­tal et offen­sif”. Si cette poli­tique conti­nue, “nous ne pour­rons sur­vivre (…) la seule solu­tion est de se lever et de combattre”.

Résis­tant de la pre­mière heure contre l’occupation nazie et fas­ciste, com­bat­tant répu­bli­cain lors de la guerre civile et tor­tu­ré sous le régime des colo­nels, Mikis Théo­do­ra­kis a éga­le­ment adres­sé une lettre ouverte aux peuples d’Europe, publiée dans de nom­breux jour­naux grecs.

Extraits :

“Notre com­bat n’est pas seule­ment celui de la Grèce, il aspire à une Europe libre, indé­pen­dante et démo­cra­tique. Ne croyez pas vos gou­ver­ne­ments lorsqu’ils pré­tendent que votre argent sert à aider la Grèce. (…) Leurs pro­grammes de « sau­ve­tage de la Grèce » aident seule­ment les banques étran­gères, celles pré­ci­sé­ment qui, par l’intermédiaire des poli­ti­ciens et des gou­ver­ne­ments à leur solde, ont impo­sé le modèle poli­tique qui a mené à la crise actuelle. Il n’y pas d’autre solu­tion que de rem­pla­cer l’actuel modèle éco­no­mique euro­péen, conçu pour géné­rer des dettes, et reve­nir à une poli­tique de sti­mu­la­tion de la demande et du déve­lop­pe­ment, à un pro­tec­tion­nisme doté d’un contrôle dras­tique de la Finance. Si les Etats ne s’imposent pas sur les mar­chés, ces der­niers les englou­ti­ront, en même temps que la démo­cra­tie et tous les acquis de la civi­li­sa­tion euro­péenne. La démo­cra­tie est née à Athènes quand Solon a annu­lé les dettes des pauvres envers les riches. Il ne faut pas auto­ri­ser aujourd’hui les banques à détruire la démo­cra­tie euro­péenne, à extor­quer les sommes gigan­tesques qu’elles ont elles-mêmes géné­rées sous forme de dettes.

Nous ne vous deman­dons pas de sou­te­nir notre com­bat par soli­da­ri­té, ni parce que notre ter­ri­toire fut le ber­ceau de Pla­ton et Aris­tote, Péri­clès et Pro­ta­go­ras, des concepts de démo­cra­tie, de liber­té et d’Europe. (…)

Nous vous deman­dons de le faire dans votre propre inté­rêt. Si vous auto­ri­sez aujourd’hui le sacri­fice des socié­tés grecque, irlan­daise, por­tu­gaise et espa­gnole sur l’autel de la dette et des banques, ce sera bien­tôt votre tour. Vous ne pros­pé­re­rez pas au milieu des ruines des socié­tés euro­péennes. Nous avons tar­dé de notre côté, mais nous nous sommes réveillés. (…)

Résis­tez au tota­li­ta­risme des mar­chés qui menace de déman­te­ler l’Europe en la trans­for­mant en Tiers-monde, qui monte les peuples euro­péens les uns contre les autres, qui détruit notre conti­nent en sus­ci­tant le retour du fascisme.”

Mikis Theo­do­ra­kis. Le 28 octobre 2011.


Mikis Théo­do­ra­kis et Mano­lis Gle­zos donnent de la voix …

Tou­jours en pre­mière ligne pour la Liber­té et la sou­ve­rai­ne­té Le com­po­si­teur grec Mikis Theo­do­ra­kis et Mano­lis Gle­zos , le héros de la résis­tance qui arra­cha en 1941le dra­peau hit­lé­rien qui flot­tait sur l’Acropole durant l’occupation nazie, dénoncent le fas­cisme finan­cier qui menace et appellent les peuples d’Europe à s’unir pour en finir avec la domi­na­tion des mar­chés. Voi­ci un extrait de leur déclaration.

Une poi­gnée de banques inter­na­tio­nales, d’agences d’évaluation, de fonds d’investissement, une concen­tra­tion mon­diale du capi­tal finan­cier sans pré­cé­dent his­to­rique, reven­diquent le pou­voir en Europe et dans le monde et se pré­parent à abo­lir nos états et notre démo­cra­tie, uti­li­sant l’arme de la dette pour mettre en escla­vage la popu­la­tion euro­péenne, met­tant à la place des démo­cra­ties impar­faites que nous avons, la dic­ta­ture de l’argent et des banques, le pou­voir de l’empire tota­li­taire de la mon­dia­li­sa­tion, dont le centre poli­tique est en dehors de l’Europe conti­nen­tale, mal­gré la pré­sence de banques euro­péennes puis­santes au cœur de l’empire.

Ils ont com­men­cé par la Grèce, l’utilisant comme cobaye, pour se dépla­cer vers les autres pays de la péri­phé­rie euro­péenne, et pro­gres­si­ve­ment vers le centre. L’espoir de quelques pays euro­péens d’échapper éven­tuel­le­ment prouve que les lea­ders euro­péens font face à un nou­veau « fas­cisme finan­cier », ne fai­sant pas mieux quand ils étaient en face de la menace de Hit­ler dans l’entre-deux- guerres.

Ce n’est pas par acci­dent qu’une grosse par­tie des media contrô­lée par les banques s’attaque à la péri­phé­rie euro­péenne, en trai­tant ces pays de « cochons » et aus­si tour­nant leur cam­pagne média­tique mépri­sante, sadique, raciste avec les media qu’ils pos­sèdent, pas seule­ment contre les Grecs, mais aus­si contre l’héritage grec et la civi­li­sa­tion grecque antique. Ce choix montre les buts pro­fonds et inavoués de l’idéologie et des valeurs du capi­tal finan­cier, pro­mo­teur d’un capi­ta­lisme de destruction.

La ten­ta­tive des media alle­mands d’humilier des sym­boles tels que l’Acropole ou la Venus de Milo, monu­ments qui furent res­pec­tés même par les offi­ciers d’Hitler, n’est rien d’autre que l’expression d’un pro­fond mépris affi­ché par les ban­quiers qui contrôlent ces media, pas tel­le­ment contre les Grecs, mais sur­tout contre les idées de liber­té et de démo­cra­tie qui sont nées dans ce pays.

Le monstre finan­cier a pro­duit quatre décades d’exemption de taxe pour le capi­tal, toutes sortes de « libé­ra­li­sa­tions du mar­ché », une large déré­gu­la­tion, l’abolition de toutes les bar­rières aux flux finan­ciers et aux faci­li­tés, d’attaques constantes contre l’état, l’acquisition mas­sive des par­tis et des media, l’appropriation des sur­plus mon­diaux par une poi­gnée de banques vam­pires de Wall Street.

Main­te­nant, ce monstre, un véri­table « état der­rière les états » se révèle vou­loir la réa­li­sa­tion d’un « per­ma­nent coup d’état » (en fran­çais dans le texte) finan­cier et poli­tique, et cela pour plus de quatre décades.

En face de cette attaque, les forces poli­tiques de droite et la social-démo­cra­tie semblent com­pro­mises après des décades d’entrisme par le capi­ta­lisme finan­cier, dont les centres des plus impor­tants sont non-euro­péens. D’autre part, les syn­di­cats et les mou­ve­ments sociaux ne sont pas encore assez forts pour blo­quer cette attaque de manière déci­sive, comme ils l’ont fait à de nom­breuses reprises dans le pas­sé. Le nou­veau tota­li­ta­risme finan­cier cherche à tirer avan­tage de cette situa­tion de manière à impo­ser des condi­tions irré­ver­sibles à tra­vers l’Europe.

Il y a un urgent besoin d’une coor­di­na­tion d’action immé­diate et d’une coor­di­na­tion trans­fron­ta­lière par des intellectuels,des gens des arts et des lettres, de mou­ve­ments spon­ta­nés, de forces sociales et de per­son­na­li­tés qui com­prennent l’importance des enjeux ; nous avons besoin de créer un front de résis­tance puis­sant contre « l’empire tota­li­taire de la mon­dia­li­sa­tion » qui est en marche, avant qu’il soit trop tard. L’Europe ne peut sur­vivre que si elle met en avant une réponse unie contre les mar­chés, un défi plus impor­tant que les leurs, un nou­veau « New Deal » européen.

Nous devons stop­per immé­dia­te­ment l’attaque contre la Grèce et les autres pays de l’UE de la péri­phé­rie ; nous devons arrê­ter cette poli­tique irres­pon­sable et cri­mi­nelle d’austérité et de pri­va­ti­sa­tion, qui conduit direc­te­ment à une crise pire que celle de 1929. Les dettes publiques doivent être radi­ca­le­ment restruc­tu­rées dans l’Eurozone, par­ti­cu­liè­re­ment aux dépens des géants des banques pri­vées. Les banques doivent être recon­trô­lées et le finan­ce­ment de l’économie euro­péenne doit être sous contrôle social, natio­nale et européen.

Il n’est pas pos­sible de lais­ser les clés finan­cières de l’Europe dans les mains de banques comme Gold­man Sachs, JP Mor­gan, UBS, la Deutsche Bank, etc… Nous devons ban­nir les dérives finan­cières incon­trô­lées, qui sont le fer de lance du capi­ta­lisme finan­cier des­truc­teur et créer un véri­table déve­lop­pe­ment éco­no­mique, à la place des pro­fits spéculatifs.

L’architecture actuelle, basée sur le trai­té de Maas­tricht et les règles du WTO, a ins­tal­lé en Europe une machine à fabri­quer la dette. Nous avons besoin d’un chan­ge­ment radi­cal de tous les trai­tés, la sou­mis­sion de la BCE au contrôle poli­tique par la popu­la­tion euro­péenne, une « règle d’or » pour un mini­mum de niveau social, fis­cal et envi­ron­ne­men­tal en Europe.

Nous avons un urgent besoin d’un chan­ge­ment de modèle ; un retour de la sti­mu­la­tion de la crois­sance par la sti­mu­la­tion de la demande, via de nou­veaux pro­grammes d’investissements euro­péens, une nou­velle régle­men­ta­tion, la taxa­tion et le contrôle du capi­tal inter­na­tio­nal et des flux de faci­li­té, une nou­velle forme douce et rai­son­nable de pro­tec­tion­nisme dans une Europe indé­pen­dante qui serait le pro­ta­go­niste dans le com­bat pour une pla­nète mul­ti­po­laire, démo­cra­tique, éco­lo­gique et sociale.

Nous fai­sons appel aux forces et aux indi­vi­dus qui par­tagent ces idées à conver­ger dans un large front d’action euro­péen aus­si tôt que pos­sible, de pro­duire un pro­gramme de tran­si­tion euro­péen, de coor­don­ner notre action inter­na­tio­nale, de façon à mobi­li­ser les forces du mou­ve­ment popu­laire, de ren­ver­ser l’actuel équi­libre des forces et de vaincre les actuels lea­der­ships his­to­ri­que­ment irres­pon­sables de nos pays, de façon à sau­ver nos popu­la­tions et nos socié­tés avant qu’il ne soit trop tard pour l’Europe.

Mikis Thé­do­ra­kis et Mano­lis Glezos

Athènes, octobre 2011