Mali : Un gros mensonge… depuis Ségou à 240 km de Bamako

La prise inévitable de la ville de Bamako par les jihadistes, la défaite « majeure » de l’armée malienne à Konna sont donc un paravent sous lequel la France se cache pour une reprise en mains de la « transition » malienne, pour y imposer sa solution.

Par Lo beret liure

Source : bel­la­ciao

rambo-hollande.pngUn gros mensonge…

Pour jus­ti­fier l’intervention « pré­ci­pi­tée » de la France au Mali le ven­dre­di 11 jan­vier, son pré­sident Fran­çois Hol­lande parle d’une situa­tion catas­tro­phique qui mena­çait à la fois l’armée malienne, qui aurait subi une défaite majeure à Kon­na et la porte ouverte pour les jiha­distes vers Bamako.

Certes l’intervention de la France a sou­la­gé mais en décryp­tant un peu les faits, chiffres et autres infor­ma­tions, il appa­rait clai­re­ment que l’intervention fran­çaise a pour­sui­vi un objec­tif qui est tota­le­ment occul­té par les infor­ma­tions en pro­ve­nance du Mali.

La situa­tion à Bamako…

Dans les jours qui pré­cèdent l’attaque des dji­ha­distes à Kon­na, un cli­mat pré-insur­rec­tion­nel s’installe à Bama­ko et Kati (ville de gar­ni­son à 15 kms de Bama­ko et fief des mili­taires put­schistes). Les étu­diants des écoles secon­daires et supé­rieures boy­cottent les cours et sortent dans la rue. Ils exigent la démis­sion du pré­sident (par inter­im) et l’envoi de sol­dats au nord pour recon­qué­rir cette région. Dans la même période et dans au moins une autre ville du pays (Kou­tial­la) les oppo­sants à une inter­ven­tion étran­gère au Mali, orga­nise un mee­ting ou la pré­sence du capi­taine Sano­go, chef des mili­taires put­schistes du 22 mars, est annon­cée. Un ras­sem­ble­ment qui doit faire par­tie d’une cam­pagne pour mettre à la pré­si­dence du pays, le même capi­taine. Capi­taine annon­cé mais qui n’arrivera jamais.

Des actions vio­lentes opposent alors pen­dant 2 jours la gen­dar­me­rie et les étu­diants à Bama­ko et Kati alors qu’une ten­ta­tive iso­lée de pillage à Bama­ko tourne court. Un véhi­cule conte­nant des hommes armés cir­cule ouver­te­ment dans la ville et com­mencent à ran­çon­ner les com­mer­çants puis orga­nise un hold up dans une sta­tion ser­vice du centre ville. Ils seront vite arrê­té et neu­tra­li­sés par la police. Action télé­gui­dée mais mal pré­pa­rée ?? Le chaos n’est pas loin.

Tout ce cli­mat « pré-insur­rec­tion­nel » amène le gou­ver­ne­ment malien à sus­pendre les cours dans toutes les écoles des villes de Bama­ko et Kati et dans divers com­mu­ni­qués, ce gou­ver­ne­ment dénonce les agis­se­ments de fau­teurs de trouble qui mani­pu­le­raient la jeunesse.

L’instabilité qui s’est ins­tal­lée à Bama­ko depuis le coup d’état du 22 mars 2012 ou le pou­voir effec­tif est par­ta­gé entre dif­fé­rents fac­tions risque donc de s’aggraver dan­ge­reu­se­ment et une fac­tion anti-inter­ven­tion étran­gère risque de se pro­pul­ser au com­mande. Pers­pec­tive qui doit for­te­ment inquié­té tous les alliés de la tran­si­tion pilo­tée par la CEDEAO.

Flamby.pngLes négo­cia­tions de Ouagadougou…

Les dji­ha­distes ont eu aus­si leur propre agen­da. Des négo­cia­tions ont été enta­mées à Oua­ga­dou­gou (Bur­ki­na-Faso) entre le gou­ver­ne­ment malien et deux groupes rebelles toua­regs Ansar dine (jiha­diste) et MNLA (indé­pen­dan­tiste) sur base d’un ces­sez le feu négo­cié à Alger. Ces­sez le feu remis en cause par les jiha­distes d’Ansar Dine qui dénonce le refus du gou­ver­ne­ment malien de négo­cier sérieu­se­ment leur pro­po­si­tion d’instaurer une répu­blique isla­mique sur tout le ter­ri­toire du Mali. Ils passent donc à l’offensive vers le sud avec sans doute pour objec­tif, la conquête de l’une ou l’autre grande ville malienne (Mop­ti au centre et Nion­no à l’ouest ?) et la « neu­tra­li­sa­tion » de l’aéroport de Séva­ré qui risque de deve­nir cru­cial dans le déploie­ment des troupes et maté­riel pour la recon­quête du nord.

Pro­fitent-ils, une fois de plus, de la situa­tion qui se déve­loppe à Bama­ko pour mettre en œuvre leur inten­tion de retour­ner s’assoir à la table de négo­cia­tions de Oua­ga­dou­gou (pré­vue le 20 – 21 jan­vier) avec un nou­veau suc­cès mili­taire ? Pos­sible mais peu véri­fiable ce qui n’empêchera pas cer­tains jour­na­listes maliens d’établir un lien direct entre les 2 évènements.

Les com­bats au nord-Mali…

Les pre­miers com­bats ont lieu à Kon­na, avant poste de l’armée malienne avant Mop­ti. Le déta­che­ment de l’armée malienne doit rompre le com­bat devant la puis­sance de feux des jiha­distes. La France par­le­ra de « défaite majeur » de l’armée malienne pour jus­ti­fier son inter­ven­tion mais quand les chiffres des pertes humaines sont com­mu­ni­qués on cite le chiffre de 11 sol­dats maliens tués à Kon­na !!! Nous sommes loin d’une déroute.

La porte est certes ouverte pour que les dji­ha­distes avancent plus au sud mais la fai­blesse de leurs effec­tifs (3 à 4.000 hommes ?) et le manque total de sou­tien dans la popu­la­tion malienne risque fort de leur cau­ser d’énormes sou­cis. Tenir un ter­ri­toire grand comme deux fois la France mais peu­plé d’un mil­lion cinq cents milles habi­tants (dont plus de 400.000 se sont réfu­giés en dehors de la zone) et béné­fi­ciant d’un sou­tien popu­laire signi­fi­ca­tif, c’est une chose. S’imposer à 12 – 13 mil­lions de per­sonnes hos­tiles et devoir tenir le contrôle de plu­sieurs villes de plus de 100.000 habi­tants (Mop­ti, Ségou, Nion­no) en est une autre.

La prise inévi­table de la ville de Bama­ko par les jiha­distes, la défaite « majeure » de l’armée malienne à Kon­na sont donc un paravent sous lequel la France se cache pour une reprise en mains de la « tran­si­tion » malienne, pour y impo­ser sa solution.

militaires-Francois-Hollande-Mali.jpg

La feuille de route de la transition…

La France (et la CEDEAO) peuvent main­te­nant conso­li­der la tran­si­tion au sud du Mali (le cpte Sano­go, prin­ci­pale figure de l’opposition à une inter­ven­tion mili­taire exté­rieur a effec­tué un volte face magis­tral) phase cru­cial pour impo­ser la feuille de route de la tran­si­tion. Avec le sou­tien de la majo­ri­té du peuple malien alors qu’il y a quelques jours à peine les oppo­si­tions au déploie­ment de troupes étran­gères au Mali étaient très pré­sentes et mena­çaient du déclen­che­ment d’une guerre civile si cela se réalisait !!

La déci­sion de mettre le Mali « sous état d’urgence » per­met main­te­nant au gou­ver­ne­ment malien de décla­rer qu’il ne sera plus ques­tion de tolé­rer la moindre mani­fes­ta­tion ou action diri­gée contre lui. Les troupes étran­gères vont donc se déployer au sud du Mali pour conte­nir le risque d’une nou­velle flam­bée de vio­lence et contestation.

Le pro­jet d’organiser les assises natio­nales des forces vives du Mali, pour don­ner un conte­nu plus concrêt à la « feuille de route » et plus consen­suel, qui étaient récla­mées par toutes les forces poli­tiques maliennes depuis de nom­breux mois risque de dis­pa­raître à jamais. Nous assis­tons à une cer­taine forme de coup d’état mais celui-ci a l’approbation de la com­mu­nau­té inter­na­tio­nale et est télé­gui­dée par la France. Nous assis­te­rons vrai­sem­bla­ble­ment à l’un ou l’autre rema­nie­ment minis­té­riel pour évin­cer l’un ou l’autre ministre qui serait en désac­cord mais la classe poli­tique malienne actuelle ne brille pas pour son « sens de l’état ».

Et ensuite…

Quand à la lutte au nord, elle s’annonce longue et dif­fi­cile. Les pre­miers suc­cès de l’armée de l’air fran­çaise ont eu lieu contre des dji­ha­distes qui se com­por­taient comme une armée « régu­lière ». L’attaque de l’’important convoi dji­ha­diste qui se diri­geait vers Séva­ré après la prise de Kon­na, la des­truc­tion des centres logis­tiques situés aux alen­tours des villes du nord a per­mis de mar­quer d’importants points contre les dji­ha­distes mais ils vont main­te­nant pas­ser à une stra­té­gie de gué­rilla, se retran­cher dans les contrées déser­tiques du nord, s’en prendre aux lignes de ravi­taille­ments et voies de communications.

L’occupation de la ville de Dia­ba­li par plu­sieurs cen­taines de dji­ha­distes et les com­bats qui s’y déroulent depuis plu­sieurs jours devait faire par­tie du plan de conquête concoc­té par les dji­ha­distes avant l’intervention fran­çaise et est main­te­nant un point de fixa­tion pour l’essentiel de l’intervention au nord.

La libé­ra­tion de Dia­ba­li est en cours mais il est dif­fi­cile de savoir qu’elle sera la véri­table por­tée de ce succès.

Cela per­met aux autres kati­bas de se mettre à l’abri et de se re-déployer. De recons­ti­tuer les forces des dji­ha­distes pour une lutte de longue durée.

La recon­quête des prin­ci­pales villes du nord Mali (Gao, Tom­bouc­tou, Kidal) ne signi­fie­ra pas la fin du conflit, loin de là.

Et même si le Mali recons­ti­tue son « inté­gri­té ter­ri­to­riale », il res­te­ra un des pays par­mi les plus pauvres et cor­rom­pu de la planète.

Mal­heu­reu­se­ment.

Ségou, le 18 jan­vier 2013