Une mise a mort du Groupov ?

Des 39 opérateurs contrat-programmés, seul le Groupov se trouve sanctionné brutalement. Pourquoi ?

COMMUNIQUE 29 — 07 — 2015

groupov.jpgMadame, Mon­sieur,

Chères amies, Chers amis,

Vous avez pro­ba­ble­ment, comme nous, appris par voie de presse le 17 juillet que Madame Joëlle Mil­quet, Ministre de la Culture, avait déci­dé de sanc­tion­ner dif­fé­rents opé­ra­teurs théâ­traux de la Fédé­ra­tion Wal­lo­nie Bruxelles en dimi­nuant leur sub­ven­tion de 5% en 2016. Tou­te­fois, par cour­rier, la Ministre nous infor­mait qu’en plus de cette 1ère dimi­nu­tion, pour cette même année, le Grou­pov était enjoint de rever­ser des mon­tants pré­cis à plu­sieurs tiers pour un total de 300.000€. Contrainte et opé­ra­tion finan­cière qui se situent pour nous dans un flou juri­dique complet.

Ain­si, le Grou­pov se retrou­ve­rait dimi­nué non pas de 5%, mais d’un seul coup de près de 60% de ses moyens publics. Il en revien­drait à un mon­tant de sub­ven­tion infé­rieur à celle qu’il rece­vait en 1998 (bien avant même la créa­tion de Rwan­da 94). Des 39 opé­ra­teurs contrat-pro­gram­més, seul le Grou­pov se trouve sanc­tion­né bru­ta­le­ment dans de telles pro­por­tions. Pourquoi ?

N’est-ce pas la néga­tion de 20 ans de tra­vail, de noto­rié­té inter­na­tio­nale, de suc­cès publics et média­tiques dans 165 villes de 34 pays sur 4 conti­nents ? Pour­quoi, main­te­nant, ce qu’il faut bien consi­dé­rer comme une sanc­tion dra­co­nienne, alors que dans son rap­port le CAD recon­nait lui-même que le Grou­pov a rem­pli l’ensemble de ses missions ?

Actuel­le­ment, le per­son­nel du Grou­pov se com­pose d’un admi­nis­tra­teur, d’une assis­tante admi­nis­tra­tive, et d’un artiste, payé à mi-temps. Si ces mesures – juri­di­que­ment extra­or­di­naires – étaient effec­ti­ve­ment mises en œuvre, le Grou­pov serait pla­cé dans l’obligation de licen­cier son admi­nis­tra­teur, mais n’aurait même pas les moyens de payer son pré­avis (16 ans d’ancienneté). Encore moins d’organiser la moindre acti­vi­té artis­tique en 2016/2017. Il s’agit bien d’une mise à mort à peine différée.

Sui­vant une recom­man­da­tion du CAD, le pou­voir fait injonc­tion au Grou­pov de se cen­trer exclu­si­ve­ment sur « l’activité créa­trice de Jacques Del­cu­vel­le­rie ». Ceci était déjà flou. L’activité en ques­tion est allée de Dis­cours sur le colo­nia­lisme (un homme, une table, un verre d’eau, durée 55’) à Rwan­da 94 (22 artistes sur scène, durée 6 heures). Mais cela passe de toute façon de flou à impos­sible, puisque, jusqu’en 2017 au moins, nous ne pour­rions déga­ger le moindre bud­get « d’activité créa­trice ». La dif­fu­sion même de créa­tions déjà exis­tantes serait extrê­me­ment dif­fi­cile à par­tir de jan­vier 2016. La der­nière créa­tion du Grou­pov, L’Impossible Neu­tra­li­té, sera jouée à Paris en décembre 2015. Le spec­tacle devra-t-il s’arrêter là ?

Dans un « strict pré­am­bule » du CAD adres­sé à la Ministre, il pré­voit que « la ces­sa­tion de sub­ven­tion­ne­ment devra don­ner lieu à un exa­men préa­lable par l’Administration et l’Opérateur de la situa­tion bilan­taire de celui-ci afin de per­mettre la réso­lu­tion en bon père de famille des enga­ge­ments pris in tem­pore non sus­pec­to et le res­pect des droits des tra­vailleurs. » Sans qu’il y ait stric­to sen­su « ces­sa­tion de sub­ven­tion­ne­ment », le Grou­pov se trouve déjà dans une situa­tion qui rend impra­ti­cable le res­pect de ces « enga­ge­ments » et « droits ».

Le sort fait au Grou­pov sou­lève une autre pro­blé­ma­tique, bien plus large que lui-même, pour la créa­tion théâ­trale dans cette com­mu­nau­té. Aujourd’hui, beau­coup de jeunes artistes, en par­ti­cu­lier ceux qui se sont orga­ni­sés en col­lec­tifs, ne visent pas à diri­ger et gérer une ins­ti­tu­tion. Ils veulent accé­der aux moyens qui per­met­traient à leur tra­vail d’exister de façon pro­fes­sion­nelle et d’être dif­fu­sé. Le Grou­pov a com­men­cé ain­si : avec rien, pen­dant de longues années. Par la suite, il n’a pos­tu­lé à la direc­tion d’aucun théâtre, n’a fon­dé aucune ins­ti­tu­tion, n’a jamais géré aucune struc­ture per­ma­nente. Ce qui lui arrive démontre que, quoiqu’on ait fait, réa­li­sé, accom­pli, le modèle hégé­mo­nique actuel ne per­met pas, voire ne sup­porte pas qu’un tel type de démarche dépasse un cer­tain niveau de déve­lop­pe­ment, et que la pré­ca­ri­té, à tout moment, doit res­ter son lot. C’est là l’intérêt de ceux qui dominent et, fina­le­ment, régissent la vie théâtrale.

Le Grou­pov

Le 27/07/2015

Source de l’ar­ticle : Grou­pov