Wukan : un symbole de la résistance populaire en Chine rurale

La pro­tes­ta­tion mas­sive qui s’est déve­lop­pée à Wukan à la fin de l’année 2011, a atti­ré l’attention sur les cam­pagnes, d’où la révo­lu­tion chi­noise a émergé.

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Les termes du débat sur l’avenir du sys­tème poli­tique chi­nois sont sou­vent défi­nis à par­tir de trois pers­pec­tives dif­fé­rentes : cer­tains croient en une tran­si­tion démo­cra­tique impul­sée par des mou­ve­ments de cita­dins et d’intellectuels[C’est par exemple la reven­di­ca­tion constante du mou­ve­ment outre-mer pour la démo­cra­ti­sa­tion depuis le mas­sacre de Tia­nan­men en 1989. En Chine, il y a éga­le­ment un cou­rant de pen­sée qui sou­haite repro­duire la « Révo­lu­tion de Velours » gui­dée par les intel­lec­tuels, illus­tré par Liu Xiao-Bo, lau­réat du Prix Nobel de la Paix en 2010, déte­nu depuis 2009 en rai­son de son acti­vi­té autour de la « Charte 08 ». Nous pou­vons ajou­ter la pro­tes­ta­tion de l’artiste dis­si­dent Ai Wei­wei, qui demande essen­tiel­le­ment plus de liber­té d’expression et la dimi­nu­tion de la cor­rup­tion.]], d’autres croient en un sou­lè­ve­ment popu­laire légi­ti­mé par les inéga­li­tés sociales et la corruption[[C’est par exemple le point de vue du roman­cier Yu Hua expri­mé dans [cet article (en anglais).]], enfin cer­tains pensent que l’on pour­rait assis­ter à une réforme gui­dée len­te­ment par les élites du Par­ti communiste[[C’est peut-être le plus répan­du et qui a sus­ci­té beau­coup de recherches sur les divers cou­rants au sein du Par­ti com­mu­niste. Pour un résu­mé.]]. Ces trois pers­pec­tives portent en elles des visions dif­fé­rentes des racines des ten­sions et des rap­ports de force actuels dans la Chine contemporaine.

Mais que soient mis en avant la classe ouvrière, les classes moyennes ou les élites poli­tiques en tant que sujet des trans­for­ma­tions poli­tiques, un carac­tère com­mun à ces trois pers­pec­tives est de consi­dé­rer la ville comme le lieu de changement.

Pour­tant, la pro­tes­ta­tion mas­sive qui s’est déve­lop­pée à Wukan (un vil­lage de bord de mer de la pro­vince de Guang­dong dans le sud de la Chine) à la fin de l’année 2011, a atti­ré l’attention sur les cam­pagnes, d’où la révo­lu­tion chi­noise a émergé.

L’acquisition de la terre au cœur de luttes sociales chinoises

carte_wukan.jpg La pro­tes­ta­tion de Wukan est le résul­tat de la conjonc­tion de deux fac­teurs – la cor­rup­tion des auto­ri­tés locales (cun­wei­hui, le comi­té du vil­lage qui est direc­te­ment lié au Par­ti com­mu­niste), et la ques­tion de qui pos­sède la terre dans les cam­pagnes – deux pro­blèmes de la plus grande impor­tance dans la Chine rurale depuis le début des pri­va­ti­sa­tions à par­tir de 1978.

En effet, l’acquisition de la terre prend une place de plus en plus cen­trale dans la contra­dic­tion sociale en Chine aujourd’hui. Après la révo­lu­tion com­mu­niste en 1949, le sys­tème social était fon­dé sur la dis­tinc­tion binaire ville/campagne qui défi­nit à la fois les droits de citoyens et les droits à la terre. À l’époque com­mu­niste, la terre des villes appar­te­nait à l’État pour per­mettre la construc­tion d’usines et d’entreprises publiques ; la terre des cam­pagnes appar­te­nait à des col­lec­tifs de pay­sans (com­mune, gongshe) et était des­ti­née à un usage agri­cole. La réforme éco­no­mique entre­prise en 1978 a chan­gé ce sys­tème. Une nou­velle loi de 1991, qui dis­tingue le « droit d’usage » et le « droit de pos­ses­sion », a per­mis aux auto­ri­tés locales de louer la terre à d’autres acteurs éco­no­miques avec l’accord des vil­la­geois et avec des com­pen­sa­tions[Ding Chen­gri, 2003, « Land Poli­cy Reform in Chi­na : assess­ment and pros­pects » Land Use Poli­cy (20), p. 109 – 120.]]. En réa­li­té, le tra­vail du comi­té du vil­lage n’est pas tou­jours trans­pa­rent et ce mal­gré l’existence d’élections au niveau du village[[C’est la « Loi d’organisation du comi­té du vil­lage » de 1988, qui défi­nit que le comi­té du vil­lage doit être déci­dé et renou­ve­lé par des élec­tions régu­lières. Cepen­dant, dans la réa­li­té, du fait de l’exode rural et de l’inexistence des élec­tions aux niveaux supé­rieurs, il est dif­fi­cile d’appliquer cette loi dans tous les vil­lages chi­nois. À Wukan, il y a eu plu­sieurs soi-disant « élec­tions » orga­ni­sées par le comi­té du vil­lage, mais cela ne s’est jamais fait de manière trans­pa­rente, et les même per­sonnes ont acca­pa­ré le pou­voir du comi­té du vil­lage pen­dant qua­rante-et-un ans (voir le [repor­tage de Life Week, en man­da­rin).]]. Cela crée donc une source majeure de conflits en Chine aujourd’hui. Du fait de l’urbanisation rapide, la fron­tière géo­gra­phique entre la « ville » et la « cam­pagne » tend à deve­nir vague. Cela a créé des oppor­tu­ni­tés finan­cières pour des cadres poli­tiques dans les cam­pagnes qui ont fait de gros béné­fices en ven­dant la terre à des agences immo­bi­lières sans l’accord des vil­la­geois. Des mil­liers de mani­fes­ta­tions ont explo­sé autour de la vente de terre et des com­pen­sa­tions dérisoires.

C’est ce scé­na­rio qui est à l’origine de la lutte des vil­la­geois de Wukan. Depuis 1993, le comi­té du vil­lage a ven­du petit à petit les terres col­lec­tives à des socié­tés de construc­tion. Alors que les repré­sen­tants offi­ciels ont reçu des pro­fits dépas­sant plus de 70 mil­lion de yuans, les frais de com­pen­sa­tion n’étaient que de 550 yuans (55 euros) par famille. Une mobi­li­sa­tion visant à la démo­cra­ti­sa­tion du comi­té de vil­lage et à la rééva­lua­tion de la valeur des terres a ain­si commencé.

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Mobilisation et répression

Tout comme durant le Prin­temps arabe, les jeunes ont joué un rôle cen­tral dans l’organisation de la mobi­li­sa­tion. L’expérience du tra­vail dans les villes les a ren­dus plus conscients de l’injustice du mono­pole du pou­voir par le comi­té du vil­lage. Ain­si, en 2009, un réseau social nom­mé les « Jeunes Radi­caux de Wukan » s’est créé pour dis­cu­ter de la situa­tion du vil­lage. Le réseau a dif­fu­sé les dis­cus­sions à l’aide de vidéos, de tracts et de chan­sons qui sou­li­gnaient la cor­rup­tion et évo­quaient la résistance.

En sep­tembre 2011, 5000 vil­la­geois ont mani­fes­té devant le comi­té du vil­lage. Face à la pres­sion, les offi­ciels du comi­té se sont sau­vés et les vil­la­geois ont élu treize repré­sen­tants pour négo­cier avec les offi­ciels de Guang­dong. Ils ont sur­tout deman­dé aux offi­ciels d’enquêter sur la cor­rup­tion du comi­té du vil­lage et des com­pen­sa­tions pour les pertes finan­cières des vil­la­geois. Cette pro­tes­ta­tion a obte­nu une réponse favo­rable des auto­ri­tés de Guangdong.

Mais après un mois d’attente sans effets, une autre péti­tion col­lec­tive a été lan­cé en novembre avec le slo­gan « Don­nez-nous la terre agri­cole » et « À bas la cor­rup­tion ! ». Cette nou­velle action a été vio­lem­ment répri­mée par les auto­ri­tés. Le 9 décembre, les auto­ri­tés ont arrê­té cinq membres du comi­té du vil­lage tem­po­raire jugé « illé­gal » par les offi­ciels. En même temps, le maire de Lufeng a annon­cé que tous les pro­blèmes sou­le­vés par les vil­la­geois avaient été réso­lu et le cas de Wukan devait être sol­dé par la démis­sion de l’ancien repré­sen­tant du comi­té du vil­lage de Wukan.

Le len­de­main, les vil­la­geois ont appris avec stu­peur la mort en garde à vue de Xue Jing-po, 47 ans, vice-pré­sident du comi­té du vil­lage tem­po­raire. La police a nié toute res­pon­sa­bi­li­té. Sub­mer­gés par la colère et le cha­grin, les vil­la­geois ont déci­dé de résis­ter pour pro­té­ger les autres mili­tants contre de nou­velles arres­ta­tions. Ils ont éta­blis des bar­ri­cades à l’entrée du vil­lage pour empê­cher son accès aux offi­ciels et aux poli­ciers. Seuls les jour­na­listes venant de Hong Kong et de pays étran­gers ont été auto­ri­sés à entrer, les vil­la­geois se méfiant des jour­na­listes chi­nois sus­cep­tibles d’être membres des ser­vices secrets.

Dans les dix jours qui ont sui­vis, la ten­sion est mon­tée sen­si­ble­ment, en par­ti­cu­lier du fait de l’attention por­tée par les médias étran­gers. La police a cou­pé l’eau, l’électricité et les vivres aux vil­la­geois qui ont dû vivre sur leurs réserves et avec la soli­da­ri­té des vil­lages avoi­si­nants. En même temps, les mani­fes­ta­tions conti­nuaient avec des reven­di­ca­tions fermes : élec­tion démo­cra­tique des res­pon­sables locaux, obte­nir la dépouille de Xue et conti­nuer à enquê­ter sur la cor­rup­tion du comi­té de village.

Mais la défiance s’était ins­tal­lée à l’égard des cadres de la ville de Guang­dong et les vil­la­geois ont deman­dé l’intervention de Pékin. Face aux calom­nies « de conspi­ra­tion avec les médias étran­gers » répan­dues par les offi­ciels, les vil­la­geois sont res­tés soli­daires, ont main­te­nus leurs reven­di­ca­tions et la demande d’intervention du gou­ver­ne­ment à Pékin. Après dix jours de mani­fes­ta­tions et de confron­ta­tions avec des poli­ciers venant de la ville, et mal­gré la rumeur d’une inter­ven­tion de l’armée, les vil­la­geois ont été sou­la­gés par la tour­nure des évè­ne­ments le 20 décembre. Le vice-secré­taire de Guang­dong a fait un dis­cours télé­vi­sé annon­çant que les reven­di­ca­tions des vil­la­geois de Wukan étaient « rai­son­nables » pré­ci­sant que s’ils n’organisent pas de mani­fes­ta­tions « trop radi­cales », les auto­ri­tés sont d’accord pour libé­rer les quatre per­sonnes encore rete­nues et pour répondre à leurs revendications.

Après une négo­cia­tion conti­nue entre les vil­la­geois et les auto­ri­tés, le 1er février 2012, la pre­mière élec­tion « démo­cra­tique » et « trans­pa­rente » a fina­le­ment eu lieu à Wukan. 6 000 vil­la­geois ont par­ti­ci­pé à l’élection et ont élu 109 repré­sen­tants. Lin[[Lin a été membre de l’armée de libé­ra­tion popu­laire pen­dant la Révo­lu­tion Cultu­relle ; en 1969, il a ensuite, tra­vaillé trois ans au sein du comi­té du vil­lage, et est fina­le­ment deve­nu un entre­pre­neur jus­qu’à sa retraite.]], 67 ans, un ancien membre de l’armée et le prin­ci­pal négo­cia­teur avec les offi­ciels de Guang­dong, a été élu Pré­sident du comi­té de vil­lage. Le 14 février, la famille de Xue a fina­le­ment pro­cé­dé à l’enterrement de Xue consi­dé­ré par les vil­la­geois comme un martyr.

La lutte de Wukan s’est ain­si conclue par la nais­sance d’une struc­ture poli­tique auto­nome et « démo­cra­tique » et le nom de Wukan incarne le nou­veau para­digme de la lutte du peuple en Chine.

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Pourquoi ont-ils réussi ?

Comme nous avons essayé de l’expliquer dans l’introduction, la cause du conflit de Wukan n’a rien d’extraordinaire mais repré­sente un court épi­sode d’une longue série de conflits. Cepen­dant, plu­sieurs fac­teurs ont ren­du pos­sible la « réus­site » excep­tion­nelle de Wukan par­mi les pro­tes­ta­tions inces­santes dans la Chine rurale d’aujourd’hui.

Pre­miè­re­ment, l’auto-organisation des vil­la­geois lan­cée par les jeunes géné­ra­tions a été un fac­teur essen­tiel. Zhuang, le numé­ro un des « Jeunes Radi­caux de Wukan », tient un maga­sin de prêt-à-por­ter dans une grande ville près de Wukan. En dis­cu­tant avec d’autres tra­vailleurs migrants, il a com­pris que les com­por­te­ments des pou­voirs locaux étaient scan­da­leux. Avec un autre jeune né en 1990, ils ont inter­viewé des vieux des vil­lages sur la pri­va­ti­sa­tion des terres par les élites poli­tiques locales. S’est ain­si for­gée la volon­té de se battre et une coopé­ra­tion entre les qua­rante-et-un clans[[La rela­tion sociale dans les cam­pagnes chi­noises est orga­ni­sée autour du « clan » – les gens qui portent le même nom de famille et qui appar­tiennent à la même généa­lo­gie. Depuis des géné­ra­tions, les déci­sions por­tant sur l’intérêt glo­bal du vil­lage doivent être déci­dées par des dis­cus­sions com­munes entre les géné­ra­tions. À Wukan, il y a qua­rante-et-un clans (qua­rante-et-un noms de familles dif­fé­rents), et ce n’est pas pos­sible d’avoir une mobi­li­sa­tion impor­tante sans la soli­da­ri­té de tous ces clans, sur­tout l’accord des vieilles géné­ra­tions au sein de ces clans.]]. Une divi­sion des tâches s’est éta­blie et est deve­nue plus évi­dente après la mort de Xue : les vieux s’occupant des négo­cia­tions avec le gou­ver­ne­ment alors que les jeunes par­ti­ci­paient au ser­vice d’ordre et res­taient au pre­mier rang des mani­fes­ta­tions pour se défou­ler contre les policiers.

Deuxiè­me­ment, l’attention por­tée par les médias étran­gers a sans aucun doute aus­si été un fac­teur favo­rable. Du fait de la posi­tion de Wukan près de Guang­dong et de Hong Kong, la lutte de Wukan a été sui­vie de très près par les médias de Hong Kong. Ces der­niers ont non seule­ment envoyé les images de la lutte au monde entier, mais aus­si mis la pres­sion sur les gou­ver­ne­ments de Guang­dong et Shan­wei. Sans cette « publi­ci­té » faite par la presse étran­gère, les auto­ri­tés auraient sans doute été moins sous pression.

Outre la proxi­mi­té avec Hong Kong, une autre carac­té­ris­tique frap­pante est la struc­ture poli­ti­co-éco­no­mique de Guang­dong. Ayant été la pre­mière région déve­lop­pée de la réforme éco­no­mique, Guang­dong a une ambiance plus libé­rale que les autres pro­vinces chi­noises. Son gou­ver­neur, Wang Yang, est influen­cé par le « cou­rant libé­ral » au sein du Par­ti com­mu­niste. La lutte de Wukan est arri­vée juste avant la 18e « Assem­blée Natio­nale de l’État » qui doit renou­ve­ler ses cadres. Les pres­sions inter­na­tio­nales des médias ont donc encou­ra­gé une approche plus « conci­lia­trice » de Wang et empê­ché une répres­sion par les militaires.

Enfin, la reven­di­ca­tion pour plus de « démo­cra­tie locale » sans pour autant défier la légi­ti­mi­té du Par­ti com­mu­niste, illustre les contra­dic­tions de la résis­tance en Chine aujourd’hui. De fait, dans un contexte de trans­for­ma­tion radi­cale de la socié­té chi­noise, le gou­ver­ne­ment cen­tral sou­tient les vic­times de vio­la­tion de loi pour mieux frag­men­ter les résis­tances mas­sives[Dans les cas de vio­la­tion des droits, sou­vent par cor­rup­tion des auto­ri­tés locales, les citoyens chi­nois ont le droit d’aller à Pékin pour faire une « péti­tion » auprès des auto­ri­tés cen­trales et pour deman­der des com­pen­sa­tions. Ce sys­tème de shang­fang, de péti­tion indi­vi­duelle, est non seule­ment une pro­cé­dure longue et lente, mais il est sou­vent blo­qué par les auto­ri­tés locales. D’autre part, l’État encou­rage une approche juri­dique pour trou­ver des solu­tions aux conflits liés à la terre du tra­vail. Tous ces slo­gans tels que « pro­té­ger les droits » et « règne de la loi » sont inven­tés et pro­mus pour encou­ra­ger des solu­tions indi­vi­dua­li­sées. Voir aus­si [cette ana­lyse (en anglais).]]. Au nom de la « défense des droits » (wei­quan) et du « règne par la loi » (faz­hi), le gou­ver­ne­ment tolère de plus en plus l’action indi­vi­duelle pour la défense des droits, mais les mobi­li­sa­tions contes­ta­taires et col­lec­tives sont sévè­re­ment réprimées[[La répres­sion poli­cière et mili­taire res­tent un moyen cou­rant que les gou­ver­ne­ment locaux chi­nois adoptent pour répondre aux mani­fes­ta­tions popu­laires. Voir Yong­shun Cai, 2008, « Local Gou­ver­ne­ments and the Sup­pres­sion of Popu­lar Resis­tance in Chi­na », The Chi­na Quar­ter­ly, mars 2008, p. 20 – 42.]]. L’insistance des vil­la­geois à en réfé­rer au gou­ver­ne­ment cen­tral de Pékin pour défendre leur droit a pour but de délé­gi­ti­mer la répres­sion militaire.

En fait, ce choix ne s’inscrit pas seule­ment dans une stra­té­gie de négo­cia­tion, mais est aus­si lié à l’héritage com­plexe du Par­ti com­mu­niste. Pour une grande par­tie des vieilles géné­ra­tions qui ont vécu l’époque de la révo­lu­tion com­mu­niste et de Mao, le Par­ti com­mu­niste et le gou­ver­ne­ment cen­tral véhi­culent tou­jours une image idéa­li­sée qui incarne un régime « qui tra­vaille pour le peuple ». De plus, comme les citoyens se sont enri­chis avec les réformes éco­no­miques, leur colère se retourne direc­te­ment et exclu­si­ve­ment vers les res­pon­sables locaux, sans sou­hai­ter le ren­ver­se­ment total du pou­voir à Pékin. Ain­si le père de Zhuang, a affir­mé que « le Par­ti est tou­jours avec le peuple ! »[Voir le [repor­tage sur les « Jeunes Radi­caux de Wukan », 2 décembre 2011 (en man­da­rin).]]. En dépit de la rage contre les injus­tices locales, l’héritage de la Révo­lu­tion Com­mu­niste per­met le main­tien de la loyau­té envers l’État Chi­nois. Si les injus­tices locales expliquent la déter­mi­na­tion des vil­la­geois à lut­ter, l’affirmation du père de Zhuang montre bien le capi­tal de confiance que conserve le gou­ver­ne­ment cen­tral. Autre­ment dit, mal­gré la cor­rup­tion répan­due à tous les niveaux admi­nis­tra­tifs en Chine aujourd’hui, le mécon­ten­te­ment contre le pou­voir local ne se tra­duit pas for­cé­ment par une perte de légi­ti­mi­té du sys­tème. C’est le dilemme sou­li­gné par Han Han, un écri­vain et blo­gueur popu­laire rési­dant à Shan­ghai, inter­ve­nant dans une série de débats sur l’avenir de la Chine : « le Par­ti Com­mu­niste a 80 mil­lions d’adhérents et 300 mil­lions de familles sont liées à ces adhé­rents, cela dépasse donc le cadre d’un par­ti poli­tique, il s’agit d’un sys­tème. De plus, contrai­re­ment aux révo­lu­tions arabes, le mécon­ten­te­ment poli­tique en Chine aujourd’hui ne peut pas être réduit à l’image d’un dic­ta­teur au sein du Par­ti com­mu­niste. »[[Trois articles publiés fin 2011 res­pec­ti­ve­ment inti­tu­lé « De la révo­lu­tion » « Sur la démo­cra­tie », « Pour la liber­té » (en mandarin).]]

La réus­site bou­le­ver­sante de Wukan est donc aus­si révé­la­trice des limites du mou­ve­ment poli­tique en Chine actuel­le­ment. Sans une alter­na­tive poli­tique, le règne du Par­ti com­mu­niste chi­nois reste le plus légi­time pour la plu­part des citoyens en dépit de tous ses défauts. En outre, l’attitude de plus en plus flexible du gou­ver­ne­ment pré­vien­drait l’intensification des luttes popu­laires en valo­ri­sant la « négo­cia­tion ». Si la demande de plus d’autonomie au niveau des struc­tures locales – vil­lage, usine, école – est une reven­di­ca­tion conver­gente des luttes dans dif­fé­rents milieux, la ten­dance à des « réformes » souples au niveau local pour­rait signi­fier pour l’instant une absence de contes­ta­tion du gou­ver­ne­ment cen­tral, et pas un ren­ver­se­ment dra­ma­tique du style du Prin­temps arabe.

février 2012