Le contrôle au faciès chez nos voisins européens

Tour d'horizon: France, le Royaume-Uni, l'Irlande, les Pays-Bas et les expérimentations de l'Open Society Institute en Espagne, Hongrie et Bulgarie...

contro_le_au_facie_s.jpgpar Noé­mie Coppin

Alors qu’en France, une assi­gna­tion de l’É­tat pour contrôle au faciès vient d’être menée, la France nie encore lar­ge­ment la réa­li­té de cette pra­tique dis­cri­mi­na­toire. Cepen­dant, de nom­breux acteurs locaux, asso­cia­tifs, juri­diques ou poli­tiques, se mobi­lisent. Où en sont nos voi­sins sur cette ques­tion cru­ciale, et quelles sont leurs pra­tiques ? Tour d’horizon.

Mer­cre­di 11 avril, quinze Fran­çais, noirs ou arabes, assignent le minis­tère de l’In­té­rieur en jus­tice, s’es­ti­mant vic­times de contrôles d’i­den­ti­té au faciès. L’ac­tion au civil vise à enga­ger la res­pon­sa­bi­li­té de l’É­tat sur cette pra­tique dis­cri­mi­na­toire. L’É­tat devra donc prou­ver que les contrôles qu’ils ont subis s’ap­puyaient sur des motifs légaux. La démarche est inédite. Elle est por­tée par le col­lec­tif Stop le Contrôle au faciès [lire l’ar­ticle d’A­fri­scope], le Syn­di­cat des Avo­cats de France et l’O­pen Socie­ty Jus­tice Ini­tia­tive (OSJI), fon­da­tion du mil­liar­daire amé­ri­cain Georges Soros. Une cam­pagne de clips est venue appuyer la démarche, en jouant sur la sen­si­bi­li­sa­tion du public jeune (cf. le site [stoplecontroleaufacies.fr].

Atta­quer l’É­tat direc­te­ment, c’est lui mettre une pres­sion pour que des mesures soient prises au niveau ins­ti­tu­tion­nel. Le for­mu­laire de contrôle, qui lais­se­rait une trace admi­nis­tra­tive du contrôle et de son motif légal, en est une, mais elle ne sau­rait être la seule, comme l’ex­plique Lan­na Hol­lo, char­gée de recherche pour l’OS­JI France : “En France, il y a des recours spé­ci­fiques pour les dis­cri­mi­na­tions dans les domaines du loge­ment, de l’é­du­ca­tion, mais pas pour les dis­cri­mi­na­tions poli­cières. La lutte juri­dique est donc impor­tante. Mais elle ne se suf­fit pas à elle-même. Pour que cela fonc­tionne, il faut une volon­té poli­tique, des réunions publiques. Il faut aus­si entendre la voix des per­sonnes vic­times, les rendre audibles. Il faut sen­si­bi­li­ser la popu­la­tion, pour bou­ger les lignes sur cette ques­tion trop banalisée”.

Où en sont nos voi­sins euro­péens sur la ques­tion des contrôles au faciès, et des dis­cri­mi­na­tions poli­cières ? Petit tour d’ho­ri­zon des bonnes pra­tiques en la matière.

Le Royaume-Uni, précurseur

Alors que la France peine encore à admettre l’exis­tence même des contrôles au faciès, l’An­gle­terre a recon­nu et docu­men­té le pro­blème. Au début des années quatre-vingt, Brix­ton, quar­tier du sud de Londres, explo­sait dans de vio­lentes émeutes, met­tant en scène de jeunes hommes noirs contes­tant cer­taines mesures dis­cri­mi­na­toires de la police. Suite à ces émeutes, le gou­ver­ne­ment lan­ça une enquête d’en­ver­gure sur les poten­tielles pra­tiques dis­cri­mi­na­toires poli­cières, qui sug­gé­ra la mise en place de plu­sieurs mesures, dont le for­mu­laire d’at­tes­ta­tion de contrôle.

À ce jour, et depuis 1984, le Royaume-Uni est le seul état membre de l’U­nion Euro­péenne qui col­lecte de façon sys­té­ma­tique des don­nées concer­nant les contrôles de police en rela­tion avec l’ap­par­te­nance eth­nique. Cette col­lecte de don­nées n’a pas mis fin au pro­blème dans le pays (les noirs et asia­tiques sont tou­jours plus contrô­lés que les blancs), mais elle a jeté les bases d’un débat ouvert et infor­mé entre la police et les com­mu­nau­tés locales, au sujet des causes de ces dis­pa­ri­tés, et a per­mis de déve­lop­per des poli­tiques pour y répondre.

Le poli­cier qui pro­cède à un contrôle d’i­den­ti­té doit consi­gner immé­dia­te­ment l’o­ri­gine eth­nique de la per­sonne et remettre à celle-ci un récé­pis­sé. La per­sonne contrô­lée n’a pas l’o­bli­ga­tion d’in­di­quer son nom, son adresse ou son ori­gine eth­nique. La police n’a aucun moyen de l’y contraindre. Le poli­cier lui pro­pose le choix entre cinq grandes caté­go­ries de groupes eth­niques et des sous-groupes spé­ci­fiques qui peuvent varier selon les lieux :

- Blanc (Bri­tan­nique, Irlan­dais, toute autre ori­gine blanche)

- Métisse (Blanc et Noir antillais, Blanc et Noir afri­cain, Blanc et Asia­tique, toute autre ori­gine métisse)

- Asia­tique (Asia­tique, Indien, Pakis­ta­nais, Ban­gla­desh, toute autre ori­gine asiatique)

- Noir (Noir, Antillais, Afri­cain noir, toute autre ori­gine noire)

- Autres

La réponse, même mani­fes­te­ment erro­née, doit être repor­tée, le poli­cier indi­quant éga­le­ment sa propre appré­cia­tion. Suite à la mise en place de ces for­mu­laires, la dis­pro­por­tion a pu bais­ser loca­le­ment. Le pro­blème a été pris au sérieux en interne, dans la ges­tion de la police. Dif­fé­rents sys­tèmes de dia­logue citoyens/police ont pu être mis en place, et les citoyens ont été impli­qués dans la consul­ta­tion et l’a­na­lyse de ces for­mu­laires de contrôles. Cepen­dant, dans le cadre des coupes bud­gé­taires dras­tiques dans l’en­semble des domaines publics, le gou­ver­ne­ment du Pre­mier ministre David Came­ron a réduit la déli­vrance des attes­ta­tions de contrôle. Main­te­nant, la police est seule­ment tenue de consi­gner les contrôles qui conduisent à des fouilles. Les autres peuvent encore être enre­gis­trés, mais seule­ment dans le cas d’une mésen­tente dans la manière dont les pou­voirs poli­ciers sont uti­li­sés. Les cri­tiques de ces chan­ge­ments ont été nom­breuses, car ils ont dimi­nué la trans­pa­rence de l’ac­tion poli­cière, sans dimi­nuer réel­le­ment le temps consa­cré au tra­vail admi­nis­tra­tif, qui était pour­tant l’ar­gu­ment prin­ci­pal pour impo­ser ces chan­ge­ments, sans débat public sur la question.

Le rap­port annuel, publié en avril 2009, par le minis­tère de la Jus­tice sur les sta­tis­tiques rela­tives aux ori­gines eth­niques et au sys­tème pénal 2007 – 2008 pré­cise l’o­ri­gine eth­nique pré­su­mée. 85 % des contrôles concer­naient des per­sonnes blanches, 6 % des per­sonnes noires et 6 % des per­sonnes asia­tiques. Entre 2006 – 2007 et 2007 – 2008, le nombre de contrôles a aug­men­té de 26 %, soit de 25 % pour les per­sonnes blanches, de 29 % pour les per­sonnes noires, de 46 % pour les per­sonnes asia­tiques et de 10 % pour celles appar­te­nant à d’autres groupes eth­niques. Les per­sonnes noires avaient 2,5 fois plus de chances d’être contrô­lées que les per­sonnes blanches (ratio simi­laire en 2006 – 2007), les per­sonnes asia­tiques avaient à peine plus de chances que les per­sonnes blanches avec un ratio de 1,2 sur 1 et celles appar­te­nant à d’autres groupes eth­niques un peu moins de chances que les per­sonnes blanches avec un ratio de 0,9 sur 1.

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L’Ir­lande, un tra­vail sur les rela­tions police/citoyens

L’Ir­lande n’a pas mis en place de for­mu­laire de contrôle. Mais dans le cadre de la Confé­rence euro­péenne et mon­diale contre la dis­cri­mi­na­tion raciale, le pays a lan­cé un plan d’ac­tion natio­nal, recon­nu par la police, pour lut­ter contre les dis­cri­mi­na­tions raciales… Les mesures concrètes, sur le ter­rain, concernent sur­tout le dia­logue police/citoyens. Par exemple, à Dublin, dans le quar­tier très mul­ti­cul­tu­rel de North Cen­tral (qui compte 18 % de mino­ri­tés eth­niques), la sta­tion de police locale fait des efforts pour tou­cher les popu­la­tions issues de l’im­mi­gra­tion, les sen­si­bi­li­ser, les invi­ter à par­ti­ci­per à des réunions. Ils ont trou­vé des asso­cia­tions repré­sen­tant dif­fé­rentes mino­ri­tés locales et ont gagné leur confiance. Les gens peuvent visi­ter la sta­tion de police, ren­con­trer les poli­ciers. Des réunions régu­lières sont orga­ni­sées, où la police demande aux gens quels sont leurs besoins en termes de sécu­ri­té. Le pro­ces­sus per­met à la popu­la­tion de voir de nou­veau la police comme un véri­table “ser­vice public”. Dans cer­tains cas, la confiance a été éta­blie de façon si forte que même des per­sonnes en situa­tion irré­gu­lière se dirigent vers des agents de police pour leur par­ler de leurs pro­blèmes. Ces dis­po­si­tifs locaux ne concernent certes pas direc­te­ment les contrôles au faciès. Mais cette confiance, ce dia­logue entre police et citoyens a ren­for­cé de façon signi­fi­ca­tive l’ef­fi­ca­ci­té de la police en termes de réduc­tion de la délin­quance et de la cri­mi­na­li­té. Il a per­mis aux poli­ciers de consta­ter que les contrôles au faciès n’é­taient pas l’ou­til le plus adap­té pour atteindre ce but. Des moyens alter­na­tifs existent, bien plus effi­caces, en pre­mier lieu, le dia­logue, dans une approche mul­ti­cul­tu­relle. En Irlande, la police n’est pas armée, et son objec­tif est sur­tout d’a­mé­lio­rer sa rela­tion avec la popu­la­tion, pour la ser­vir au mieux. De l’en­ca­dre­ment de fes­ti­vals por­tés par des asso­cia­tions à la pro­tec­tion lors de levées de fonds citoyens, la police tente d’être à l’é­coute des besoins de la population.

Les Pays-Bas, dire les maux par le théâtre

Les Pays-Bas ne recon­naissent pas offi­ciel­le­ment le pro­blème de dis­cri­mi­na­tion raciale. Par contre, la police a publi­que­ment recon­nu qu’elle devait tra­vailler à mieux ser­vir la popu­la­tion dans toute sa diver­si­té. Les Pays-Bas ont mis en place de nom­breuses mesures tou­chant au recru­te­ment de la diver­si­té dans la police, à la for­ma­tion et à la sen­si­bi­li­sa­tion sur la ques­tion de la diver­si­té. Mais la ques­tion des contrôles au faciès sou­lève encore beau­coup de résis­tances, mal­gré les enquêtes offi­cielles de l’Om­buds­man — sorte de média­teur de la Répu­blique, ou de pro­tec­teur du citoyen, indé­pen­dant -, qui affirment la néces­si­té de lut­ter acti­ve­ment contre les dis­cri­mi­na­tions poli­cières. Ces der­nières années, le gou­ver­ne­ment hol­lan­dais s’est diri­gé vers l’ex­trême droite, créant un cli­mat poli­tique peu pro­pice à l’ap­pli­ca­tion de mesures concrètes et encore moins d’é­vo­lu­tion du cadre de loi pour les contrôles d’i­den­ti­té. Mais loca­le­ment, des pro­jets pilotes sont menés, comme dans la ville de Gou­da, zone conflic­tuelle entre la police et la popu­la­tion, sur­tout maro­caine. Le pro­jet, ini­tié par une troupe de théâtre ama­teur anglaise et répli­qué par l’OS­JI, s’in­ti­tule “My city real world”. Il consiste en des ren­contres régu­lières entre la police et la popu­la­tion, basées sur une méthode théâ­trale d’im­pro­vi­sa­tion. Le pro­jet est encore actuel­le­ment en cours, et il donne des résul­tats très posi­tifs. Les rela­tions police/citoyens en sortent apai­sées. Des liens se tissent, qui contri­buent à amé­lio­rer la sécu­ri­té en impli­quant les acteurs locaux. Très chro­no­phage pour la police, ce dis­po­si­tif a néan­moins été recon­nu et appré­cié par les agents impli­qués, et jugé effi­cace en termes de sécu­ri­té publique. Bien sûr, ce genre de pro­jet pilote n’a­dresse pas le pro­blème des contrôles au faciès de manière fron­tale, mais il contri­bue à aller dans le bon sens.

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Les expé­ri­men­ta­tions de l’OSJI

Sur une période de 18 mois, à par­tir de jan­vier 2007, l’I­ni­tia­tive pour la Jus­tice de l’O­pen Socie­ty Ins­ti­tute a enga­gé un tra­vail avec les forces de police et les orga­ni­sa­tions issues de la socié­té civile en Espagne, en Hon­grie et en Bul­ga­rie. L’i­dée était d’ob­ser­ver et sur­veiller le recours aux contrôles poli­ciers, dans le cadre d’un pro­jet sou­te­nu par la Com­mis­sion Euro­péenne, inti­tu­lé “Stra­te­gies for Effec­tive Police Stop and Search”. S’ap­puyant sur le modèle du Royaume Uni, un for­mu­laire d’at­tes­ta­tion de contrôle, incluant des don­nées rela­tives à l’ap­par­te­nance eth­nique de la per­sonne contrô­lée a été mis au point, et les conclu­sions ont été débat­tues avec les repré­sen­tants des com­mu­nau­tés mino­ri­taires locales. L’i­dée : mon­trer que les contrôles ciblant de façon dis­pro­por­tion­née les mino­ri­tés pou­vaient être réduits sans aucune consé­quence néga­tive sur le main­tien de l’ordre, et avec une amé­lio­ra­tion des rela­tions police/citoyens. Com­ment ? Par l’in­tro­duc­tion d’un for­mu­laire de contrôle, mais aus­si en pas­sant par l’a­mé­lio­ra­tion de la for­ma­tion de la police, en iden­ti­fiant et rédui­sant la dis­pro­por­tion­na­li­té dans les contrôles d’i­den­ti­té, en amé­lio­rant l’en­ca­dre­ment et la super­vi­sion des contrôles, et en créant un espace de dis­cus­sion avec les com­mu­nau­tés mino­ri­taires, leur per­met­tant de défi­nir les prio­ri­tés locales en matière de main­tien de l’ordre.

L’Es­pagne, l’ex­pé­rience de Fuenlabrada

Plu­sieurs sites pilotes ont été rete­nus en Espagne pour l’ex­pé­ri­men­ta­tion de l’OS­JI. Notam­ment Giro­na et Fuen­la­bra­da. Cette der­nière est une ban­lieue située au sud de Madrid, comp­tant un peu plus de 200 000 habi­tants, et près de 16 % d’é­tran­gers. Le nombre de contrôles enre­gis­trés y est tom­bé de 958 contrôles en octobre 2007 à 253 en mars 2008. En même temps que ce nombre chu­tait, l’ef­fi­ca­ci­té des contrôles s’est accrue. Le taux de suc­cès est pas­sé de 6 % à 28 %. Cette amé­lio­ra­tion sug­gère que la for­ma­tion des poli­ciers et la meilleure super­vi­sion des contrôles ont per­mis de faire prendre conscience aux poli­ciers des cri­tères sur les­quels ils s’ap­puyaient pour recou­rir aux contrôles, et de rendre plus per­ti­nente leur sélec­tion des per­sonnes à contrô­ler. À Fuen­la­bra­da, les Maro­cains avaient 6,3 fois plus de chances d’être contrô­lés que les Espa­gnols, les Rou­mains 3,8 fois plus, les Équa­to­riens 3,9 fois plus, les Nigé­riens 5,2 fois. On pré­tend sou­vent que le ciblage dis­pro­por­tion­né des mino­ri­tés est jus­ti­fié par des degrés dif­fé­rents d’im­pli­ca­tion dans des acti­vi­tés cri­mi­nelles. Or, sur la période du pro­jet, les don­nées ont mon­tré que le taux de suc­cès du contrôle était de 17 % pour les Espa­gnols, et de seule­ment 7 % pour les maro­cains, 4 % pour les Rou­mains et les Équa­to­riens, 2 % pour les Nigé­riens. Les mino­ri­tés sont donc net­te­ment moins sus­cep­tibles d’être sur­prises en infrac­tion à la loi que la popu­la­tion espa­gnole. D’où l’im­pro­duc­ti­vi­té de contrô­ler davan­tage les minorités.

Un petit groupe de per­sonnes issues des asso­cia­tions locales de migrants et des orga­ni­sa­tions de droits de l’homme a été mis en place dès le début du pro­ces­sus. Ils ont contri­bué à la concep­tion du pro­jet et à la for­ma­tion des par­ti­ci­pants, ont pris part à des réunions men­suelles, durant les­quelles ils pas­saient en revue, avec la police, les don­nées concer­nant les contrôles.

Les for­mu­laires de contrôle s’ins­pi­raient de ceux uti­li­sés au Royaume-Uni, avec des adap­ta­tions au contexte local. Ils com­pre­naient les don­nées per­sonnes de la per­sonne contrô­lée, sa natio­na­li­té, le nom de l’agent de police, l’heure, la date, le lieu, les motifs légaux du contrôle et son résul­tat. Une copie du for­mu­laire rem­pli était remise à la per­sonne contrô­lée. Cette copie conte­nait des infor­ma­tions sur les droits des citoyens et sur les pro­cé­dures de récla­ma­tion aux­quelles ils peuvent recou­rir s’ils ne sont pas satis­faits de la façon dont ils sont trai­tés. Cela a ame­né les agents à se mon­trer plus atten­tifs à leur façon de trai­ter l’in­di­vi­du pen­dant le contrôle.

Même si elles témoignent d’une vraie réus­site, ces expé­ri­men­ta­tions res­tent can­ton­nées au niveau local. Les auto­ri­tés espa­gnoles n’en sont pas encore à recon­naître le pro­blème des contrôles au faciès ni à pro­po­ser une loi-cadre sur ces pra­tiques. Le cas de Rosa­lind Williams l’illustre par­fai­te­ment. En 1992, elle est arrê­tée par un offi­cier de police à la gare de Val­la­do­lid, et som­mée de pré­sen­ter ses papiers d’i­den­ti­té. Lors­qu’elle demande pour­quoi elle est la seule per­sonne contrô­lée, l’of­fi­cier lui répond “parce que vous êtes noire”. Elle a sai­si tous les éche­lons de la jus­tice natio­nale espa­gnole, et sa plainte a tou­jours été reje­tée. Ce n’est qu’en allant jus­qu’à la com­mis­sion des droits de l’Homme des Nations Unies que son cas a été recon­nu comme dis­cri­mi­na­tion illé­gale. Les ONG espa­gnoles dénoncent, de leur côté, l’am­pleur du pro­blème des contrôles au faciès, sans être beau­coup entendues.

La Hon­grie, dis­cri­mi­na­tion des Roms

À tra­vers toute la Hon­grie, selon une étude de l’OS­JI, les Roms ont trois fois plus de chances d’être contrô­lés par la police que les non-Roms, et pour­tant le taux de fla­grants délits dans chaque groupe est pra­ti­que­ment iden­tique. Les dis­pa­ri­tés dans les taux de contrôle sont d’au­tant plus per­tur­bantes que la police hon­groise recourt aux contrôles à une échelle mas­sive : en moyenne, sur cha­cun des trois sites pilotes de l’ex­pé­ri­men­ta­tion, la police effec­tuait 161 contrôles pour 1 000 rési­dents, contre 29 pour 1000 habi­tants pour les sites d’ex­pé­ri­men­ta­tion espa­gnols. Les don­nées montrent éga­le­ment que les contrôles effec­tués par les agents hon­grois ne leur per­mettent pas de repé­rer la délin­quance : seule­ment 1 % des contrôles effec­tués ont conduit à une arres­ta­tion, 2 % à une déten­tion de courte durée, 18 % à des pour­suites pour délits mineurs. Un grand nombre de per­sonnes sont ain­si incom­mo­dées sans résul­tat tan­gible, et ces per­sonnes sont, de façon dis­pro­por­tion­née, des Roms. À l’is­sue du pro­jet, des chan­ge­ments ont été enre­gis­trés. Le site pilote de Buda­pest a enre­gis­tré une baisse de 75,3 % des contrôles effec­tués, par rap­port à l’an­née pré­cé­dente. Et cette baisse du nombre de contrôles s’est accom­pa­gnée d’une hausse de leur effi­ca­ci­té, sur­tout concer­nant les pour­suites pour délits mineurs, dont la hausse d’ef­fi­ca­ci­té a atteint les 129 %. L’autre site pilote, dans la ville de Sze­ged, a enre­gis­tré des évo­lu­tions simi­laires. Le nombre de contrôles effec­tués y a dimi­nué de 17,5 % par rap­port à l’an­née pré­cé­dente. Concer­nant l’ef­fi­ca­ci­té, le nombre de déten­tions de courte durée et d’ar­res­ta­tions a aug­men­té signi­fi­ca­ti­ve­ment. Cette aug­men­ta­tion a été ren­due pos­sible par la créa­tion d’une uni­té spé­ciale de recherche des per­sonnes sous man­dat d’ar­rêt. Les poli­ciers ont recon­nu que cette uni­té était bien plus effi­cace que leurs pré­cé­dentes opé­ra­tions de contrôles à large échelle. L’ex­pé­ri­men­ta­tion a donc fonc­tion­né, mais elle est res­tée au niveau local, le cli­mat poli­tique, domi­né par l’ex­trême droite au pou­voir, ayant mis fin aux espoirs de géné­ra­li­sa­tion du dis­po­si­tif au niveau national.

La Bul­ga­rie, les rai­sons d’un échec

L’ex­pé­ri­men­ta­tion de l’OS­JI exi­geait des poli­ciers locaux qu’ils modi­fient leurs pra­tiques, qu’ils repensent la façon dont ils recourent aux contrôles et qu’ils consi­dèrent l’im­pact des contrôles sur dif­fé­rentes com­mu­nau­tés. Pour que ce pro­ces­sus fonc­tionne de façon effi­cace, il était néces­saire que la police, comme la com­mu­nau­té, com­prenne bien la nature du pro­blème, et accepte le fait qu’il existe des approches alter­na­tives. En Espagne comme en Hon­grie, le pro­jet n’au­rait jamais été pos­sible sans un ferme enga­ge­ment de la hié­rar­chie poli­cière, et une com­pré­hen­sion du pro­jet par les poli­ciers à tous les niveaux. En Bul­ga­rie, l’ab­sence d’une telle com­pré­hen­sion a posé de nom­breux pro­blèmes. Contrai­re­ment à ce qui s’est pas­sé avec les par­ti­ci­pants espa­gnols et hon­grois, ce sont les offi­ciers supé­rieurs rat­ta­chés au com­man­de­ment cen­tral, plu­tôt que les com­man­dants des sites pilotes, qui ont pris part à un séjour d’é­tudes au Royaume-Uni. Mal­gré leur enga­ge­ment, ils n’ont pas su trans­mettre l’in­for­ma­tion de façon adé­quate jus­qu’aux sites pilotes. Aucune des forces de police locales n’a per­çu le pro­jet comme un moyen d’a­mé­lio­rer les rela­tions entre la police et la com­mu­nau­té. Le pro­jet a été per­çu comme impo­sé de l’ex­té­rieur, et le pro­to­cole a de fait été très peu res­pec­té. L’ex­pé­rience n’a donc pas marché.

Lan­na Hol­lo, de l’OS­JI, veut apprendre de cet échec : “Il faut ana­ly­ser les rai­sons qui ont conduit à cet échec et être atten­tif à ce qu’elles ne se repro­duisent pas. Or il y a des simi­li­tudes entre la Bul­ga­rie et la France dans la hié­rar­chi­sa­tion de la police, dans la ver­ti­ca­li­té des ordres, dans l’es­pace de liber­té très res­treint de la police au niveau local, et dans le dia­logue citoyens/police qua­si inexis­tant. Si le nou­veau gou­ver­ne­ment fran­çais veut expé­ri­men­ter le dis­po­si­tif, il fau­dra tenir compte de ces pré­cé­dentes expé­ri­men­ta­tions, et pen­ser un pro­jet cohé­rent, com­plet, tra­vaillé avec toutes les forces vives des lieux pilotes”.

Au-delà de l’in­tro­duc­tion d’un for­mu­laire de contrôle, il s’a­gi­ra donc d’en­ga­ger des mesures plus glo­bales. Tra­vailler en lien avec des par­te­naires qui ont une exper­tise suf­fi­sante, obte­nir un vrai enga­ge­ment poli­cier, être en lien avec des asso­cia­tions légi­times et repré­sen­ta­tives du ter­rain en ques­tion, qui pour­ront sen­si­bi­li­ser la popu­la­tion de manière effi­cace. Au-delà de toutes ces pré­cau­tions néces­saires, il res­te­ra le risque qu’un tel pro­jet pilote, même cou­ron­né de suc­cès, ne soit jamais géné­ra­li­sé. D’où l’in­té­rêt d’une loi-cadre sur le sujet.

Noé­mie Coppin

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