Nouveau tir à vue éditorial contre les grévistes en Belgique

Dans La Libre Belgique du 31 janvier 2012, lendemain de grève en Belgique, son éditorial ne se borne pas qu'à prendre parti, sans retenue, pour le gouvernement et le patronat...

par Nic Görtz, le 8 février 2012

Un article pré­cé­dent (« Grève en Bel­gique : Haro sur les gré­vistes et les syn­di­cats ») rele­vait la mobi­li­sa­tion contre les grèves de quelques médias belges. Cette fois, c’est plus pré­ci­sé­ment d’un édi­to­rial dont il est ques­tion. Certes, les édi­to­ria­listes sont libres de de dire ce qu’ils veulent. Mais ces pré­po­sés aux com­men­taires offi­ciels dans un jour­nal donnent à celui-ci – com­ment dire ? – une cou­leur par­ti­cu­lière. Dans le cas pré­sent, le jaune des « bri­seurs de grève »…

Dans La Libre Bel­gique, le 31 jan­vier 2012, len­de­main de grève en Bel­gique, Fran­cis Van de Woes­tyne édi­to­ria­li­sait sous un titre qui, en soi, est tout un pro­gramme : « Au bou­lot ». Cet édi­to­rial ne se borne pas à prendre par­ti, sans rete­nue, pour le gou­ver­ne­ment et le patro­nat et à faire pas­ser les syn­di­cats pour des irres­pon­sables, il uti­lise quelques grosses ficelles de la pro­pa­gande, au sens fort de ce terme. Et même de la pro­pa­gande de guerre dont les prin­cipes élé­men­taires sont dis­po­nibles sur Wiki­pe­dia :

Le court édi­to­rial de la Libre Bel­gique réus­sit la prouesse de conden­ser les prin­cipes suivants :

- Prin­cipe 2 : Le camp adverse est le seul res­pon­sable de la guerre
 — Prin­cipe 3 : Le chef du camp adverse a le visage du diable (ou « l’affreux de service »)
 — Prin­cipe 4 : C’est une cause noble que nous défen­dons et non des inté­rêts particuliers
 — Prin­cipe 6 : L’ennemi uti­lise des armes non-autorisées
 — Prin­cipe 9 : Notre cause a un carac­tère sacré
 — Prin­cipe 10 : Ceux (et celles) qui mettent en doute notre pro­pa­gande sont des traîtres

Voi­ci donc com­ment s’’appliquent ces prin­cipe dans l’éditorial en question :

« Il a donc fal­lu sup­por­ter, lun­di soir [30 jan­vier] les com­mu­ni­qués triom­phants des orga­ni­sa­tions syn­di­cales se féli­ci­tant d’avoir para­ly­sé le pays — cha­cun place sa gloire où il peut — pen­dant 24 heures. Une vic­toire ? Que non. »

Décryp­tage :
 — Prin­cipe 6 : para­ly­ser le pays, c’est dis­pro­por­tion­né. la grève est une arme non auto­ri­sée vu les circonstances.
 — Prin­cipe 2 : ce sont les syn­di­cats qui ont déci­dé de blo­quer le pays. ils n’ont abso­lu­ment pas été pro­vo­qués par des mesures gouvernementales.

« Mme Deme­lenne, la sou­riante patronne de la FGTB, avait don­né des ins­truc­tions pour qu’il n’y ait pas de bar­rages. Elle n’a évi­dem­ment pu empê­cher que des bri­gades d’énergumènes contraignent de braves indé­pen­dants à clore leurs volets. Un scan­dale. Soit. »

Décryp­tage :
 — Prin­cipe 3 : le “sou­riante” est à la fois iro­nique et dis­qua­li­fiant, d’autant qu’elle n’a « évi­dem­ment pu empê­cher les bar­rages », accen­tuant le carac­tère bar­bare des hordes qu’elle « patronne » ; “bri­gades”, c’est mili­taire, c’est orga­ni­sé ; “d’énergumènes”, ça fait peur, ils ne sont pas comme nous
 — Prin­cipe 4 : les syn­di­cats défendent des inté­rêts par­ti­cu­liers. la preuve, les “braves indé­pen­dants” ont du clore leurs volets (on ne sait pas com­bien ils sont, ni si tous sont contre la grève, mais les syn­di­cats ne les repré­sentent pas)

« On connaît la riposte syn­di­cale : ils se battent et nous, les “jaunes”, pro­fi­tons de leurs acquis. Repre­nons les mots d’ordre de cette grève. La pré­ser­va­tion de l’index ? Le PS, le SP.A, le CDH ont dit qu’il n’était pas ques­tion d’y tou­cher. La concer­ta­tion ? Elle a lieu depuis un mois. Epar­gnés, les frau­deurs, les tri­cheurs ? Il y a un plan de lutte contre la fraude fis­cale et sociale. La réduc­tion des inté­rêts notion­nels ? C’est fait. La défi­ni­tion d’un plan de relance ? Di Rupo fait le tour des capi­tales pour l’imposer à l’agenda euro­péen. Le main­tien de l’âge légal de la pen­sion à 65 ans ? Acquis. Paren­thèse : étant don­né que l’on gagne un an d’espérance de vie tous les cinq ans — que l’on soit syn­di­qué ou non — cet âge légal aug­men­te­ra. »

Décryp­tage :
 — Prin­cipe 10 (magni­fique exemple : ques­tion courte, réponse courte. absence totale de nuance. L’énoncé est construit de telle façon qu’on ne peut qu’y adhé­rer. Or la concer­ta­tion n’a pas lieu dans des condi­tions adé­quates (puisque le gou­ver­ne­ment joue la montre pré­ten­dant être pres­sé par l’Europe), l’abolition de l’indexation est le fer de lance du patro­nat — et l’Open VLD (par­ti du gou­ver­ne­ment) l’a mis sur la table (tiens, on l’a oublié dans l’édito…) ; le main­tien de la pen­sion à 65 ans, c’est fal­la­cieux puisque des tra­vailleurs qui pou­vaient s’arrêter avant ne le pour­ront plus (c’est toute la ques­tion de la réforme des prépensions !)
 — Prin­cipe 9 : Elio (Di Rupo) est un croisé.

Et en guise de conclu­sion une petite dose de paternalisme :

« Les syn­di­cats sont indis­pen­sables. C’est grâce au dia­logue avec les par­te­naires sociaux que la Bel­gique connaît la paix sociale, essen­tielle à l’économie et à la créa­tion d’emplois. Mais l’action syn­di­cale, sous peine d’être tota­le­ment ana­chro­nique, doit évo­luer. On a vu, lors de cette grève, les mes­sages de colère qu’elle sus­ci­tait. Blo­quer un pays ne sert à rien. A rien. Ren­dez-vous donc dans 18 ans, pour la pro­chaine grève géné­rale. »

Pater­na­lisme : Vous, syn­di­cats, êtes indis­pen­sables mais à cer­taines condi­tions, que nous déci­dons. Rap­pe­lez-vous : vous devez défendre la paix sociale (« mais qu’est-ce que vous avez fait hier ? Vous décon­nez les gars »), vos actions doivent être construc­tives (« là, c’est ana­chro­nique ce que vous faites »), du coup « blo­quer un pays ne sert à rien » ; pour être cer­tain d’être bien com­pris, on répète : « à rien ».

« D’ici là, au bou­lot. »

Fabri­quer du consen­te­ment, c’est en effet tout un boulot…

Nic Görtz