La Burqa Pride et la criminalisation de l’opposition en Belgique

On n’a pas à faire à des personnes soucieuses de la liberté d’expression, mais bien à des Pharisiens du Temple ou à des Mc Carthystes des temps modernes

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Par Luk VERVAET

D’abord, il y a eu le 11 sep­tembre 2001 à New York. Et puis, si on en croit les médias, il y a eu le 7 février 2012 à Bruxelles. Le cha­hut, lors d’une confé­rence de Caro­line Fou­rest sur l’extrême droite, à l’Université Libre de Bruxelles, le 7 février 2012, désor­mais appe­lé le « Mar­di Noir », a été comme un véri­table 9/11 qui s’est abat­tu sur le Temple du libre exa­men. Ce 7 février, « l’obscurantisme isla­miste » a frap­pé – de manière paci­fique, mais pour autant pas moins ter­rible- contre « la liber­té d’expression des Lumières ». D’un côté, il y avait les agres­seurs : Sou­hail Chi­cha et un groupe d’islamistes radi­caux, « femmes en bur­qa et hommes cagou­lés ». De l’autre, il y avait les vic­times : Caro­line Fou­rest, la gauche-laïque-démo­cra­tique et les auto­ri­tés aca­dé­miques, qui se sont décla­rées « conster­nées » et « scan­da­li­sées » par cet « atten­tat contre la liber­té d’expression » com­mis au cœur même de l’Université de Bruxelles, temple du débat d’idées »[[Le Soir 8 février 2012 « L’ULB déna­tu­rée et mena­cée par des assas­sins de la démo­cra­tie », avec une vidéo sous le titre : Clash entre Caro­line Fou­rest et des inté­gristes.]] . Selon les médias, le cha­hut lors de l’action Bur­qa Pride était l’illustration de « la mar­mite de haine, qui bouillonne à l’ULB et qui répand un cli­mat de peur et, pra­ti­que­ment, inter­dit la liber­té de pen­sée et d’expression »[[http://www.levif.be/info/burqa-bla-bla-ou-sont-les-valeurs-de-l-ulb/article-4000041087412.htm]].

Sous la pres­sion média­tique, l’inévitable réac­tion poli­tique en chaîne ne s’est pas faite attendre : inter­pel­la­tions au par­le­ment par des dépu­tés « conster­nés », Richard Mil­ler (MR) et Jean-Claude Defos­sé (Éco­lo) . Armand De Decker (MR) déclare “se trou­ver sur la même lon­gueur d’ondes que Marc Uyt­ten­daele pour deman­der la mise à l’écart de M. Chi­chah aux noms des valeurs fon­da­men­tales de l’ULB”. Com­mu­ni­qués du PS, MR, FDF contre le « retour de l’obscurantisme et de la vio­lence et le com­mu­nau­ta­risme radi­cal ». Un ministre de l’Enseignement supé­rieur de la Fédé­ra­tion Wal­lo­nie-Bruxelles, Jean-Claude Mar­court (PS), se dit « atter­ré par ce qui s’est pas­sé »[[http://www.dhnet.be/regions/bruxelles/article/385628/le-flop-de-burqa-bla-bla.html]].

A toutes ces per­sonnes, lit­té­ra­le­ment atter­rées par la Bur­qa Pride, j’aimerais poser une ques­tion pour rame­ner un peu le sens de la mesure et de la rai­son : Est-ce que je me trompe si je dis que c’est bien eux, qui, pen­dant cette der­nière décen­nie, ont sou­te­nu et jus­ti­fié des atten­tats et des guerres, mais alors là des vraies guerres, qui ne finissent pas, avec des bombes réelles, contre les popu­la­tions de l’Irak, de l’Afghanistan, de la Soma­lie ou de la Libye ?

Les Pha­ri­siens du Temple sortent leur Mani­feste de l’exclusion.

Ce seront les Fou­res­tiens belges, les Elie Cogan, Chem­si Che­ref-Khan, Gisèle De Meur, Cathe­rine Fran­çois, Nadia Geerts, Marc Par­men­tier, Jami­la Si M’Hammed et Jea­nine Win­dey, qui se pré­sentent comme les fers de lance du com­bat pour la liber­té d’expression et de la démo­cra­tie. Ils lancent une péti­tion sous forme de « Lettre ouverte aux auto­ri­tés de notre uni­ver­si­té : à pro­pos du mar­di noir de l’ULB ». C’est un véri­table mani­feste pour l’exclusion, signé depuis par quelques mil­liers de per­sonnes et sui­vi par une tri­bune dans la Libre Bel­gique « Faut-il exclure Sou­hail Chi­cha », signée par une dizaine de membres du per­son­nel aca­dé­mique et admi­nis­tra­tif de l’ULB, repre­nant le même appel à l’exclusion. Cette péti­tion, qui se sai­sit de la dra­ma­ti­sa­tion média­tique de l’évènement, démontre à elle seule qu’on n’a pas à faire à des per­sonnes sou­cieuses de la liber­té d’expression, mais bien à des Pha­ri­siens du Temple ou à des Mc Car­thystes des temps modernes.

La lettre et la péti­tion avancent trois idées.

D’abord, les auteurs pré­tendent que cette action n’a pas d’égale dans l’histoire de l’ULB. Comme quelques anciens gau­chistes de ma géné­ra­tion risquent de leur répondre que des cha­chuts et des sabo­tages de confé­rences à l’ULB ont tou­jours exis­té et qu’il ne faut pas en faire un drame, ils ont pris la peine de leur répondre de manière pré­ven­tive. Il faut savoir que des actions de contes­ta­tion, tur­bu­lentes, même vio­lentes, mais en tout cas bien plus graves que celle de la Bur­ka pride, ont eu lieu à l’ULB de la part des groupes de gauche, maoïstes et autres mar­xistes-léni­nistes durant la période mai 68 et bien au-delà. Entre­temps, les par­ti­ci­pants à ces actions sont deve­nus de res­pec­tables pro­fes­seurs d’université, des jour­na­listes ou des chefs d’entreprise, qui pré­fèrent qu’on ne revienne pas trop leurs péchés de jeu­nesse. Sur ces actions, nos Pha­ri­siens du Temple écrivent, sans rire : « La quête tur­bu­lente des contes­ta­taires de mai 1968 se décli­nait en volon­té de par­ti­ci­pa­tion, de recherche de la véri­té, et de débat struc­tu­ré par la pra­tique du libre exa­men ». Et dire qu’il y a 4000 per­sonnes qui signent de telles contre-véri­tés ! Il suf­fit de regar­der ne fût-ce que quelques actions menées à cette époque pour voir de quel « débat struc­tu­ré » il s’agissait. Le 4 février 1960, le Cercle colo­nial de l’ULB sabote la tenue d’une confé­rence sur Patrice Lumum­ba. Le 12 février 1968, le diri­geant étu­diant de Leu­ven, Paul Goos­sens, est invi­té pour tenir une confé­rence à l’ULB sur le syn­di­ca­lisme étu­diant. La confé­rence est per­tur­bée et sabo­tée, la police doit inter­ve­nir contre les vio­lences qui éclatent au sein même de la confé­rence. Le 27 jan­vier 1967, audi­toire bon­dée de 1500 per­sonnes au Jan­son pour une confé­rence sur la guerre au Viet­nam. Les maoïstes s’opposent à la tenue de la confé­rence qui devait être don­née par mon­sieur Harold Kaplan, sous-secré­taire d’État adjoint aux Affaires Étran­gères amé­ri­caines, sur invi­ta­tion du Cercle du Libre Exa­men. Dra­peaux des ter­ro­ristes du Viet­cong dans la salle, la tenue de la confé­rence est ren­due impos­sible. Le 17 mai 1968, 500 étu­diants enva­hissent la séance inau­gu­rale des Jour­nées médi­cales et la rendent impossible.

Est-il inima­gi­nable que le cha­hut et la confron­ta­tion aux uni­ver­si­tés pen­dant la guerre au Viet­nam contre le ter­ro­risme com­mu­niste du Viet­cong puissent aujourd’hui être rem­pla­cés par l’opposition à la guerre mon­diale contre le ter­ro­risme isla­miste ? Que les actions de cha­hut et autres ont tou­jours fait plei­ne­ment par­tie du champ de la liber­té d’expression ? Que ni la gauche, qu’elle soit radi­cale ou molle, ni la droite n’ont jamais renon­cé à ces méthodes de contes­ta­tion ? En 2009, un com­mu­ni­qué du Cercle des Etu­diants libé­raux se plai­gnait des menaces de la gauche. Le cercle libé­ral dénon­çait qu’un groupe d’étudiants avait déjà per­tur­bé le Congrès des libé­raux euro­péens à Tour et Taxis. Ensuite, suite à des « menaces », le cercle avait dû annu­ler une de leurs confé­rences « le MR sur le grill », avec comme invi­té Armand Dede­cker et la dépu­tée Fran­çoise Ber­tiaux. Ou pre­nons la déci­sion d’Arcélor Mit­tal en février 2012 de renon­cer à sa par­ti­ci­pa­tion au Job­day Sciences poli­tiques, sociales et com­mu­ni­ca­tion, qui devait se dérou­ler sur le cam­pus de l’ULB, suite à des « menaces » des Jeunes du FGTB. On peut se deman­der : où était la guillo­tine après ces évè­ne­ments ? Où l’hystérie média­tique ? Ou s’agit-il de faire payer à la Bur­qa Pride tout ce qui n’a pas été pour­sui­vi jusqu’à présent ?

Ensuite, de manière théâ­trale, qua­si pathé­tique, les auteurs de la péti­tion vont se pré­sen­ter comme les des­cen­dants directs et les héri­tiers natu­rels des fon­da­teurs de « leur uni­ver­si­té », il y a 200 ans. C’est dans ce cadre his­to­rique d’une his­toire vieille de 200 ans qu’ils vont déve­lop­per la dimen­sion his­to­rique de la Bur­qa pride. Pour être ridi­cule, c’est ridi­cule. Gom­mons quelques guerres mon­diales : c’est bien la Bur­ka Pride du 7 février 2012 qui consti­tue « l’attentat » his­to­rique dans l’histoire de l’ULB. Lisez mot par mot et jugez par vous-mêmes : « Les évè­ne­ments qui ont secoué l’amphithéâtre K ont fait de ce 7 février 2012, le mar­di noir de l’histoire de notre mai­son. Ils sont désor­mais ins­crits dans notre his­toire par l’atteinte pro­fonde qu’ils ont por­tée à nos valeurs, nos idéaux, nos prin­cipes, fon­de­ments mêmes de la créa­tion de l’Université Libre de Bruxelles en 1834… Ce sont les fon­de­ments même de l’existence de l’ULB qui ont été atta­qués… Il est urgent d’être intran­si­geant sur ce que nous consi­dé­rons comme le sens même de notre vie : l‘expression libre mais argu­men­tée de l’esprit cri­tique, l’égalité des genres, la démo­cra­tie, le res­pect de l’Autre… ». Pour ces héri­tiers de 1834, il y a aus­si une cer­taine modes­tie et pru­dence qui s’impose. Il n’est pas inutile de rap­pe­ler à ces uni­ver­si­taires que les fon­de­ments de l’ULB à l’époque n’étaient pas plus que l’expression de la volon­té de la bour­geoi­sie urbaine et indus­trielle (libé­rale) de for­mer ses propres élites à sa propre université.

Mais puis viennent les choses sérieuses : la répres­sion et l’exclusion. La Bur­qa Pride, c’est le moment d’exiger l’exclusion de tous les oppo­sants pré­sents à la Bur­qa Pride, et non seule­ment du débat poli­tique, mais car­ré­ment de leur emploi.

« Nous avons dépas­sé le stade des menaces, déjà dénon­cées, puisque le pas­sage à l’acte a bien eu lieu… La tolé­rance a ses limites. Elles étaient atteintes depuis long­temps et ont été dépas­sées ce 7 février 2012… Nous avons plu­sieurs fois regret­té la rela­tive timi­di­té des réac­tions des auto­ri­tés de l’université. Ce sen­ti­ment a atteint un paroxysme mar­di soir… Nous vous exhor­tons donc à sif­fler la fin de cette mau­vaise récréa­tion. Les sanc­tions ne peuvent être dif­fé­rées. Non seule­ment l’instigateur qui n’a sim­ple­ment pas sa place dans l’université mais toutes les per­sonnes ayant été actives mar­di, et ceux dont l’agitation est connue, doivent être visés par les auto­ri­tés com­pé­tentes. Seule cette atti­tude per­met­tra à la lumière de briller à nou­veau dans les ténèbres. »

Sur le blog de Madame Fou­rest et de ses amis, on peut trou­ver les noms des cou­pables qui doivent être exclus par « les auto­ri­tés com­pé­tentes ». Par­mi eux, les Indi­gènes de la Répu­blique ou du Royaume ou les sym­pa­thi­sants de Tariq Rama­dan : « Les réseaux indi­ge­no-rama­da­no-dieu­do­nesques de Sou­hail Chi­chah et de Nor­dine Sai­di (si extrême qu’il jus­ti­fie les atten­tats-sui­cide et a réus­si à se faire exclure du MRAX pour racisme et pro-isla­misme !), par­mi les prin­ci­paux meneurs de ce sabo­tage ». Sur le si extrême Nor­dine Saï­di, madame Fou­rest en rajoute une couche en disant qu’il s’agit de quelqu’un qui se réjouit des atten­tats sui­cide : « Yous­sef al Qaradha­wi… est l’auteur d’une fat­wa auto­ri­sant le Hamas à mener des atten­tats-sui­cide (mon­sieur Nor­dine Saï­di va être content). » La résis­tance pales­ti­nienne a depuis long­temps renon­cé à cette forme de lutte du déses­poir et Nor­dine Sai­di ne s’est jamais expri­mé comme quelqu’un qui trouve son bon­heur dans ce genre d’opérations. Mais cela n’a aucune impor­tance : il s’agit d’amener des muni­tions pour prou­ver que la Bur­ka Pride était faite par des cri­mi­nels et des terroristes.

Celui qui observe ce qui est en train de se pas­ser à par­tir d’un point de vue « libre-exa­mi­niste », conclu­ra qu’on est loin d’une dis­cus­sion sur la Bur­qa Pride.

Si on ana­lyse les choses objec­ti­ve­ment, la Bur­qa Pride n’était pas un cri pour moins de liber­té d’expression ou pour inter­dire. C’était un cri pour plus de démo­cra­tie, un cri contre la stig­ma­ti­sa­tion et la dis­cri­mi­na­tion des mino­ri­tés et pour tous ceux qui sont exclus par les lois et les inter­dits comme les femmes qui portent le voile ou la bur­qa. La volon­té d’interdire et de limi­ter la liber­té d’expression se trouve dans le camp adverse, et c’est pré­ci­sé­ment pour cela qu’ils ont été chahutés.

De la part de ce camp-là, on est au cœur d’une cam­pagne pour ins­tau­rer une inter­dic­tion de parole et un « beruf­sver­bot » pour ceux qu’ils nomment les « isla­mo-gau­chistes ». « L’instigateur n’a pas sa place à l’université », écrit Nadia Geerts, co-auteure de la lettre aux auto­ri­tés de l’ULB. Elle, qui aime­rait bien être la Fou­rest belge, a dit la même chose sur moi quand il s’agissait de m’exclure en tant qu’enseignant dans les pri­sons. Etant exclu en août 2009, pour « des rai­sons de sécu­ri­té (secrètes) », per­sonne, ni mon employeur, ni mes avo­cats, ni moi-même n’ont eu le droit de connaître les rai­sons de cette exclu­sion. L’indignation, aus­si dans les médias, était géné­rale. C’est Nadia Geerts qui s’est adres­sée le 9 sep­tembre 2009 au jour­nal Le Soir pour jus­ti­fier mon exclu­sion au nom de mes opi­nions poli­tiques. Sa lettre inti­tu­lée « Luc Ver­vaet, ce citoyen enga­gé » se trouve tou­jours sur son blog. En juin 2011, le Conseil d’Etat a annu­lé la mesure d’exclusion, en la jugeant illégale.

Un autre Fou­res­tien, le jour­na­liste de gauche Claude Deme­lenne, qui s’est fait une nou­velle vie en tant que spé­cia­liste de l’infiltration isla­miste dans notre socié­té, était invi­té à l’émission de Contro­verse (RTN-TVi) consa­crée à la Bur­qa Pride. Deme­lenne appe­lait déjà en 2009 à, je cite, « la construc­tion d’un cor­don sani­taire » autour du par­ti Ega­li­té. Selon Deme­lenne, Ega­li­té serait un par­ti ira­nien en Bel­gique. Accu­sa­tion absurde et fan­tai­siste pour laquelle il n’avançait aucune preuve. A la fin de sa tri­bune dans La Libre Bel­gique du 24 avril 2009, il écrit : « L’activisme, en Bel­gique, d’un “par­ti ira­nien” pose la ques­tion du laxisme des démo­crates. Faut-il res­ter les bras croi­sés quand des isla­mistes et leurs alliés tentent d’endoctriner la popu­la­tion d’origine immi­grée ? Faut-il tolé­rer qu’Abou Jah­jah, oppo­sé à l’intégration des Ara­bo-musul­mans, orga­nise tran­quille­ment la pub de mou­ve­ments ter­ro­ristes dans notre pays ? Ne fau­drait-il pas appli­quer, à leur égard, le cor­don sani­taire qui isole l’extrême droite ? » C’est le même scé­na­rio qu’on voit à l’œuvre aujourd’hui autour de la Bur­ka Pride : des ques­tions sous forme de réponse, qui furent un appel pur et simple à l’exclusion du débat publique du par­ti Ega­li­té et d’Abou Jah­jah tout en cri­ti­quant « le laxisme des démo­crates ». Deme­lenne va aller plus loin en sep­tembre 2009 quand il s’allie avec le séna­teur MR Des­texhe. Ils publient ensemble un livre sous le titre « Lettre aux pro­gres­sistes qui flirtent avec l’islam réac » avec tou­jours le même appel à l’exclusion. Le livre est intro­duit par Guy Haar­scher, qui signe : phi­lo­sophe et pro­fes­seur à l’ULB. Le séna­teur Des­texhe ne se limite pas à des mots, mais il va pas­ser à l’acte. Dans un com­mu­ni­qué du 10 mars 2010, sous le titre « Eve­lyne Huy­te­broeck offre une tri­bune sur son site offi­ciel à un per­son­nage proche de l’islam radi­cal », il exige – et obtient ! — que la Ministre bruxel­loise Huy­te­broeck (Eco­lo), res­pon­sable de l’aide à la jeu­nesse, l’aide aux déte­nus et de la pau­vre­té, enlève mon article « Trans­for­mons les pri­sons en écoles » de son site. La ministre avait pris mon article du site de la Ligue des Droits de l’Homme.
« Un atten­tat ter­ro­riste sans armes »

Per­sonne ne nie à Madame Fou­rest le droit d’écrire, de crier ou d’hurler qu’elle n’est pas d’accord avec l’action Bur­ka Pride, qu’elle ne se lais­se­ra pas faire et qu’elle va (encore) don­ner des coups de pied à toute per­sonne qui la contre­dit. Où elle et ses amis dépassent les limites, c’est quand ils se pré­sentent comme vic­times d’une action cri­mi­nelle, voire vic­times d’un atten­tat ter­ro­riste. Ain­si les Fou­res­tiens écrivent dans leur lettre que les auto­ri­tés aca­dé­miques doivent faire com­prendre : « qu’on ne peut agir en dehors des règles fon­da­trices de notre socié­té, qui réprouve tout acte de nature ter­ro­riste, même sans armes… ».

Dans le cli­mat actuel, le mot ter­ro­risme est le mot magique et ter­rible par lequel on peut jus­ti­fier lit­té­ra­le­ment toutes les mesures d’exclusion, voire d’incarcération. Cette accu­sa­tion est très grave et très lourde de sens. Madame Fou­rest et les Fou­res­tiens ne font pas allu­sion au Nor­vé­gien Brei­vik. En asso­ciant cette action au ter­ro­risme, ils visent à la col­ler au 11 sep­tembre, à Ben Laden et Al Qai­da, à un atten­tat-sui­cide contre des inno­cents sur un mar­ché ou dans un bus. Il s’agit de for­cer la main aux auto­ri­tés et de mettre la machine de répres­sion en marche contre « les ter­ro­ristes isla­mistes, qui se sont infil­trés dans nos uni­ver­si­tés ». Qu’ils uti­lisent le mot ter­ro­risme montre aus­si clai­re­ment qu’ils ne se situent pas dans un camp neutre, celui du « libre exa­men », mais bien dans le camp de la guerre anti­ter­ro­riste amé­ri­caine et euro­péenne. Cette guerre qui dure depuis dix ans est une période qu’on peut déjà clas­ser par­mi les périodes les plus noires au niveau des droits de l’homme et de la liber­té d’expression dans le monde depuis la deuxième guerre mon­diale. C’est au nom de cette guerre contre le ter­ro­risme qu’on a connu et qu’on connait tou­jours les camps de Guan­ta­na­mo, de Bagram ou d’Abu Ghraib, et qu’on a jus­ti­fié les enlè­ve­ments, les extra­di­tions illé­gales, les extra-judi­cial killings, les tor­tures. C’est au nom de cette guerre que les popu­la­tions d’origine immi­grée sont trai­tées comme un che­val de Troie et comme la cin­quième colonne de l’ennemi dans nos pays. C’est au nom de cette guerre qu’on connaît toutes les mesures et lois contre les com­mu­nau­tés ara­bo-musul­manes en Europe et le retour du beruf­sver­bot pour les soi-disant sym­pa­thi­sants des terroristes.
Sou­hail Chi­cha, l’ami de Rober­to d’Orazio et du PTB…

Dans l’opération de cri­mi­na­li­sa­tion de Sou­hail Chi­cha, il n’est pas seule­ment pré­sen­té comme l’ami de Nor­dine Sai­di, porte-parole d’Egalité. Pour aggra­ver son cas, la presse ajoute qu’ « autre­fois il était aus­si ami de Rober­to D’Orazio et du PTB »[[http://www.levif.be/info/burqa-bla-bla-ou-sont-les-valeurs-de-l-ulb/article-4000041087412.htm]] Ce lien entre Sou­hail, D’Orazio et le PTB est inté­res­sant parce qu’il s’agit de l’expérience la plus inté­res­sante au niveau de la for­ma­tion d’un front unique des mino­ri­tés en Bel­gique des der­nières vingt années. Et de sa dia­bo­li­sa­tion et de sa démo­li­tion par la suite. Dans la période 1995 à 2005, un front se construi­sait entre dif­fé­rentes forces. Il y avait la poi­gnée de parents, aban­don­nés et mal­trai­tés par la police et la jus­tice, d’enfants dis­pa­rus et assas­si­nés, avec Tin­ny Mast et Carine Rus­so à leur tête. Il y avait les ouvriers de Cla­becq en lutte contre la fer­me­ture de leur usine sous la direc­tion de Rober­to D’Orazio et de Sil­vio Mar­ra. Des jeunes issus de l’immigration d’Anvers et de Malines, sous la direc­tion de la Ligue arabe euro­péenne de Dyab Abou Jah­jah . Les mar­xistes-léni­nistes du PTB sous la direc­tion de Nadine Rosa-Ros­so. Des trots­kistes comme Chris Den Hond. Les licen­ciés de la Sabe­na avec leur délé­guée syn­di­cale Maria Vin­de­vo­ghel. Il y avait les indé­pen­dants, oppo­sants à la guerre en Irak, acteurs et artistes. Les che­mins de toutes ses per­sonnes se sont croi­sés et un front uni redou­table était en marche. Les parents des enfants dis­pa­rus se trou­vaient à la place d’honneur sur le podium de la Marche pour l’emploi des 70.000 à Cla­becq. Des listes élec­to­rales uni­taires comme Debout, de D’Orazio, ou de Resist de l’AEL et du PTB ont vu le jour. D’Orazio, Dyab et le PTB se sont joints dans une alliance com­mune « Stop USA » contre la guerre en Irak.

La dia­bo­li­sa­tion et la cri­mi­na­li­sa­tion des dif­fé­rentes par­ties de ce front ne s’est pas fait attendre. Comme les musul­mans sont pré­sen­tés comme être tous liés à Ben Laden, D’Orazio et sa délé­ga­tion étaient pré­sen­tés comme fai­sant par­tie de la maf­fia ita­lienne. La délé­ga­tion de l’usine sidé­rur­gique de Cla­becq consti­tuait une alter­na­tive démo­cra­tique unique dans notre pays, qui s’occupait aus­si bien du bien-être maté­riel des ouvriers, que de la lutte anti­ra­ciste et anti-guerre. Pour ses posi­tions, la délé­ga­tion de Cla­becq a été exclue du syn­di­cat. Les délé­gués ont ensuite été exclus de leur emploi et treize par­mi eux, dont D’Orazio et Mar­ra, ont été pour­sui­vis devant la jus­tice pen­dant quatre ans, de 1998 à 2002. Les treize étaient incul­pés comme « ins­ti­ga­teurs » pour des faits de grève : 43 chefs d’inculpation allant de vol à main armée jusqu’à rébel­lion en groupe avec pré­mé­di­ta­tion et ten­ta­tive de mise à feu d’un com­mis­sa­riat… Ain­si, dans une com­bi­nai­son de cri­mi­na­li­sa­tion d’une grève, d’une opé­ra­tion d’isolement de sa délé­ga­tion, d’absorption de toute l’énergie et de l’argent de celle-ci dans une cam­pagne inter­mi­nable devant le tri­bu­nal (où ils ont fina­le­ment gagné et ont été blan­chis de toute accu­sa­tion), le résul­tat a été la liqui­da­tion d’une expé­rience unique dans ce pays.

Quant au PTB, il va échap­per à la vague de répres­sion qui s’abat en retour­nant sa veste. Le PTB exclut sa secré­taire-géné­rale et une dizaine de cadres, déclare ne plus rien à voir avec tout ce qui est taxé de radi­cal ou d’extrême, ni avec le maoïsme ou le sta­li­nisme. Le PTB choi­sit le che­min de se faire accep­ter à la table des grands. Depuis, fini la dia­bo­li­sa­tion. Depuis, les louanges dans les médias pour le tour­nant his­to­rique de ce par­ti ne manquent plus. Ce ne sera pas le cas pour le cha­ris­ma­tique Dyab Abou Jah­jah, diri­geant de la Ligue arabe euro­péenne. Sous sa direc­tion, les jeunes des quar­tiers popu­laires à Anvers et Meche­len com­men­çaient à s’organiser de manière indé­pen­dante pour reven­di­quer leurs droits et déve­lop­per une soli­da­ri­té avec les luttes de libé­ra­tion dans les pays du Sud, avant tout la Pales­tine. C’était une expé­rience nou­velle, qui met­tait en avant une jeune géné­ra­tion qui se réveillait poli­ti­que­ment. Cette géné­ra­tion issue de l’immigration reven­di­quait la double appar­te­nance : celle de faire par­tie des peuples arabes qui luttent, et celle des jeunes nés et dis­cri­mi­nés sur le conti­nent européen.

Tout comme D’Orazio, Dyab n’échappera pas à la dia­bo­li­sa­tion poli­tique, ni à des pour­suites judi­ciaires pour être un « ins­ti­ga­teur ». Le 21 décembre 2007, Dyab Abou Jah­jah et Ahmed Azzuz seront condam­nés à un an de pri­son pour leur rôle dans la mani­fes­ta­tion des jeunes contre un meurtre raciste en 2002. A cette mani­fes­ta­tion, ils auraient “exci­té les jeunes” et ils n’auraient pas “uti­li­sé leur influence pour cal­mer les jeunes” ! Mais tout comme pour D’Orazio et Mar­ra, la Cour d’appel du 20 octobre 2008 va blan­chir Dyab Abou Jah­jah et Ahmed Azzuz de toute accu­sa­tion. La Cour va envoyer le dos­sier de 4000 pages contre les deux accu­sés à la poubelle.

Mais entre­temps le mal est fait : suite à leur appar­te­nance à l’AEL, pré­sen­tée comme orga­ni­sa­tion cri­mi­nelle, des dizaines de jeunes connaî­tront des pro­blèmes pour trou­ver un emploi, dans leur famille ; pour cer­tains, leur compte a été blo­qué. Tout comme pour la délé­ga­tion de Cla­becq, le tra­vail de l’organisation va être para­ly­sé, entre autres par un pro­cès qui a duré six ans.

Je ne peux qu’encourager les jeunes d’aujourd’hui de lire ce qui est paru sur ces deux expé­riences et d’en pui­ser la déter­mi­na­tion pour ne pas per­mettre que ces scé­na­rios se répètent pour Sou­hail Chi­cha et Ega­li­té.

Source de l’ar­ticle : éga­li­té