La lettre ouverte à Jane Birkin avant son concert en Israël

Nous n’arrivons pas à nous imaginer que Jane accepterait de se produire à quelques encablures des prisons où croupissent des milliers de prisonniers politiques palestiniens

mar­di 27 décembre 2011

Chère Jane Birkin,

Nous disons ‘Chère’. Non par fami­lia­ri­té – nous ne nous le per­met­trions pas. Mais comme une marque de proxi­mi­té. Oui, la proxi­mi­té entre vous et nous, c’est de sen­tir que nous sommes ani­més par le même sou­ci de voir se réa­li­ser cet axiome de base : nous, humains, sommes des êtres égaux. Femmes, Hommes, Fran­çais, Pales­ti­niens ou Maro­cains, de quelle que reli­gion ou convic­tion, nous pen­sons que toutes et tous méritent que leur digni­té soit res­pec­tée – sans distinction.

Proxi­mi­té, parce que vous êtes une artiste qui n’a pas pla­cé ses talents dans un ‘au-delà de la poli­tique’ tout à fait fic­tif : vous n’iriez pas vous pro­duire dans des cir­cons­tances où, clai­re­ment, ‘on’ arrête, ‘on’ tor­ture, ‘on’ occupe, ‘on’ pille,…

La situa­tion des oppri­més, des bafoués, ne vous est pas indifférente.

Image_4-77.png Ain­si, par exemple, vous avez fait cam­pagne avec Amnes­ty Inter­na­tio­nal pour Aung San Suu Kyi. Et aujourd’hui, le ciel pour­rait com­men­cer à se rou­vrir au-des­sus de la Bir­ma­nie. Vous y aurez contribué.

Pour notre part, nous avons répon­du à l’appel de la socié­té civile pales­ti­nienne qui a opté pour lut­ter par tous les moyens paci­fiques pos­sibles pour que cesse l’Apartheid contre les Pales­ti­niens qui sont citoyens d’Israël. Pour que soit recon­nu le droit des Pales­ti­niens chas­sés de leurs mai­sons en 1948 à choi­sir de reve­nir et à recou­vrer leurs biens Pour que cesse la colo­ni­sa­tion et l’entreprise d’épuration eth­nique menée tant en Cis­jor­da­nie qu’à Gaza.

Comme pour le régime d’Apartheid d’Afrique du Sud, cet appel tient pour acquis qu’une cam­pagne mon­diale de Boy­cott, de Dés­in­ves­tis­se­ment et de Sanc­tions inter­na­tio­nales seront à même de venir à bout de l’injustice.

Nous sommes sûrs que, vous, fille de pas­seur de résis­tants à l’époque du nazisme, vous n’auriez jamais accep­té de vous pro­duire à Pre­to­ria, au temps de l’Apartheid.

Oui. Apar­theid en Pales­tine aus­si. Parce qu’il ne s’agit pas du racisme ordi­naire ou de dis­cri­mi­na­tions cir­cons­tan­cielles, comme il y en a mal­heu­reu­se­ment trop, en Europe par exemple. Il s’agit de racisme « légal » – ins­ti­tu­tion­na­li­sé. Pour ne citer qu’un exemple. De par la loi, un(e) Palestinien(ne) citoyen(ne) d’Israël n’a pas le droit d’épouser un(e) Pales­ti­nienne qui habite la Cis­jor­da­nie, ou Gaza. Ou encore : de par la loi, l’accès – pour les Pales­ti­niens – à la pro­prié­té fon­cière et à la construc­tion d’une mai­son se heurte à des obs­tacles légaux insur­mon­tables. Alors que n’importe quelle per­sonne, répu­tée juive, à tra­vers le monde, béné­fi­cie – de par la loi – de la citoyen­ne­té de l’Etat d’Israël et de tous les droits qui y sont atta­chés – en par­ti­cu­lier d’avoir auto­ma­ti­que­ment une mai­son, et éven­tuel­le­ment de dis­po­ser à la demande de l’espace pour en construire une. Les Pales­ti­niens ont moins de droits dans leur propre pays que n’importe quel migrant débar­quant de Rus­sie, de France ou des Etats-Unis.

Cela à soit seul – la dis­cri­mi­na­tion eth­nique léga­li­sée – serait une rai­son suf­fi­sante pour répondre à l’appel au boy­cott cultu­rel et artis­tique qui fait l’unanimité des Palestiniens.

Pas plus tard que ce Jeu­di, Vic­tor Batar­seh, Maire de Beth­le­hem, à l’occasion de son mes­sage de Noël, par­lant de l’incessant pro­grès de la colo­ni­sa­tion en Cis­jor­da­nie, disait :
“They act as if this is their land and we are the foreigners.”

Et son appel est : “the inter­na­tio­nal com­mu­ni­ty should boy­cot­tIs­rae­lun­til it accepts Pales­ti­nian independence”.

Nous n’arrivons pas à nous ima­gi­ner que la Jane qui a chan­té pour Aung San Suu Kyi accep­te­rait de se pro­duire à quelques enca­blures (c’est petit la Pales­tine !) des pri­sons où crou­pissent des mil­liers de pri­son­niers poli­tiques pales­ti­niens (y com­pris des femmes et des enfants) dont cer­tains sont inter­nés sur simple déci­sion admi­nis­tra­tive indé­fi­ni­ment renouvelable.

L’opinion publique d’Israël se fait d’elle-même une très haute opi­nion quant à la culture et au sens des arts. Mal­heu­reu­se­ment, cette opi­nion – qui est assez par­ta­gée et entre­te­nue en Europe – joue comme un écran qui couvre une réa­li­té beau­coup moins relui­sante. Par­ti­ci­per au spec­tacle du salon peut contri­buer à mas­quer ce qui se passe dans la cui­sine et dans l’arrière-cour…

Nous ne pen­sons pas que la fille du pas­seur de résis­tants contre le nazisme pour­rait igno­rer qu’elle se pro­duit devant un public qui a sou­te­nu à 94% la récente aven­ture mili­taire par­ti­cu­liè­re­ment meur­trière contre Gaza (près de 1400 morts et 5000 bles­sés, civils pour une grande part) – au sujet duquel un rap­port de l’ONU uti­lise une litote en par­lant d’ « actes pou­vant consti­tuer des crimes de guerre et peut-être, dans cer­taines cir­cons­tances, des crimes contre l’humanité ». Refu­ser de se pro­duire pour­rait aus­si contri­buer à ce que les gens de conscience se posent des ques­tions sur ce qu’ils consi­dèrent comme leur « bon droit » : occu­per, colo­ni­ser, dis­cri­mi­ner. C’est aus­si cela votre pou­voir en tant qu’artiste.

En vous deman­dant de ne pas être indif­fé­rente à l’appel des Pales­ti­niens pour le boy­cott cultu­rel et de renon­cer à vous pro­duire en Israël, nous sommes sûrs que nous ne serons pas déçus.

C’est en tous cas la Jane Bir­kin de notre ima­gi­naire. Nous atten­dons avec impa­tience de savoir ce que la Jane Bir­kin réelle déci­de­ra finalement.

Rece­vez nos sin­cères salutations.

BDS Maroc