Les Belges paieront-ils pour les Grecs ?

L'éventuel impact économique d’une telle annulation sur la Belgique, il devra être intégralement supporté, via un impôt, par le secteur financier responsable et gagnant de la crise...

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12 février par Renaud Vivien

Le 31 jan­vier, le gou­ver­neur de la Banque natio­nale Luc Coene a décla­ré que le Grecs devront payer ce qu’ils doivent aux autres pays. Concer­nant la Bel­gique, il affirme que « Notre pays a dû emprun­ter de l’argent pour le don­ner au Fonds euro­péen de sta­bi­li­té. Si cet argent est per­du, ça veut dire que les citoyens belges devront faire des efforts d’économies sup­plé­men­taires pour com­pen­ser la perte géné­rée par la Grèce. » [à voir et à écou­ter [sur la RTBF]]

Cette décla­ra­tion appelle plu­sieurs com­men­taires, à com­men­cer par le rap­pel des faits. Contrai­re­ment aux allé­ga­tions de Mon­sieur Coene, la popu­la­tion grecque n’a pas béné­fi­cié de ces fonds injec­tés par la Bel­gique. Cet argent est allé dans les caisses des banques étran­gères qui étaient les prin­ci­pales créan­cières de la Grèce avant l’intervention des pou­voirs publics euro­péens pour les sau­ver. Rap­pe­lons que ces banques (fran­çaises, alle­mandes, belges et ita­liennes en tête) avaient lar­ge­ment spé­cu­lé en prê­tant mas­si­ve­ment à la Grèce. Si elles l’ont fait sans hési­ta­tion, même après le déclen­che­ment de la crise, c’est qu’elles se savaient pro­té­gées par les États en cas de dif­fi­cul­té de rem­bour­se­ment de la Grèce. Elles ne se sont pas trompées…

Ces dettes de la Grèce à l’égard du sec­teur finan­cier ont ain­si été, pour la plu­part, trans­for­mées en de nou­velles dettes, dues cette fois à des enti­tés publiques : aux États euro­péens mais aus­si au Fonds euro­péen de sta­bi­li­té (FESF)[[En fait, le FESF n’est pas une enti­té publique mais une socié­té ano­nyme basée au Luxem­bourg qui emprunte sur les mar­chés pour prê­ter aux « pays en dif­fi­cul­té ».]] et à la « Troï­ka » com­po­sée de la Banque cen­trale euro­péenne (BCE), de la Com­mis­sion euro­péenne et du FMI.

A l’instar de la Banque mon­diale et du FMI qui ont sau­vé les créan­ciers pri­vés et impo­sé les pre­miers pro­grammes d’austérité dans les pays dits « en déve­lop­pe­ment », la Troï­ka a donc rem­pla­cé les banques en deve­nant le prin­ci­pal créan­cier de la Grèce et a impo­sé des mesures, sou­vent illé­gales, à la population.

Les consé­quences sont dra­ma­tiques : « L’éventail com­plet des droits humains fon­da­men­taux a été tou­ché — depuis le droit à un tra­vail décent, à un niveau de vie adé­quat et à la sécu­ri­té sociale, jusqu’au droit à la jus­tice, à la liber­té d’expression, à la par­ti­ci­pa­tion et à la trans­pa­rence. Des franges vul­né­rables et mar­gi­na­li­sées de la popu­la­tion ont été frap­pées encore plus dure­ment, de façon dis­pro­por­tion­née (.…) La pau­vre­té, y com­pris les pri­va­tions infan­tiles, s’est aggra­vée et devrait avoir des effets sur le long terme. ». Cette cita­tion n’est pas extraite d’un dis­cours de Syri­za mais du rap­port de Nils Muiz­nieks, Com­mis­saire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, publié le 3 décembre 2013.

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En par­ti­ci­pant au plan de sau­ve­tage des créan­ciers pri­vés de la Grèce assor­ti des mesures bru­tales dic­tées par la Troi­ka, le gou­ver­ne­ment belge a donc contri­bué à la vio­la­tion des droits fon­da­men­taux des Grecs mais aus­si à l’augmentation de la dette grecque qui est pas­sée de 113% du PIB en 2009 à 175% du PIB en 2014, alors que ces mesures d’austérité avaient comme objec­tif offi­ciel de réduire le niveau d’endettement.

Mal­gré les faits, Mon­sieur Coene, ses col­lègues de la BCE, l’ensemble des diri­geants euro­péens actuels, la Com­mis­sion et le FMI exigent que la popu­la­tion grecque paye la dette qui a ser­vi à l’opprimer et qui est donc illé­gi­time. A cette fin, ils n’hésitent pas à oppo­ser les peuples dans un esprit tota­le­ment anti-euro­péen. En Bel­gique, Luc Coene n’est pas le seul à uti­li­ser ce stra­ta­gème odieux et dan­ge­reux. Didier Reyn­ders a décla­ré le 28 jan­vier : “Ce qui est impor­tant pour les créan­ciers que sont les Etats, qui sont aus­si des contri­buables, c’est de savoir qu’on a des gens cré­dibles qui vont tout faire pour rem­bour­ser leurs enga­ge­ments et remettre leur pays sur le droit che­min[[Didier Reyn­ders (MR): “La Grèce doit tenir ses enga­ge­ments” ]]”. Le “droit che­min”, c’est-à-dire l’austérité et le rem­bour­se­ment de la dette qui pro­fitent à une mino­ri­té s’enrichissant depuis le début de la crise qu’elle a elle-même provoquée.

Or, le peuple grec a opté pour un chan­ge­ment de tra­jec­toire en votant mas­si­ve­ment pour Syri­za qui a pro­mis de mettre fin à l’austérité, de lut­ter contre la cor­rup­tion, de réa­li­ser un audit de sa dette et de la rené­go­cier pour en annu­ler une par­tie. Pour peser dans ces négo­cia­tions, qui s’annoncent plu­tôt mal, le nou­veau gou­ver­ne­ment grec aurait tout inté­rêt à mener le plus vite pos­sible son audit – comme un accord euro­péen le pré­voit d’ailleurs – afin de faire la lumière sur les mul­tiples irré­gu­la­ri­tés com­mises par les créan­ciers et les pré­cé­dents gou­ver­ne­ments en Grèce. Toutes les dettes illé­gales, odieuses, illé­gi­times et insou­te­nables devraient être annu­lées sans conditions.

Quant à l’éventuel impact éco­no­mique d’une telle annu­la­tion sur la Bel­gique, il devra être inté­gra­le­ment sup­por­té, via un impôt, par le sec­teur finan­cier res­pon­sable et gagnant de la crise. Si les contri­buables existent, ils ne sont pas tous de même nature (cer­tains sont chô­meurs, d’autres employés ou pro­fes­seurs, d’autres encore sont action­naires de banques ou d’autres mul­ti­na­tio­nales…). L’Etat belge a fait un prêt bila­té­ral à la Grèce de 1,9 mil­liards d’euros et a par­ti­ci­pé à hau­teur de 0,9 mil­liards au capi­tal de départ du FESF. Ces sommes qui sont, par ailleurs, déjà comp­ta­bi­li­sées dans la dette belge repré­sentent peu de choses face au coût des sau­ve­tages ban­caires qui ont aug­men­té cette dette de 33 mil­liards d’euros, sans comp­ter les inté­rêts et les consé­quences éco­no­miques de la crise pro­vo­quée par les banques. Rap­pe­lons que les banques ont béné­fi­cié de cet argent public sans aucune condi­tion d’utilisation…

En réa­li­té, la peur des diri­geants euro­péens est avant tout idéo­lo­gique. Ils craignent un effet de « conta­gion poli­tique » en Europe, à com­men­cer par l’Espagne. Espé­rons pour le peuple grec, mais aus­si pour tous les Euro­péens vic­times de l’austérité, que les mesures de Syri­za seront appli­quées grâce au sou­tien des popu­la­tions et que la domi­na­tion par la dette qui sévit actuel­le­ment sera bat­tue en brèche.

Cette opi­nion a été publiée dans La Libre Bel­gique le 11 février 2015

source de l’ar­ticle : cadtm

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