Le contexte international des indignations mondiales

EN LIEN :

Le rem­bour­se­ment de la dette publique consti­tue à la fois le pré­texte pour impo­ser l’austérité et un puis­sant méca­nisme de trans­fert des reve­nus de ceux d’en bas vers ceux d’en haut. Le com­bat pour bri­ser ce cercle infer­nal est vital.

par Éric Tous­saint, doc­teur en sciences poli­tiques, pré­sident du CADTM Bel­gique, membre du Conseil inter­na­tio­nal du Forum social mon­dial depuis sa créa­tion et du Conseil scien­ti­fique d’ATTAC France. A diri­gé avec Damien Millet le livre col­lec­tif La Dette ou la Vie, Aden-CADTM, 2011. A par­ti­ci­pé au livre d’ATTAC : Le piège de la dette publique. Com­ment s’en sor­tir, édi­tion Les liens qui libèrent, Paris, 2011.

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Brève rétros­pec­tive des mou­ve­ments qui ont pré­cé­dé le prin­temps arabe, les Indi­gné-ées et Occu­py Wall Street

Au cours de l’année 2011, le mou­ve­ment social et poli­tique rebelle a refait irrup­tion dans les rues et sur les places publiques aux quatre coins de la pla­nète. Il a pris une nou­velle forme et de nou­velles appel­la­tions : le prin­temps arabe, les indi­gnés, le mou­ve­ment Occu­py Wall Street (OWS)… Les prin­ci­pales régions concer­nées sont l’Afrique du Nor­det le Moyen Orient (y com­pris Israël), l’Europe et l’Amérique du Nord. Certes, tous les pays de ces régions n’ont pas été tou­chés par cette vague de mobi­li­sa­tions et les nou­velles formes d’organisation, mais tout le monde en a enten­du par­ler. Dans les pays où il n’a pas pris une forme mas­sive, des mino­ri­tés agis­santes essaient de lui faire prendre racine avec des résul­tats divers [En Afrique au sud du Saha­ra, ont eu lieu des mobi­li­sa­tions étu­diantes au Bur­ki­na Faso en mars – avril 2011, au Togo en mai — juin 2011 et au Séné­gal un mou­ve­ment inti­tu­lé Y’en a marre contre l’autoritarisme du pré­sident A. Wade en juin 2011. Elles se réfé­raient expli­ci­te­ment au prin­temps arabe en cours. Au Séné­gal, le Forum Social Mon­dial réuni en février 2011, dix ans après sa créa­tion, a connu un suc­cès impor­tant sous le signe du sou­lè­ve­ment en cours en Tuni­sie et en Egypte (voir Oli­vier Bon­fond FSM-Dakar-2011-Succes-popu­laire-et ).]]. Dans l’hémisphère sud de la pla­nète, en 2011, seul le Chi­li a vécu un mou­ve­ment proche de celui des Indi­gnés [[Voir Franck Gau­di­chaud, « [Quand le néo­li­bé­ra­lisme triom­phant se fis­sure. Chi­li : réflexions sur le réveil des mou­ve­ments sociaux et le « Mai chilien »]].

Afin de résu­mer à grands traits l’action de ce qu’on a appe­lé le mou­ve­ment alter­mon­dia­liste sur le plan inter­na­tio­nal au cours des deux der­nières décen­nies, on peut dis­tin­guer dif­fé­rentes phases en liai­son avec l’évolution de la situa­tion mondiale.

Entre 1999 et 2005, face à un appro­fon­dis­se­ment de l’offensive néo­li­bé­rale dans les pays du Nord, ont lieu de grandes mobi­li­sa­tions contre l’OMC (Seat­tle aux Etats-Unis en novembre 1999), contre la Banque mon­diale, le FMI et le G8 (Washing­ton en avril 2000, Prague en sep­tembre 2000, Gênes en juillet 2001). C’est dans ce cadre que naît le Forum social mon­dial en jan­vier 2001 à Por­to Alegre. Dans les années qui suivent, on assiste à un pro­ces­sus d’extension vers plu­sieurs conti­nents (Amé­rique latine, Europe, Afrique, Asie du Sud, Amé­rique du Nord). Se créent de nou­veaux réseaux inter­na­tio­naux : Jubi­lé Sud (sur la pro­blé­ma­tique de la dette), ATTAC (contre la dic­ta­ture des mar­chés), la Marche mon­diale des femmes, Notre monde n’est pas à vendre… Se ren­forcent aus­si des réseaux plus anciens (nés dans la pre­mière moi­tié des années 1990) : Via Cam­pe­si­na, CADTM (réseau Nord/Sud qui se foca­lise au départ sur la dette, la Banque mon­diale et le FMI)… Le mou­ve­ment alter­mon­dia­liste (ou anti­glo­ba­li­sa­tion) prend forme pen­dant cette phase, essen­tiel­le­ment dans le cadre du Forum social mondial.

Les jalons vers la créa­tion du mou­ve­ment altermondialiste

Bien sûr, les mobi­li­sa­tions des années 1999 – 2000 ont été pré­pa­rées par d’autres actions par­mi lesquelles :

- la mobi­li­sa­tion contre le G7 à Paris en juillet 1989 à l’occasion du bicen­te­naire de la révo­lu­tion fran­çaise au cours de laquelle a été adop­té l’Appel de la Bas­tille pour l’annulation de la dette du tiers monde (texte fon­da­teur du CADTM) ;

- la rébel­lion (néo) zapa­tiste qui a fait irrup­tion le 1er jan­vier 1994 et a eu un impact inter­na­tio­nal très impor­tant pen­dant plu­sieurs années notam­ment lors de la ren­contre inter­na­tio­nale au Chia­pas de 1996 inti­tu­lée de manière sur­réa­liste « Ren­contre inter­ga­lac­tique en défense de l’humanité » (à laquelle de plu­sieurs mou­ve­ments inter­na­tio­naux dont le CADTM ont participé).

C’est aus­si en 1994 qu’eut lieu le 50e anni­ver­saire de la fon­da­tion de la Banque mon­diale et du Fonds moné­taire inter­na­tio­nal (FMI). L’événement fut com­mé­mo­ré par un énorme ras­sem­ble­ment de contes­ta­tion à Madrid. Cette mani­fes­ta­tion a ins­pi­ré plus tard les Fran­çais qui, dans la mobi­li­sa­tion contre le G‑7 à Lyon en 1996, ont mis en place les col­lec­tifs « Les autres voix de la pla­nète ». L’initiative espa­gnole réunis­sait des ONG, le CADTM Bel­gique et des mou­ve­ments comme « la pla­te­forme 0,7 % » où des jeunes lut­taient pour que leur pays consacre 0,7 % du PIB à l’aide publique au déve­lop­pe­ment, et aus­si des syn­di­cats, des mou­ve­ments fémi­nistes, des mou­ve­ments éco­lo­gistes (Eco­lo­gis­tas en Accion). Déjà, à l’occasion de ce contre-som­met, s’alliaient toute une série de mou­ve­ments qui, plus tard, allaient se retrou­ver à Seat­tle en 1999, puis à Por­to Alegre en 2001, etc. En 1997, à Amster­dam, lors d’un contre som­met face à l’Union euro­péenne, les marches euro­péennes contre le chô­mage jouent un rôle de catalyseur.

Voir CADTM Les mani­festes du pos­sible, Syl­lepse-CADTM, Paris-Liège, 2004

Après 20 ans de domi­na­tion néo­li­bé­rale en Amé­rique du Sud, dans plu­sieurs pays, les luttes sont mas­sives et plu­sieurs sont cou­ron­nées de suc­cès : guerre de l’eau en Boli­vie en 2000, sou­lè­ve­ment indien en Equa­teur qui ren­verse un pré­sident néo­li­bé­ral (2000), rébel­lion qui ren­verse le pré­sident néo­li­bé­ral argen­tin (fin 2001) et ouvre une crise pré­ré­vo­lu­tion­naire en décembre 2001 qui se pour­suit en 2002, sou­lè­ve­ment popu­laire au Vene­zue­la en avril 2002 pour le retour de Hugo Cha­vez à la pré­si­dence après son ren­ver­se­ment par un putsch (11 – 13 avril 2002), guerre du gaz en Boli­vie en 2003 avec ren­ver­se­ment du pré­sident néo­li­bé­ral pro-Washing­ton, ren­ver­se­ment du pré­sident néo­li­bé­ral pro-amé­ri­cain en Equa­teur en 2005… Dans la fou­lée de ces mobi­li­sa­tions, des gou­ver­ne­ments qui rompent par­tiel­le­ment avec le néo­li­bé­ra­lisme et s’opposent à la domi­na­tion des Etats-Unis entament des réformes poli­tiques et réins­taurent en par­tie le contrôle public sur les res­sources natu­relles (Vene­zue­la à par­tir de 1999, Boli­vie en 2006, Equa­teur en 2007) [Voir Franck Gau­di­chaud (sous la direc­tion de), [Le vol­can lati­no-amé­ri­cain. Gauches, mou­ve­ments sociaux et néo­li­bé­ra­lisme en Amé­rique latine, Tex­tuel, Paris, 2008, et pour l’évolution en 2008 – 2009, Eric Tous­saint Vene­zue­la, Equa­teur et Boli­vie : la roue de l’histoire en marche novembre 2009]].

Sous la pres­sion popu­laire, le gou­ver­ne­ment argen­tin, qui n’a pas une ori­gine de gauche, applique des mesures hété­ro­doxes qui tranchent avec le cours sui­vi par le gou­ver­ne­ment du PT au Bré­sil ou du Front ample en Uru­guay qui eux pro­longent la poli­tique de leur pré­dé­ces­seurs néo­li­bé­raux en y ajou­tant une dose impor­tante d’« assis­tan­cia­lisme » qui amé­liore la situa­tion des couches les plus pauvres et conso­lide leur base élec­to­rale. La zone de libre com­merce pour les Amé­riques vou­lue par Washing­ton est aban­don­née en 2005 grâce à l’opposition d’une majo­ri­té de gou­ver­ne­ments d’Amérique du Sud et la mobi­li­sa­tion sociale.

Entre temps, le 11 sep­tembre 2001 débouche sur une nou­velle offen­sive bel­li­queuse des Etats-Unis en Irak et en Afgha­nis­tan qui dégage une très forte odeur de pétrole et de ren­for­ce­ment de son avan­tage mili­taire. Cette offen­sive va éga­le­ment de pair avec une res­tric­tion des liber­tés démo­cra­tiques notam­ment aux Etats-Unis et en Grande Bre­tagne. Le pré­texte tout trou­vé est la lutte contre le ter­ro­risme. Face à ce dur­cis­se­ment impé­rial, le mou­ve­ment alter­mon­dia­liste réus­sit la plus grande marche anti­guerre de l’histoire (12 à 13 mil­lions de mani­fes­tants défilent aux quatre coins de la pla­nète en février 2003) mais ne par­vient pas à empê­cher l’invasion de l’Irak un mois plus tard. Le déclin du Forum social mon­dial com­mence en 2005. En cause, la per­sis­tance du refus de son conseil inter­na­tio­nal de faire évo­luer un forum de ren­contre et d’échange vers un moyen démo­cra­tique et ouvert de ras­sem­ble­ment pour l’action. A cela s’ajoute l’institutionnalisation du pro­ces­sus, domi­né par des ONG et des lea­ders de mou­ve­ments sociaux qui s’alignent sur des gou­ver­ne­ments sociaux libé­raux (le gou­ver­ne­ment Lula au Bré­sil et Pro­di en Ita­lie, notamment).

A par­tir de 2004, à l’échelle inter­na­tio­nale, il n’y plus de grandes mobi­li­sa­tions contre le FMI, la Banque mon­diale, le G8, l’OTAN, l’OMC, contre les guerres impé­ria­listes. Le mou­ve­ment alter­mon­dia­liste est mani­fes­te­ment en perte de vitesse même si les édi­tions du Forum social mon­dial peuvent connaître un suc­cès comme en 2009 à Belém (Bré­sil) et, dans une moindre mesure, à Dakar en février 2011.

En 2005, par l’adoption anti­dé­mo­cra­tique du trai­té consti­tu­tion­nel, les classes domi­nantes euro­péennes et les gou­ver­ne­ments en place ren­forcent l’orientation capi­ta­liste néo­li­bé­rale de l’intégration euro­péenne dans le cadre de l’UE et de la zone euro qui s’étend pro­gres­si­ve­ment à 17 pays. Les pays capi­ta­listes les plus indus­tria­li­sés ain­si que la Chine et les pays expor­ta­teurs de matières pre­mières ont une san­té qui semble bonne. Les classes domi­nantes pour­suivent leur offen­sive en terme de pré­ca­ri­sa­tion du tra­vail, mais la consom­ma­tion est sou­te­nue notam­ment par les achats à cré­dit et la bulle immo­bi­lière qui pro­duisent une fausse impres­sion de richesse et de bien-être dans plu­sieurs pays (Etats-Unis, Royaume-Uni, Espagne, Irlande, Grèce, plu­sieurs pays de l’Europe cen­trale membres de l’Union euro­péenne). Par ailleurs, les effets per­cep­tibles du chan­ge­ment cli­ma­tique en cours com­mencent à pro­vo­quer une prise de conscience cri­tique à pro­pos du capi­ta­lisme productiviste.

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La crise mon­diale pré­cède le prin­temps arabe, les Indi­gné-ées et Occu­py Wall Street

À par­tir de 2007, le ciel capi­ta­liste s’assombrit. Com­mence alors la plus grande crise capi­ta­liste depuis les années 1930. Il y a inter­con­nexion de dif­fé­rentes crises : dans les pays les plus indus­tria­li­sés, crise ban­caire et finan­cière, crise immo­bi­lière, crise éco­no­mique ; dans les pays du Sud, en par­ti­cu­lier en Afrique et cer­tains pays d’Asie, crise ali­men­taire (l’Amérique latine est moins tou­chée) cau­sée prin­ci­pa­le­ment par deux causes géné­rées par la poli­tique des gou­ver­ne­ments des pays les plus industrialisés :

1. le dépla­ce­ment de la spé­cu­la­tion immo­bi­lière (suite à l’éclatement de la bulle) vers le mar­ché à terme des céréales (grains) ;

2. le sou­tien à la pro­duc­tion d’agro-combustibles. La crise ali­men­taire pro­voque en 2008 des émeutes de la faim dans plus de 15 pays, le nombre d’affamés passe de 850 mil­lions à plus d’un mil­liard [Voir Jean Zie­gler, Des­truc­tion mas­sive : géo­po­li­tique de la faim, Le Seuil, Paris, 2011 et Damien Millet et Eric Tous­saint, [La Crise, quelles crises ? Aden-CADTM-Cetim, Bruxelles-Liège-Genève, 2010, cha­pitre 6.]]. La san­té éco­no­mique de la Chine, l’atelier du monde, finit par pro­vo­quer dans l’ancien empire du milieu des grèves ouvrières qui abou­tissent à des aug­men­ta­tions de salaire (en par­tant d’un niveau très bas). La crise de gou­ver­nance est patente à l’échelle de la planète.

Trois exemples de cela.

1. le pro­ces­sus d’accentuation de la déré­gle­men­ta­tion des échanges défi­ni à Doha en novembre 2001 est blo­qué, l’OMC fait du sur place.

2. le FMI, entre 2002 et 2008, passe par une crise radi­cale : deux direc­teurs géné­raux se suc­cèdent sans ter­mi­ner leur man­dat ; les pays émer­gents rem­boursent leurs dettes au FMI de manière anti­ci­pée afin de se défaire de sa tutelle directe et de suivre des poli­tiques par­tiel­le­ment hétérodoxes.

3. le G7 (Etats-Unis, Alle­magne, Royaume Uni, Japon, France, Ita­lie, Cana­da), d’où la crise finan­cière et éco­no­mique est par­tie, ne peut pas pré­tendre une fois encore trou­ver et impo­ser des solu­tions alors que les éco­no­mies émer­gentes connaissent une bonne san­té éco­no­mique, regorgent de réserves de changes et se sont désen­det­tées (en terme de dette exté­rieure). Les capi­tales des pays les plus indus­tria­li­sés convoquent le G20 en 2009 et demandent aux pays émer­gents de les aider à se sor­tir du bour­bier dans lequel elles se trouvent. Les effets d’annonce se mul­ti­plient : on va réfor­mer le sys­tème capi­ta­liste, voire le refon­der, on va remettre de l’ordre dans la finance inter­na­tio­nale en tirant l’oreille aux para­dis fis­caux, on va réduire les extra­va­gances des ban­quiers et de leurs tra­ders, on va conte­nir la spé­cu­la­tion sur les ali­ments, on va réfor­mer les grandes ins­ti­tu­tions comme le FMI et la Banque mon­diale pour don­ner un peu de place aux pays émer­gents, on trou­ve­ra des solu­tions pour le chan­ge­ment cli­ma­tique… Au bout du compte, aucune de ces pro­messes n’est mise en pra­tique. De son côté, le FMI peut reve­nir sur le devant de la scène. Alors qu’il a dû des­ser­rer l’étau sur les pays émer­gents et qu’il est au bord de l’asphyxie finan­cière (au point qu’il licen­cie du per­son­nel), il revient à l’attaque dans les pays du Nord : en 2008 – 2009, il dicte ses pres­crip­tions néo­li­bé­rales à l’Islande et à plu­sieurs pays de l’Europe cen­trale et de l’Est (anciens membres du gla­cis sovié­tique deve­nus membre de l’Union euro­péenne ou can­di­dats pour y entrer) [Voir Damien Millet et Eric Tous­saint (sous la direc­tion de ), [La dette ou la vie, Aden-CADTM, 2011]]. En 2010, c’est au tour de la Grèce et de l’Irlande. En 2011, le Por­tu­gal repasse sous ses fourches cau­dines. Le G20 décide de ren­flouer les caisses du FMI même si le pro­ces­sus est com­pli­qué à appli­quer tant les grandes puis­sances rechignent à don­ner la place qui revient aux puis­sances émer­gentes à qui pour­tant elles demandent des sous [[Lors du G20 tenu à Cannes en novembre 2011, les BRIC (Bré­sil, Rus­sie, Inde, Chine) n’ont pas été d’accord pour appor­ter des fonds tant qu’on ne leur fai­sait pas net­te­ment plus de place dans les ins­tances inter­na­tio­nales.]]. Lors d’un som­met euro­péen de décembre 2011, l’UE sans le Royaume Uni décide d’apporter 150 mil­liards d’euros au FMI.

En 2008 – 2009, la crise des pays les plus indus­tria­li­sés affecte la bonne san­té de l’économie chi­noise, les auto­ri­tés réagissent par un vaste plan de relance finan­cé par l’Etat (ce que le FMI a tou­jours refu­sé aux pays du sud confron­tés à une crise).

En 2007 – 2008, les classes domi­nantes et les gou­ver­ne­ments en place dans les pays les plus indus­tria­li­sés ont eu très peur : le mirage capi­ta­liste était en train de s’évaporer, le capi­ta­lisme était mis à nu par ses propres contra­dic­tions, il com­men­çait à appa­raître comme la cause de la crise. Pour évi­ter des mobi­li­sa­tions mas­sives qui pour­raient prendre une dyna­mique radi­cale, voire anti­ca­pi­ta­liste, à la fin 2008 et en 2009, Washing­ton (où est arri­vé Barack Oba­ma en jan­vier 2009), la Com­mis­sion euro­péenne et les capi­tales du Vieux conti­nent mettent en place des amor­tis­seurs sociaux (sauf dans des pays de la péri­phé­rie euro­péenne comme les répu­bliques baltes, la Hon­grie, l’Ukraine…). Le démar­rage de la stra­té­gie du choc a véri­ta­ble­ment lieu à par­tir de 2010.

En 2011, elle s’est appro­fon­die. Les attaques contre ce qui reste des acquis des luttes des tra­vailleurs de l’après seconde guerre mon­diale sont bru­tales, en par­ti­cu­lier dans les pays péri­phé­riques, au sein ou en dehors de l’Union européenne.

Entre temps, en 2008 – 2009, l’épicentre de la crise dans les pays les plus indus­tria­li­sés s’est dépla­cé des Etats-Unis vers l’Union euro­péenne pour trois raisons :

1. la struc­ture de l’Union euro­péenne accen­tue la crise car les méca­nismes d’aide et de trans­fert vers les pays les plus fra­giles sont réduits comme peau de chagrin ;

2. les banques pri­vées euro­péennes menacent de s’effondrer et de pro­vo­quer un nou­veau cata­clysme finan­cier du type de celui créé par la faillite de Leh­man Bro­thers. Sau­vées par les Etats, elles conti­nuent de prendre d’énormes risques en uti­li­sant les fonds mis presque gra­tui­te­ment à leur dis­po­si­tion par la Fed, la BCE, la Banque d’Angleterre, la Banque de Suisse ;

3. au lieu d’adopter une poli­tique de relance éco­no­mique et d’imposer des règles strictes aux banques, la com­mis­sion euro­péenne et les gou­ver­ne­ments imposent une cure d’austérité qui com­prime la demande et déprime l’activité éco­no­mique. En consé­quence, la dette publique, qui est bien infé­rieure à la dette des entre­prises pri­vées, explose. Dans plu­sieurs pays euro­péens (Espagne, Irlande, Royaume Uni, Hon­grie…), l’éclatement de la bulle immo­bi­lière pro­duit une situa­tion dra­ma­tique pour des cen­taines de mil­liers de familles lour­de­ment endet­tées for­cées de quit­ter leur loge­ment. Des cen­taines de mil­liers d’emplois ont été sup­pri­més dans la construction.

En 2010 – 2011, la crise de la gou­ver­nance euro­péenne prend des pro­por­tions consi­dé­rables. Les som­mets de crise se suc­cèdent afin d’adopter des plans de sau­ve­tage qui se révèlent chaque fois insuf­fi­sants. Les banques sont de nou­veau au bord de l’abîme et si elles n’y dégrin­golent pas, c’est uni­que­ment grâce au sou­tien des Etats.

Du prin­temps arabe à Occu­py Wall Street en pas­sant par le mou­ve­ment des Indignés

En Tuni­sie et en Egypte, pays non expor­ta­teurs de matières pre­mières (sauf à la marge), les condi­tions de vie des popu­la­tions se sont aggra­vées au cours des der­nières années, condui­sant à des pro­tes­ta­tions sociales répri­mées très dure­ment. Cela pro­voque, en Tuni­sie d’abord, une réac­tion mas­sive qui prend rapi­de­ment une dimen­sion poli­tique. Le peuple réuni dans la rue et sur les places publiques affronte la répres­sion (qui fait 300 morts) et exige le départ du dic­ta­teur Ben Ali. Il doit aban­don­ner le pou­voir le 14 jan­vier 2011. A par­tir du 25 jan­vier 2011, le mou­ve­ment s’étend à l’Egypte dont la popu­la­tion a été sou­mise à des décen­nies de contre-réformes néo­li­bé­rales dic­tées par la Banque mon­diale et le FMI com­bi­nées à un régime dic­ta­to­rial allié comme celui de Tuni­sie aux puis­sances occi­den­tales (et tota­le­ment com­pro­mis dans une alliance avec les auto­ri­tés israé­liennes). Le 11 février 2011, moins d’un mois après Ben Ali, Mou­ba­rak est obli­gé de quit­ter le pou­voir. D’autres pays de la région s’embrasent, la répres­sion s’abat. Les luttes sont tou­jours en cours, le pro­ces­sus n’est pas ter­mi­né au niveau régional.

En Tuni­sie et en Egypte, les classes domi­nantes locales essaient, avec l’aide des grandes puis­sances occi­den­tales, de contrô­ler la situa­tion afin que le mou­ve­ment ne débouche pas sur une révo­lu­tion sociale.

Le vent de la rébel­lion tra­verse la Médi­ter­ra­née de l’Afrique du Nord vers le Sud de l’Europe. Au Por­tu­gal, le 12 mars 2011, le mou­ve­ment des pré­caires mani­feste par cen­taines de mil­liers dans les rues mais le mou­ve­ment ne dure pas. Le 15 mai, la pro­tes­ta­tion atteint l’Espagne et se pro­longe jusqu’au 23 juillet puis rebon­dit dans un cadre mon­dial le 15 octobre 2011. Pen­dant ce temps, le mou­ve­ment a tou­ché la Grèce dès le 24 mai 2011. La place Puer­ta del Sol à Madrid, la place Cata­lu­nya à Bar­ce­lone, la place Syn­tag­ma à Athènes et des cen­taines d’autres places d’Espagne et de Grèce vibrent au même rythme en juin 2011. En juillet-août, la pro­tes­ta­tion sociale secoue éga­le­ment Israël, le bou­le­vard Rot­schild à Tel Aviv est occu­pé mais sans mettre en dan­ger le gou­ver­ne­ment (et sans cher­cher à faire la jonc­tion avec la cause pales­ti­nienne). En sep­tembre, le mou­ve­ment réus­sit à tra­ver­ser l’Atlantique Nord. Il a atteint les Etats-Unis par la côte Est en com­men­çant par New-York et Wall Street pour s’étendre à une grande par­tie du ter­ri­toire des Etats-Unis jusqu’à la côte Ouest où Oak­land vit l’expérience la plus radi­cale. Le 15 octobre 2011, date défi­nie par le mou­ve­ment des Indi­gnés en Espagne, plus d’un mil­lion de per­sonnes mani­festent dans le monde, du Japon à la Côte Ouest des Etats-Unis, essen­tiel­le­ment dans les pays les plus indus­tria­li­sés. Le 15 octobre, les mani­fes­ta­tions les plus impo­santes ont lieu à Madrid, Bar­ce­lone, Valence, Athènes et Rome. En Espagne, d’où l’action est par­tie près de 500 000 mani­fes­tants ont défi­lé dans les rues d’environ 80 villes dif­fé­rentes dont 200 000 ou plus à Madrid. Les deux prin­ci­paux centres finan­ciers de la pla­nète, New York et Londres, sont le lieu de mani­fes­ta­tions dans le cadre de ce vaste mou­ve­ment. Plus de 80 pays et près d’un mil­lier de villes dif­fé­rentes ont vu défi­lé des cen­taines de mil­liers de jeunes et d’adultes qui pro­testent contre la ges­tion de la crise éco­no­mique inter­na­tio­nale par des gou­ver­ne­ments qui courent aux secours des ins­ti­tu­tions pri­vées res­pon­sables de la débâcle et qui en pro­fitent pour ren­for­cer les poli­tiques néo­li­bé­rales : licen­cie­ments mas­sifs dans les ser­vices publics, coupes claires dans les dépenses sociales, pri­va­ti­sa­tions mas­sives, atteintes aux méca­nismes de soli­da­ri­té col­lec­tive (sys­tèmes publics de pen­sion, droits aux allo­ca­tions de chô­mage, conven­tion col­lec­tives entre sala­riés et patro­nat,…). Par­tout le rem­bour­se­ment de la dette publique est le pré­texte uti­li­sé pour ren­for­cer l’austérité. Par­tout les mani­fes­tants dénoncent les banques.

Aucune orga­ni­sa­tion ne dirige le mou­ve­ment et celui-ci ne cherche pas à se doter d’une struc­ture de coor­di­na­tion inter­na­tio­nale, mais la com­mu­ni­ca­tion passe mani­fes­te­ment très bien.

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Quelques traits com­muns des mobi­li­sa­tions en 2011

En 2011, du prin­temps arabe à Occu­py Wall Street en pas­sant par les Indi­gnés, on retrouve plu­sieurs points communs.

1. Les mani­fes­tants-tes ont réoc­cu­pé la place publique, ils s’y sont même ins­tal­lés, ils ont éga­le­ment mul­ti­plié les mani­fes­ta­tions de rue. Dans le pas­sé, les actions radi­cales com­men­çaient sou­vent sur le lieu de tra­vail ou d’étude et impli­quaient l’occupation des ins­tal­la­tions (usines, écoles, uni­ver­si­té…). Bien que les grèves et les occu­pa­tions d’usine ou d’établissements sco­laires n’aient pas été absentes dans cer­tains pays comme l’Egypte ou la Grèce, la forme d’action la plus répan­due adop­tée par les par­ti­ci­pants aux actions a consis­té à recon­qué­rir l’espace public. Une par­tie impor­tante des mani­fes­tants n’a pas la pos­si­bi­li­té de s’organiser sur le lieu de tra­vail, notam­ment à cause de la répres­sion et de l’atomisation des tra­vailleurs. Un grand nombre de par­ti­ci­pants n’ont pas d’emploi (c’est une des rai­sons de leur enga­ge­ment dans l’action) ou doivent se conten­ter d’un emploi pré­caire. Par­mi les mani­fes­tants, dans cer­tains pays, il y a un grand nombre de diplô­més sans tra­vail. Dans des pays comme l’Espagne, tou­chés de plein fouet par la crise de l’immobilier, ou comme Israël, où le manque d’habitations pour les reve­nus modestes est criant, les per­sonnes vic­times de la crise de l’immobilier peuvent être for­te­ment repré­sen­tées. Outre ces rai­sons, la volon­té d’occuper la place publique ren­voie bien sûr à la volon­té de se regrou­per, de comp­ter ses forces, de faire une démons­tra­tion de puis­sance face à un pou­voir qui est per­çu en Tuni­sie, en Espagne, en Grèce, en Egypte (ou, pour une bonne part des mani­fes­tants, aux Etats-Unis) comme com­plè­te­ment sourd aux besoins et aux demandes de la majo­ri­té des citoyens et citoyennes du pays. L’exigence d’une authen­tique démo­cra­tie est au cœur du mouvement.

2. Dans plu­sieurs pays, la com­mu­ni­ca­tion et la mobi­li­sa­tion via les réseaux sociaux (face­book, twit­ter, etc.) ont joué un rôle impor­tant même s’il ne faut pas exa­gé­rer le phénomène.

3. La forme « assem­bléiste » du mou­ve­ment consti­tue une carac­té­ris­tique com­mune. Dans le même esprit, il y a une réti­cence, voire car­ré­ment un refus, d’élire des délé­gués-ées. On veut la démo­cra­tie directe et participative.

4. Dans plu­sieurs pays, la déso­béis­sance civique a été reven­di­quée et pra­ti­quée sys­té­ma­ti­que­ment comme un acte de résis­tance face au pou­voir tota­li­taire (dans le cas de la Tuni­sie et de l’Egypte) ou face à un pou­voir autiste qui n’hésite pas à uti­li­ser la répres­sion pour vider les places publiques ou empê­cher pure­ment et sim­ple­ment des ras­sem­ble­ments (comme c’est le cas aux Etats-Unis régu­liè­re­ment). On est à cent lieues des mani­fes­ta­tions tra­di­tion­nelles qui res­semblent plus à des pro­ces­sions qu’à des marches de pro­tes­ta­tion. D’une cer­taine manière, le mou­ve­ment tra­duit un saut qua­li­ta­tif. Alors que jusque là l’idéologie domi­nante et la répres­sion avaient réus­si à indi­vi­dua­li­ser, à ato­mi­ser les com­por­te­ments sur la base de la peur (peur d’être répri­mé, peur de perdre son emploi, peur de perdre son loge­ment, peur de perdre son droit à la retraite, peur de perdre son épargne…), l’ampleur de la crise et le fait qu’une masse cri­tique de mani­fes­tants a été atteinte a per­mis à beau­coup de per­sonnes de sur­mon­ter l’isolement avec notam­ment l’idée qu’il n’y avait plus grand-chose à perdre. Pour la majo­ri­té des par­ti­ci­pants au mou­ve­ment, il s’agit du pre­mier com­bat col­lec­tif à dimen­sion politique.

5. Dans la plu­part des cas, il n’y a eu d’élaboration d’un pro­gramme de reven­di­ca­tions, même si les com­mis­sions de tra­vail du mou­ve­ment des Indi­gnés espa­gnols ont pro­duit des pro­po­si­tions et des décla­ra­tions. A ce titre il convient de sou­li­gner l’importance de la décla­ra­tion com­mune entre la Puer­ta del Sol et la Place Syn­tag­ma inti­tu­lée : Appel Sol-Syn­tag­ma et qui affirme notam­ment : « Non au paie­ment de la dette illé­gi­time. Cette dette n’est pas la nôtre ! Nous ne devons rien, nous ne ven­dons rien, nous ne paye­rons rien ! » |1|. Dans le cas de la Tuni­sie et de l’Egypte, il y a eu cepen­dant un accord sur une reven­di­ca­tion cen­trale le départ du dic­ta­teur qui s’est expri­mé dans une exhor­ta­tion très claire : « Dégage ! ».

6. Les mani­fes­tants ne se sont pas regrou­pés sur base iden­ti­taire : l’ethnie, la reli­gion, la classe, la géné­ra­tion, l’orientation poli­tique. Le mélange domi­nait même si cer­taines caté­go­ries par­mi les plus exploi­tées sont sous-repré­sen­tées dans cer­tains cas. La for­mule adop­tée aux Etats-Unis par Occu­py Wall Street a rapi­de­ment com­men­cé à faire le tour de la pla­nète : « Nous sommes les 99% ».

On pour­rait ajou­ter une sep­tième carac­té­ris­tique com­mune : dans aucun cas, le Forum Social mon­dial, le Forum social euro­péen, le Forum social des Amé­riques n’ont consti­tué une réfé­rence pour les mani­fes­tants. Le terme alter­mon­dia­liste ou anti­glo­ba­li­sa­tion ne fait pas non plus par­tie des réfé­rences. De ce point de vue, le cycle ouvert par la créa­tion du Forum social mon­dial en 2001 semble s’être bel et bien refer­mé, un autre cycle s’est ouvert, on ver­ra sur quoi il débou­che­ra. L’important, c’est d’y participer.

Au-delà des points com­muns, des dif­fé­rences sautent aux yeux. Dans les pays d’Afrique du Nord et du Proche Orient, les cibles prin­ci­pales sont les régimes dic­ta­to­riaux et les régimes auto­ri­taires (même si la ques­tion sociale est bien pré­sente et est à la base du mou­ve­ment). Dans les pays les plus indus­tria­li­sés, les cibles sont les ban­quiers et les gou­ver­nants à leur ser­vice. La défense des biens com­muns est un point de conver­gence. La ques­tion sociale s’exprime sur le mode du refus du tra­vail pré­caire, du rejet des pri­va­ti­sa­tions des ser­vices publics (l’éducation, la san­té…), de la néces­si­té de trou­ver une solu­tion à la ques­tion du loge­ment et de la dette hypo­thé­caire (en par­ti­cu­lier en Espagne et aux Etats-Unis, pays dans lequel il faut ajou­ter la dette des étu­diants qui tota­lise 1000 mil­liards de dol­lars), du refus de payer la crise pro­vo­quée par le 1% de très riches…

Dans les pays les plus indus­tria­li­sés, il y a aus­si une dif­fé­rence très grande entre la radi­ca­li­té du mou­ve­ment en Grèce, où on se rap­proche d’une pos­sible crise pré­ré­vo­lu­tion­naire sur le mode de l’Argentine en 2001 – 2002, et la situa­tion en Espagne, sans par­ler des Etats-Unis. Les his­toires dif­fé­rentes de ces pays et de leurs mou­ve­ments sociaux, le degré d’implantation dif­fé­rents des par­tis poli­tiques de la gauche dure (la gauche radi­cale grecque en y incluant le par­ti com­mu­niste peut repré­sen­ter près de 25 à 30% de l’électorat et influen­cer une par­tie impor­tante du mou­ve­ment syn­di­cal, de même au Por­tu­gal, c’est bien sûr tota­le­ment dif­fé­rent aux Etats-Unis) ne sont pas gom­més par le mou­ve­ment qui a vu le jour en 2011.

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Indi­gnées et indi­gnés du monde entier : Unissons-nous

L’avenir du prin­temps arabe, du mou­ve­ment des indi­gnés et d’Occupy Wall Street est très dif­fi­cile à prévoir.

La rébel­lion en Tuni­sie ou en Egypte risque de débou­cher sur une tran­si­tion res­sem­blant à ce qui s’est pas­sé en Amé­rique latine, aux Phi­lip­pines ou en Corée à la fin des dic­ta­tures au cours des années 1980, ou en Afrique du Sud dans les années 1990 sans par­ler d’autres Etats d’Afrique sub­sa­ha­rienne : la sta­bi­li­sa­tion d’un régime bour­geois néo­li­bé­ral. L’époque est dif­fé­rente, les carac­té­ris­tiques du monde musul­man sont par­ti­cu­lières, les enjeux géos­tra­té­giques (en par­ti­cu­lier en ce qui concerne l’Egypte et le Moyen Orient, moins pour la Tuni­sie) pèse­ront, l’histoire est un pro­ces­sus ouvert. La capa­ci­té de déve­lop­per l’autoorganisation des oppri­més sera décisive.

Pour le mou­ve­ment Occu­py Wall Street – OWS — (et ses équi­va­lents sur le reste du ter­ri­toire des Etats-Unis), la phase actuelle de répres­sion jointe à l’hiver aura-t-elle rai­son du mou­ve­ment ? Les ten­ta­tives du par­ti démo­crate de réus­sir une OPA sur OWS dans la pers­pec­tive des pré­si­den­tielles de 2012 réus­si­ront-elles à le diviser ?

Pour le mou­ve­ment des Indi­gnés euro­péens, à part la Grèce où le mou­ve­ment affronte direc­te­ment le gou­ver­ne­ment, on ver­ra si le mou­ve­ment réus­si­ra à se conso­li­der en Espagne, à reprendre force au Por­tu­gal, à s’implanter en Ita­lie, s’il fini­ra par tou­cher l’Irlande et d’autres pays d’Europe. Dans les cas grecs, espa­gnol et por­tu­gais, quand le mou­ve­ment est né, les socia­listes étaient au pou­voir et gou­ver­naient au pro­fit des ban­quiers res­pon­sables de la crise en appli­quant des poli­tiques néo­li­bé­rales. Depuis, la droite est reve­nue au gou­ver­ne­ment grâce à des élec­tions et est bien déci­dée à impo­ser une cure d’austérité encore plus bru­tale. En Grèce, le retour de la droite a été réa­li­sé sans élec­tion par la mise en place d’un gou­ver­ne­ment d’union natio­nale entre le Pasok, la droite et l’extrême droite. Le contexte poli­tique s’en trouve modi­fié, le mou­ve­ment des Indi­gnés repren­dra-t-il de la force, ren­tre­ra-t-il direc­te­ment en conflit avec ces gou­ver­ne­ments ? La réponse à ces ques­tions sera déter­mi­nante pour la capa­ci­té à affron­ter l’aggravation de la crise. Le peuple irlan­dais sor­ti­ra-t-il de sa tor­peur ? Naî­tra-t-il un mou­ve­ment des Indi­gnés irlan­dais ? Les mou­ve­ments sociaux ita­liens ont joué un rôle déter­mi­nant au début des années 2000 lors de la phase ascen­dante du mou­ve­ment anti­glo­ba­li­sa­tion et du Forum social euro­péen et mon­dial. Cela a été sui­vi par un reflux, dans cer­tains cas, par une adap­ta­tion à la poli­tique sociale libé­ral du gou­ver­ne­ment de Roma­no Pro­di et par une démo­ra­li­sa­tion suite au retour de Sil­vio Ber­lus­co­ni. Que va-t-il se pas­ser avec le gou­ver­ne­ment d’affaires de Mario Mon­ti et la mise sous tutelle par­tielle de l’Italie par la Com­mis­sion euro­péenne et le FMI ? Le mou­ve­ment des Indi­gnés trou­ve­ra-t-il une forme par­ti­cu­lière à l’italienne en 2012 ou la résis­tance pas­se­ra-t-elle prin­ci­pa­le­ment par d’autres canaux ? En France, qui a connu un puis­sant mou­ve­ment social en 2010 pour la défense des retraites et qui est res­tée en 2011 en marge du mou­ve­ment des Indi­gnés, celui-ci fini­ra-t-il par prendre racine quand la nou­velle dose d’austérité sera plei­ne­ment entrée en appli­ca­tion que ce soit avec Nico­las Sar­ko­zy ou le socia­liste Fran­çois Hol­lande ? Quid de la Grande Bre­tagne, de l’Allemagne, de la Belgique… ?
Si la crise des banques pri­vées se tra­duit par de nou­velles faillites dans la fou­lée de celle de la banque fran­co-belge Dexia en octobre 2011, quel sera l’effet sur les populations ?

De toute manière, grâce au prin­temps arabe, aux mou­ve­ments des indi­gnés et à Occu­py Wall Street, le bilan de l’année 2011 est de toute évi­dence posi­tif pour le mou­ve­ment social en lutte. Des peuples se sont débar­ras­sés de dic­ta­tures en Afrique du Nord, aux Etats-Unis, ce n’est le Tea Par­ty qui retient l’attention mais Occu­py Wall Street et dans plu­sieurs pays d’Europe la résis­tance s’organise à une large échelle, tout en sor­tant des sen­tiers battus.

Une chose est cer­taine, la ques­tion de la dette consti­tue­ra de plus en plus la pierre angu­laire du com­bat pour résis­ter aux plans d’austérité et à la pour­suite de la des­truc­tion des acquis sociaux. Le rem­bour­se­ment de la dette publique consti­tue à la fois le pré­texte pour impo­ser l’austérité et un puis­sant méca­nisme de trans­fert des reve­nus de ceux d’en bas vers ceux d’en haut (des 99% au pro­fit du 1%). Le com­bat pour bri­ser le cercle infer­nal de la dette est vital. Si on ne le mène pas de front, il y a peu de chances qu’on puisse vaincre la pro­chaine vague d’offensive néo­li­bé­rale. De plus, dans des pays comme l’Espagne ou l’Irlande où la bulle immo­bi­lière en écla­tant a affec­té des cen­taines de mil­liers de familles, l’annulation de la dette hypo­thé­caire et la garan­tie du droit à un loge­ment décent deviennent des ques­tions centrales.

Dans plu­sieurs pays (Grèce, France, Por­tu­gal, Espagne, Ita­lie, Irlande,…), la créa­tion de col­lec­tifs d’audit citoyen de la dette est un pas en avant pour ren­for­cer la dyna­mique du mou­ve­ment des Indi­gnés là où il existe et pour pas­ser à la controf­fen­sive à l’échelle de l’Europe. Indi­gnées et indi­gnés du monde entier : Unissons-nous !

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Sté­phane Hes­sel, auteur de “Indi­gnez-vous!”

Source de l’ar­ticle : CADTM