Répression et criminalisation du mouvement social au Guatemala

l’Etat guatémaltèque est régulièrement condamné par la Cour Interaméricaine des Droits de l’Homme pour utilisation d’effectifs militaires et d’armes à feu contre des manifestations populaires !

guatemala-marcha-de-ataudes-por2.jpgLe 4 octobre 2012, au moins 3000 per­sonnes ont mani­fes­té paci­fi­que­ment, au Gua­te­ma­la, contre l’augmentation mono­po­lis­tique des prix de l’énergie, le ral­lon­ge­ment de la for­ma­tion des pro­fes­seurs des écoles et contre les réformes consti­tu­tion­nelles pro­po­sées par le gou­ver­ne­ment d’extrême droite de Otto Per­ez Moli­na, en blo­quant le prin­ci­pal axe rou­tier du Gua­te­ma­la situé à 170 km à l’ouest de la capi­tale. Au même moment, le mou­ve­ment était repré­sen­té au siège du gou­ver­ne­ment par une délé­ga­tion d’autorités rurales Maya K’iché’ issues de 48 vil­lages du dépar­te­ment de Toto­ni­ca­pan situé dans les hautes terres de l’ouest du pays.

Alors que le pré­sident refu­sait toute com­mu­ni­ca­tion avec la délé­ga­tion des auto­ri­tés et leur envoyait un de ses subal­ternes pour dia­lo­guer, la mani­fes­ta­tion sur la route a été sau­va­ge­ment répri­mée par les forces anti­émeutes et l’armée. Bilan : 7 morts et plus de 35 bles­sés. Ces faits consti­tuent le pre­mier mas­sacre impu­table à l’Etat gua­té­mal­tèque depuis 1995.

En effet, suite à un coup d’État mili­taire orga­ni­sé et finan­cé par la CIA en 1954, le pays a connu une guerre civile longue de 36 ans lais­sant un bilan de 200 000 morts dont 50 000 dis­pa­rus et près d’un mil­lion de per­sonnes dépla­cées. Mais la paix rati­fiée en 1996 ne repré­sente qu’une mas­ca­rade et marque l’entrée en force des poli­tiques néo­li­bé­rales pro­fi­tant aux élites éco­no­miques du pays, car en réa­li­té les vic­times du conflit armé n’ont tou­jours pas obte­nu jus­tice. Nous ne pou­vons donc pas par­ler d’une véri­table période de paix depuis 1996 car la vio­lence n’a pas vrai­ment connue de dis­con­ti­nui­té et le cli­mat d’impunité ne fait que gran­dir dans le pays.

Le 5 octobre der­nier, après avoir d’abord nié les faits, le pré­sident affirme que les sol­dats ont tiré « en l’air ». Il accuse conjoin­te­ment le blo­cage de la route par les mani­fes­tants d’être à l’origine des vio­lences. De plus, devant des repré­sen­tants de la com­mu­nau­té inter­na­tio­nale, le ministre des affaires étran­gères minore les faits en jugeant négli­geable la mort de huit per­sonnes et fait diver­sion en com­pa­rant la répres­sion armée au taux d’homicides quo­ti­diens attri­bués au crime orga­ni­sé et au narcotrafic.

Si le fait de noyer les assas­si­nats de pay­sans mobi­li­sés dans la vio­lence du pays consti­tue la jus­ti­fi­ca­tion du gou­ver­ne­ment devant la com­mu­nau­té inter­na­tio­nale, nous affir­mons qu’il s’agit ici d’un crime poli­tique du gou­ver­ne­ment envers un légi­time mou­ve­ment de contes­ta­tion paci­fique. Si les élites diri­geantes ont aus­si qua­li­fié le mou­ve­ment de contes­ta­tion de « non-civi­li­sé » et d’ « arbi­traire », démon­trant une fois de plus leur condes­cen­dance et leur mépris, nous leur rap­pe­lons qu’historiquement leur pro­prié­té pri­vée fut obte­nue « arbi­trai­re­ment » par l’expropriation abu­sive des terres com­mu­nales indi­gènes et de manière « inci­vi­li­sée » car ils ont anéan­ti toute oppo­si­tion par les armes.

Face aux témoi­gnages contre­di­sant la posi­tion offi­cielle se mul­ti­plient, les démen­tis des vic­times s’opposent au dis­cours du gou­ver­ne­ment et le rap­port offi­ciel du Pro­cu­reur géné­ral démontre en détail com­ment les mani­fes­tants tués ont reçu des balles pro­ve­nant d’armes appar­te­nant aux mili­taires pré­sents sur les lieux. Le gou­ver­ne­ment n’a pas eu d’autre choix que d’inculper le colo­nel ayant don­né l’ordre de tirer ain­si que les huit mili­taires ayant tou­ché mor­tel­le­ment des mani­fes­tants. Une par­tie des acteurs de la socié­té civile, notam­ment la Coor­di­na­tion des Orga­ni­sa­tions Mayas, demande la démis­sion des ministres de la défense et de l’intérieur.

Per­ez Moli­na a été élu à la tête du gou­ver­ne­ment en 2011, alors qu’il était accu­sé d’avoir com­man­dé des mas­sacres de vil­lages entiers dans les années 1980 en tant qu’officier de l’armée, et d’avoir ain­si par­ti­ci­pé au géno­cide du peuple maya. Aujourd’hui, une remi­li­ta­ri­sa­tion du pays se fait sous cou­vert de lutte contre le nar­co­tra­fic et de sécu­ri­té natio­nale mais elle se fait dans les mêmes régions où les mou­ve­ments sociaux luttent contre les fronts — oli­gar­chiques pour le droit à la Terre et à un envi­ron­ne­ment sain. Com­ment espé­rer une paci­fi­ca­tion sociale par la dis­cri­mi­na­tion raciale et la répres­sion de mou­ve­ments populaires ?

NOUS RECONNAISSONS que les reven­di­ca­tions des mani­fes­tants du 4 octobre sont d’intérêt natio­nal et qu’elles ont déjà été por­tées par d’autres mou­ve­ments sociaux, com­mu­nau­tés et orga­ni­sa­tions dans le pays ! NOUS CONDAMNONS la cri­mi­na­li­sa­tion des mou­ve­ments sociaux et la jus­ti­fi­ca­tion du modèle mili­taire de terreur !

NOUS DENONÇONS l’Etat gua­té­mal­tèque, régu­liè­re­ment condam­né par la Cour Inter­amé­ri­caine des Droits de l’Homme pour uti­li­sa­tion d’effectifs mili­taires et d’armes à feu contre des mani­fes­ta­tions populaires !

NOUS ACCUSONS la spo­lia­tion géné­ra­li­sée, depuis cinq siècles, des droits fon­da­men­taux des peuples autoch­tones, alors que les auto­ri­tés gou­ver­ne­men­tales et le sec­teur patro­nal reven­diquent l’Etat de droit et le droit à la propriété !

NOUS DENONÇONS le vol des terres don­nées en conces­sion à des entre­prises trans­na­tio­nales, afin de mener leurs pro­jets miniers ! Plus généralement,

NOUS ACCUSONS ces entre­prises trans­na­tio­nales de ne ser­vir que leurs propres inté­rêts, au détri­ment des popu­la­tions locales !

NOUS MANIFESTONS, depuis Tou­louse, notre soli­da­ri­té au peuple des 48 vil­lages de Toto­ni­ca­pan, et TRANSMETTONS sa demande de sou­tien et de sécu­ri­té auprès de la com­mu­nau­té internationale !

Tou­louse, le 10 novembre 2012 Col­lec­tif de Soli­da­ri­té avec le Guatemala