Traitement des attentats par les télévisions et les radios : le Conseil rend ses décisions

Le CSA avait invité les télévisions à agir avec le plus grand discernement, en vue de permettre aux forces de l’ordre de remplir leur mission.

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Com­mu­ni­qué du jeu­di 12 février 2015 

Durant les atten­tats ter­ro­ristes sur­ve­nus en France entre le 7 et le 9 jan­vier 2015, les médias audio­vi­suels ont assu­ré l’information du public, rem­plis­sant le rôle essen­tiel qui est le leur. 

Conscient des dif­fi­cul­tés propres à la cou­ver­ture d’une telle actua­li­té, le Conseil supé­rieur de l’audiovisuel avait invi­té, par une note aux rédac­tions du 9 jan­vier, les télé­vi­sions et les radios à agir avec le plus grand dis­cer­ne­ment, notam­ment en vue de per­mettre aux forces de l’ordre de rem­plir leur mis­sion avec toute l’efficacité requise. 

A l’issue de ces évè­ne­ments dra­ma­tiques, le Conseil a réuni le 15 jan­vier les res­pon­sables des chaînes de télé­vi­sions et des radios pour une réflexion commune. 

Paral­lè­le­ment, dans l’exercice des mis­sions de contrôle qui lui sont confiées par la loi, il s’est assu­ré du res­pect des prin­cipes et des règles de la com­mu­ni­ca­tion audio­vi­suelle par ces médias. Par­mi les quelque cinq cents heures de pro­grammes ana­ly­sées, il a iden­ti­fié des séquences sus­cep­tibles de consti­tuer des man­que­ments, qui ont fait l’objet d’une ins­truc­tion contradictoire. 

Réuni en for­ma­tion plé­nière mer­cre­di 11 février, le Conseil a rele­vé 36 man­que­ments dont 15 ont don­né lieu à mise en garde et 21, plus graves, ont jus­ti­fié des mises en demeure. 

Ces déci­sions portent sur les faits suivants. 

- La dif­fu­sion d’images issues de la vidéo mon­trant le poli­cier abat­tu par les terroristes

Le Conseil a exa­mi­né la séquence de l’assassinat du poli­cier Ahmed Mera­bet par les ter­ro­ristes, dif­fu­sée par la chaîne France 24. Même si l’instant pré­cis de la mort n’a pas été mon­tré, cette séquence fai­sait entendre les déto­na­tions d’arme à feu ain­si que la voix de la vic­time et expo­sait son visage et sa situa­tion de détresse. Elle a por­té atteinte au res­pect de la digni­té de la per­sonne humaine.
En consé­quence, le Conseil a déci­dé de mettre en demeure la chaîne de res­pec­ter ce prin­cipe fondamental.

Par ailleurs, il a consi­dé­ré que la dif­fu­sion, sur France 5, de la une d’un jour­nal bri­tan­nique, le Dai­ly News, mon­trant l’image du poli­cier à terre, dans une situa­tion de détresse, non flou­tée, quelques secondes avant d’être abat­tu, mécon­nais­sait éga­le­ment le res­pect de la digni­té de la per­sonne humaine.

Le Conseil a mis en garde France 5 contre la réité­ra­tion de ce type de manquement. 

- La divul­ga­tion d’éléments per­met­tant l’identification des frères Kouachi 

Le Conseil a consi­dé­ré que la divul­ga­tion, par i>Télé et LCI, d’informations concer­nant l’identification de Saïd et Ché­rif Koua­chi, avant la dif­fu­sion de l’appel à témoins par la Pré­fec­ture de police et ce, en dépit des demandes pré­cises et insis­tantes du pro­cu­reur de la Répu­blique, pou­vait leur per­mettre de com­prendre qu’ils avaient été iden­ti­fiés et qu’ils étaient acti­ve­ment recher­chés, ce qui ris­quait de per­tur­ber l’action des autorités. 

En consé­quence, il a déci­dé de mettre en demeure ces chaînes de res­pec­ter leurs obli­ga­tions rela­tives à l’ordre public. 

- La divul­ga­tion de l’identité d’une per­sonne mise en cause comme étant l’un des terroristes

Le Conseil a consi­dé­ré qu’en dési­gnant une per­sonne comme étant l’un des ter­ro­ristes recher­chés par les auto­ri­tés, même en entou­rant cette infor­ma­tion de cer­taines pré­cau­tions, les chaînes BFM TV, France 2, i>Télé, LCI et TF1, ont non seule­ment man­qué de mesure dans le trai­te­ment de l’enquête, mais encore pris le risque d’alimenter les ten­sions dans la popu­la­tion à par­tir d’une allé­ga­tion qui s’est révé­lée inexacte.

Il a mis en garde ces cinq chaînes de télé­vi­sion contre le renou­vel­le­ment de tels manquements. 

- La dif­fu­sion d’images ou d’informations concer­nant le dérou­le­ment des opé­ra­tions en cours, alors que les ter­ro­ristes étaient encore retran­chés à Dam­mar­tin-en-Goële et à l’Hyper Cacher de la Porte de Vincennes

Le Conseil a consi­dé­ré que la dif­fu­sion par les chaînes BFM TV, Canal +, Euro­news, France 2, France 24, LCI et TF1, d’informations et d’images indi­quant notam­ment le déploie­ment des forces de l’ordre, le posi­tion­ne­ment exact de cer­taines d’entre elles ou encore la stra­té­gie mise en place, aurait pu être pré­ju­di­ciable au dérou­le­ment des opé­ra­tions ain­si qu’à la sécu­ri­té des otages et des membres des forces de l’ordre, dans la mesure où les ter­ro­ristes pou­vaient y avoir accès.

Le Conseil a mis en garde les télé­vi­sions concer­nées au regard de la néces­saire conci­lia­tion entre la sau­ve­garde de l’ordre public et le res­pect de la liber­té de communication.

- L’annonce que des affron­te­ments contre les ter­ro­ristes avaient lieu à Dam­mar­tin-en-Goële alors qu’Amedy Cou­li­ba­ly était encore retran­ché à la Porte de Vincennes

Le Conseil a rele­vé que BFM TV, Euro­news, France 2, France 24, i>Télé, LCI, TF1, Europe 1, France info, France inter, RFI, RMC et RTL, ont annon­cé en direct que des affron­te­ments avaient écla­té entre les forces de l’ordre et les ter­ro­ristes à Dam­mar­tin-en-Goële. Il consi­dère que la divul­ga­tion de cette infor­ma­tion aurait pu avoir des consé­quences dra­ma­tiques pour les otages de l’Hyper Cacher de la Porte de Vin­cennes, dans la mesure où Ame­dy Cou­li­ba­ly avait décla­ré lier leur sort à celui de ses com­plices de Dammartin-en-Goële.

En consé­quence, le Conseil a déci­dé de mettre en demeure ces télé­vi­sions et radios de res­pec­ter l’impératif de sau­ve­garde de l’ordre public. 

- La dif­fu­sion d’informations concer­nant la pré­sence de per­sonnes cachées dans les lieux de retran­che­ment des ter­ro­ristes, alors que les assauts n’avaient pas encore été menés par les forces de l’ordre et qu’un risque pesait donc tou­jours sur leur vie

Le Conseil a rele­vé que France 2, TF1 et RMC ont signa­lé la pré­sence d’une per­sonne qui était par­ve­nue à se cacher dans l’imprimerie où Saïd et Ché­rif Koua­chi s’étaient retran­chés. Il constate aus­si que BFM TV et LCI ont émis l’hypothèse qu’une ou plu­sieurs per­sonnes s’étaient réfu­giées dans une chambre froide ou dans une réserve du maga­sin Hyper Cacher où Ame­dy Cou­li­ba­ly rete­nait ses otages. 

Le Conseil a consi­dé­ré que la dif­fu­sion de ces infor­ma­tions, à l’heure où les ter­ro­ristes pou­vaient encore agir, était sus­cep­tible de mena­cer gra­ve­ment la sécu­ri­té des per­sonnes rete­nues dans les lieux.

Il a déci­dé de mettre en demeure les médias audio­vi­suels concer­nés de ne plus renou­ve­ler de tels man­que­ments à l’ordre public.

- La dif­fu­sion des images de l’assaut mené par les forces de l’ordre dans le maga­sin Hyper Cacher de la Porte de Vincennes 

Le Conseil a exa­mi­né la dif­fu­sion inté­grale, par France 3 et Canal +, d’une vidéo mon­trant l’assaut mené contre l’Hyper Cacher, y com­pris les tirs mor­tels sur le ter­ro­riste alors qu’il affron­tait les forces de l’ordre. Il a consi­dé­ré que ces images insis­tantes, sus­cep­tibles de nour­rir les ten­sions et les anta­go­nismes, pou­vaient contri­buer à trou­bler l’ordre public.

Il a, en consé­quence, mis en garde les chaînes contre le renou­vel­le­ment d’un tel manquement. 

Tirant les ensei­gne­ments de ces constats, le Conseil se pro­pose d’apporter à la recom­man­da­tion n° 2013-04 du 20 novembre 2013 rela­tive au trai­te­ment des conflits inter­na­tio­naux, des guerres civiles et des actes ter­ro­ristes par les ser­vices de com­mu­ni­ca­tion audio­vi­suelle, trois adjonc­tions concer­nant le res­pect de la digni­té de la per­sonne humaine, la sau­ve­garde de l’ordre public et la maî­trise de l’antenne.

Ces pro­po­si­tions de modi­fi­ca­tions feront l’objet d’une consul­ta­tion des médias audio­vi­suels des­ti­na­taires de la recom­man­da­tion dans les plus brefs délais.

Source de l’ar­ticle : CSA