Projection film : “Los Abrazos Del Rio” de Nicolás Rincón

12.09 2011 /
20h au petit Théâtre Mercelis, rue Mercelis, 13 à 1050 Bxl
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Projection : lundi 12 septembre 2011

à 20h au petit Théâtre Mercelis, rue Mercelis, 13 à 1050 Bruxelles.

La SCAM vous invite à la pro­jec­tion du der­nier docu­men­taire du cinéaste bel­go-colom­bien Nicolás Rincón Gille, Los Abra­zos Del Rio.

Nico­las Rin­con Gille, retourne en Colom­bie inter­ro­ger le fleuve Magdalena.
“Sur une des grandes pierres qui brisent le cou­rant du Mag­da­le­na, le fleuve le plus impor­tant de la Colom­bie, il y a un petit homme accrou­pi, le Mohan. Sa barbe est longue, ses che­veux recouvrent son corps, ses ongles dépassent au bout de ses pieds. Il fume son cigare patiem­ment. Il attend les femmes qui lavent le linge au bord de la rivière pour les invi­ter au fond du fleuve, dans son palace. Les femmes connaissent déjà le sort de celles qui se laissent séduire. Celles qui ont de la chance rentrent enceintes au vil­lage. Les autres dis­pa­raissent et de temps en temps, le fleuve crache leurs corps.

Ce film, sublime et tra­gique, fait par­tie d’un trit­pyque consa­cré à la richesse de la tra­di­tion orale dans les cam­pagnes de Colom­bie, mena­cée de dis­pa­ri­tion par la vio­lence du pays. (Voir cri­tique de Dou­nia Bovet-Wol­teche). Il a été sélec­tion­né aux fes­ti­vals de Mont­réal, Shef­field, Nantes et Nou­velle-Calé­do­nie (2010).

Cri­tique de Dou­nia Bovet-Wol­teche, parue dans le Web­zine n°154

Dans la lumière pâle d’un jour gris, deux hommes sont au bord de l’eau ; le fleuve est si grand qu’ils semblent pris tous deux dans cette masse grise immo­bile, légè­re­ment iri­sée par le vent. Un rituel a lieu : les deux hommes laissent par­tir, au gré du cou­rant, deux petits radeaux cou­verts de fleurs, tout en chan­ton­nant une mélo­die gut­tu­rale au rythme apaisant.Les eaux du fleuve Mag­da­le­na sont grises, comme l’aube qui se lève d’un jour immémorial.Les eaux du fleuve Mag­da­le­na sont rouges, rouges du sang des hommes fraî­che­ment abattus.

Le fleuve Mag­da­le­na char­rie des cadavres aux mains liées, aux visages cri­blés de balles et aucune parole n’a pu même échap­per de leurs bouches bour­rées de chiffon.Ici se trouve l’Etreinte du fleuve, deuxième volet de la tri­lo­gie ambi­tieuse Cam­po Habla­do, au croi­se­ment entre un éche­veau de sens patiem­ment tis­sé par les récits indi­gènes, et une vio­lence sans nom que rien ne peut justifier.Ici, se tient le réa­li­sa­teur Nico­las Rincón Gille, venu à la ren­contre d’une parole, d’une pen­sée magique, ances­trale, qui nous parle de liens, d’amour et de sor­cel­le­rie, de nais­sances vio­lentes, de vies âpres et de la mort qui n’est pas sépa­rée de la vie. Il se heurte, et nous heurte en même temps, à une vio­lence moderne, actuelle qui brise le temps du mythe : ce sont les exac­tions des para­mi­li­taires, qui, pour contrô­ler et ran­çon­ner ces régions pauvres, viennent y semer la ter­reur par l’assassinat systématique.Comment rendre compte de la vio­lence sans som­brer dans la por­no­gra­phie de l’horreur ?

Com­ment trou­ver une pudeur qui n’édulcore pas la tra­gé­die ? La gran­deur du film est de tenir là, sur cette ligne presque impos­sible, entre l’absurde et le sens, entre le déses­poir muet et le déses­poir qui devient récit. Alors, le rituel des Indiens réunis contre les para­mi­li­taires tient lieu d’acte de résis­tance ; le simple regard d’une femme sur des cadavres incon­nus des­cen­dant le fleuve devient des funé­railles ; la parole d’une mère qui sent bou­ger près d’elle son fils assas­si­né, acquiert une puis­sance de résurrection.

À la fin du film, il est évident que ces morts incon­nus désor­mais nous accom­pagnent. Parce que les morts comme les vivants, les plantes comme les choses, par­ti­cipent de ce récit tra­gique : le réa­li­sa­teur a ados­sé son film sur le pays entier qui lui trans­met sa force.

Avec une extrême sou­plesse, la camé­ra rôde sur le fleuve, glisse sur ses tour­billons, et attrape au pas­sage le visage d’une jeune fille qui pêche, de l’eau jusqu’au men­ton. La camé­ra ne va pas des hommes à la nature, comme pour nous faire voir, dans un mou­ve­ment clas­sique, l’horizon de leur regard : elle va plus sou­vent d’une branche d’arbre à la nuque d’un pay­san, d’un oiseau qui s’envole à une main humaine, et raconte cette insé­pa­ra­bi­li­té des Indiens et de leur pays. Si ces femmes, ces hommes sont tou­jours là, c’est qu’ils ont la force et la fra­gi­li­té des arbres plan­tés au bord de l’eau, qu’ils ont là leur lit au même titre que le fleuve a le sien.

Dou­nia Bovet-Wolteche

Voir l’en­tre­tien filmé :

Los abra­zos del rio de Nicolás Rincón Gille par asbl­Ci­ner­gie